Cameroun : «Le silence de la France est interprété comme une complicité avec les dictatures»

Quelle est la différence entre le Venezuela et le Cameroun ? La question peut sembler saugrenue. Mais depuis que la France a donné une semaine au pouvoir de Caracas pour céder la place à une alternance, jugée plus légitime et plus démocratique, cette interrogation se décline à l’infini sur les réseaux sociaux. Elle est posée par des internautes africains qui soulignent ainsi le «deux poids deux mesures» dont Paris ferait preuve, selon eux, en s’impliquant ouvertement dans une crise lointaine. Alors qu’eux déplorent le silence de la France vis-à-vis de régimes dictatoriaux en Afrique.

Mardi, la même question a rеssurgi avec force, au lendemain de l’arrestation de Maurice Kamto, principal opposant au président Paul Biya, au pouvoir au Cameroun depuis trente-six ans. «Emmanuel Macron, ton Venezuela, c’est le Cameroun, clarifie ta position !» s’insurge ainsi le cinéaste Jean-Pierre Bekolo, interpellant le président français sur sa page Facebook, juste après avoir appris que Kamto, avait été appréhendé par des militaires lundi soir à Douala, la capitale économique de ce pays tourmenté d’Afrique centrale.

Complicité

Contacté par Libération, le cinéaste s’en explique : «Kamto est le véritable vainqueur de la dernière présidentielle en octobre et tout le monde le sait. Mais la France a préféré faire profil bas et reconnaître la réélection truquée de Paul Biya [avec officiellement plus de 70% des voix contre 14% à Kamto, ndlr]. Comme ailleurs en Afrique, on cautionne de fausses élections qui reconduisent au pouvoir des dirigeants qui ont ruiné leur pays. Ce que Paris ne comprend visiblement pas, c’est que son silence est interprété comme une complicité avec les dictatures. Partout où je vais en Afrique, et notamment à Dakar récemment, je sens grandir un sentiment antifrançais. Et les Africains applaudissent quand les fascistes italiens dénoncent la France», souligne-t-il, en référence à la récente polémique entre Paris et Rome, suite aux propos de plusieurs responsables italiens qui ont accusé la France d’accroître la «misère de l’Afrique».

En octobre, au lendemain du scrutin présidentiel, alors qu’il venait de s’en déclarer le vainqueur, Maurice Kamto allait d’ailleurs dans le même sens : «Pourquoi l’Europe ne s’implique pas davantage, alors qu’elle affirme être saturée par l’immigration ? Quant à la France, c’est pareil. Elle ne se montre pas plus impliquée dans le changement, malgré ses intérêts économiques dans ce pays», se désolait-il dans une interview à Libération.

Répression et arrestations

Agé de 65 ans, cet ancien ministre en rupture de ban depuis 2011 a créé la surprise lors du dernier scrutin présidentiel, en drainant des foules considérables à ses meetings. Il se trouve donc désormais sous les verrous, transféré mardi matin de Douala à Yaoundé, la capitale. Son arrestation intervient à l’issue d’un week-end particulièrement tendu : des marches organisées samedi dans les principales villes du pays se sont soldées par une violente répression par les forces de l’ordre, et une centaine d’arrestations.

«La répression de ces manifestations prouve que le régime se sent conforté par le silence des chancelleries occidentales après la dernière élection, même si Washington s’est montré plus critique que Paris. Reste que l’arrestation de Kamto est inédite. Même aux pires moments de la répression en 1992 ou 2008, jamais le leader de l’opposition n’avait été arrêté», constate de son côté un activiste de la diaspora camerounaise en France.

«On occupe les ambassades»

Une diaspora qui, en réaction aux violences de samedi, a envahi le soir même l’ambassade du Cameroun dans le XVIe arrondissement à Paris, saccageant les lieux et déchirant le portrait officiel de Biya. «A Berlin et à Bruxelles, les diasporas camerounaises ont, de la même façon, envahi les ambassades. On s’était tous donné le mot : si ces marches pacifiques sont réprimées, alors on occupe les ambassades», raconte ce jeune activiste, qui a pourtant grandi dans une famille proche du pouvoir. «Les temps ont changé», explique-t-il. «On ne peut plus tolérer ce régime recroquevillé sur un clan ethnique, qui mène une guerre à huis clos dans l’ouest anglophone, abuse tellement des détournements de fonds qu’on lui a même retiré en novembre l’organisation de la prochaine Coupe d’Afrique des nations, suite aux retards dans les travaux. Les manifs de samedi, c’était justement pour exprimer tout ce ras-le-bol», ajoute le jeune homme.

Aux yeux des Occidentaux, Biya, à défaut d’être un grand démocrate, a longtemps semblé garantir un semblant de stabilité. Mais ce raisonnement est-il encore valable, alors que la secte jihadiste Boko Haram, venue du Nigéria voisin, s’est durablement installée dans le nord misérable du pays ? Et que l’Ouest anglophone est depuis un an et demi le théâtre d’une guerre entre forces loyalistes et séparatistes ? «N’oubliez jamais que le Cameroun a été la première colonie française d’Afrique subsaharienne à réclamer l’indépendance, les armes à la main. Aujourd’hui, les millions de jeunes Camerounais qui n’ont connu que Biya depuis leur naissance, n’ont même pas besoin de basculer dans la violence armée, faute d’être entendus. Cette violence armée est déjà là dans l’Ouest. La France ferait bien de s’en rendre compte», note un Camerounais de passage à Paris.

Maria Malagardis