Après la publication des résultats provisoires de l’élection présidentielle anticipée du 20 mars 2016 par le Ministère de l’intérieur et de la décentralisation, le candidat Guy-Brice Parfait Kolélas a introduit un recours à la Cour constitutionnelle, seul juge du contentieux électoral en République du Congo, afin de contester lesdits résultats. Cependant, à sa session du 4 avril 2016, proclamant les résultats définitifs de cette élection, la Cour constitutionnelle a rejeté la requête du candidat Guy-Brice Parfait Kolélas, en évoquant deux raisons principales :
1- la requête a été déposée hors délai. Par conséquent, elle a été déclarée «forclose»;
2- la requête ne comportait pas de timbre fiscal. Nous avons soumis cette décision de la Cour constitutionnelle à l’appréciation d’un groupe de réflexion des élèves administrateurs de l’Enam (Ecole nationale d’administration et de magistrature). Remettant en cause la décision de la Cour constitutionnelle, ce groupe de réflexion a évoqué les arguments ci-après:
Argument 1 :
Le code électoral prévoit la publication des résultats bureau de vote par bureau de vote et la remise des procès-verbaux aux représentants des différents candidats. Dès 20h au plus tard, chaque candidat devrait connaître ses résultats. Par conséquent, lorsque la C.n.e.i publie les premières tendances et le Ministre de l’intérieur et de la décentralisation proclame les résultats provisoires, chaque candidat aurait déjà les résultats et pourrait intenter un recours par bureau de vote, au cas où il y aurait des incohérences. Cette disposition du code électoral n’a pas été respectée dans plusieurs bureaux de vote.
Argument 2 :
La coupure des télécommunications n’a pas permis aux candidats de l’opposition de communiquer avec leurs représentants dans les différents bureaux de vote, afin d’entrer en possession des résultats. Par conséquent, lorsque les résultats sont annoncés par la C.n.e.i ainsi que par le ministre de l’intérieur et de la décentralisation, les candidats de l’opposition ne disposent pas d’éléments contradictoires pouvant leur permettre de confirmer ou de contester les résultats officiels.
Argument 3 :
Les journées du samedi 26, dimanche 27 et lundi 28 mars 2016 étant des journées non ouvrables, doivent être exclues du délai de dépôt des recours. Par conséquent, au lieu de courir du 25 au 29 mars 2016, ce délai aurait dû courir du 25 mars au 1er avril 2016.
Argument 4 :
Jusqu’à la tenue de la session de la Cour constitutionnelle du 4 avril 2016 pour proclamer les résultats définitifs de l’élection présidentielle, les résultats provisoires annoncés par le ministre de l’intérieur et de la décentralisation n’étaient pas encore disponibles dans les journaux de la place, à l’exception du journal «Tribune d’Afrique».
Il convient de signaler que le journal «Tribune d’Afrique» avait utilisé un dictaphone, afin de transcrire les résultats provisoires publiés par le ministre de l’intérieur et de la décentralisation. Voilà pourquoi le représentant du candidat Jean-Marie Michel Mokoko avait déclaré sur les antennes de Radio France internationale (Rfi) qu’il attendait la publication des résultats officiels, afin d’engager la démarche d’un éventuel recours.
Quant au représentant du candidat Guy-Brice Parfait Kolélas, il s’était rendu à la C.n.e.i pour avoir les résultats officiels provisoires. Là-bas, il a été envoyé au Ministère de l’intérieur et de la décentralisation où il a été renvoyé à la C.n.e.i, sans les résultats officiels provisoires.
Argument 5 :
La requête du candidat Guy Brice Parfait Kolélas a été déposée au greffe de la Cour constitutionnelle. Il revenait donc à cette dernière de constater le caractère forclos et l’absence du timbre fiscal et le faire savoir à l’intéressé. Or, rien n’a été fait et la requête a été bel et bien enregistrée.
En considération des arguments évoqués par le groupe de réflexion des élèves de l’Enam, le Dr Kitsoro Firmin Kinzounza a tiré les conclusions suivantes :
1- le délai de cinq jours pour déposer les recours était intenable du fait de la coupure des télécommunications; coupure qui s’analyse ici comme un cas de force majeure, en l’occurrence, un événement imprévisible et irrésistible;
2- le délai de cinq jours pour déposer les recours était établi ceteris paribus (toutes choses égales par ailleurs). La coupure des télécommunications a rompu cette condition;
3- le délai de cinq jours pour déposer les recours aurait dû tenir compte des journées du samedi 26, dimanche 27 et lundi 28 mars (lundi de pâques) qui furent des journées non ouvrables et donc couvrir la période allant du vendredi 25 mars au vendredi 1er avril 2016 (en prenant en considération les dates suivantes 25, 29, 30, 31 mars et 1er avril 2016);
4- le greffe de la Cour constitutionnelle aurait dû juger la requête irrecevable au dépôt; ce qu’elle n’a pas fait. Par conséquent, en rejetant la requête au motif qu’elle est «forclose» et n’a pas de timbre fiscal, la Cour constitutionnelle n’a pas dit le droit et a rendu une décision politique.
Ainsi, la Cour constitutionnelle aurait dû allonger le délai de dépôt des recours, en prenant en compte les jours non ouvrables. Pour ne l’avoir pas fait et en frappant de «nullité in limine litis» la requête de Guy-Brice Parfait Kolélas, la Cour constitutionnelle est juridiquement tombée dans la forfaiture et sa décision est purement politique; elle n’a donc pas dit le droit.
Pour mémoire, lorsque le président Soglo, au Bénin, était candidat à un second mandat contre le général Mathieu Kérékou, il n’hésita pas à appeler Mme Prudencia Pognon, alors présidente de la Cour constitutionnelle du Bénin, pour lui dire en substance ceci: «Le pays ‘a été dirigé que par les nordistes; maintenant, c’est le tour des sudistes. Je sais que j’ai perdu. Je te demande, en tant que sudiste comme moi, de modifier les résultats en ma faveur». Cette dernière lui répondit qu’elle ne fait pas de la politique et qu’elle a été nommée pour dire le droit, rien que le droit.
Dr Kitsoro Firmin KINZOUNZA
Enseignant Chercheur à l’ENAM
Consultant international en management
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