Où va le panafricanisme ?

Par Hervé MAHICKA

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COUP DE GUEULE D’ HERVE MAHICKA

La stratégie des militants panafricains des réseaux sociaux désormais concentrés sur la lutte contre le franc CFA consiste à faire passer leur idéologie pour vérité scientifique et à discréditer la vérité elle-même, la diabolisant même, en la taxant d’information corrompue par le maitre Blanc et ceux qui la défendent avec des arguments scientifiques pour des esclaves consentants ou inconscients. Réfugiés dans le discours politiques au lieu des faits, ils méprisent les chiffres, les textes, les lois et les comparaisons logiques parce que ces données infirment leurs thèses qui ne sont au fond que des slogans, des développements d’un délire du complot anti-africain, riches de contradictions, d’infox et d’incongruités.

Dans cet univers, la théorie du complot est élevée en science exacte, que dis-je, en foi impérative. Le dogme étant que l’Afrique serait riche de fait. D’elle-même. L’idée que les richesses se créent par le travail et l’innovation (le point faible de l’Afrique) en transformant son environnement est contredite par eux qui préfèrent mettre en avant la revendication, la victimisation et la fierté comme moyen d’user cette prétendue richesse. Aussi, les indépendances n’ayant pas produits ces pays de cocagnes fantasmés par les premiers théoriciens de la décolonisation; auxquels nos actuels combattants restent attachés fautes de lire le monde actuel et de produite leurs propre théories idoines, l’Afrique affirment-ils n’est pas indépendante. Elle est empêchée de se développer par la jalousie de l’Occident blanche qui est organisée par une entente secrète mais scrupuleusement respectée, dont le France serait le fer de lance et le principal bénéficiaire avec l’accord gentil des autres puissances qui soudain, en oublient la concurrence qu’ils s’appliquent partout ailleurs. « Ils nous craignent », c’est une conviction de foi. Comme dans toute idéologie qui fait appel à la croyance, inutile de leur demander pourquoi se croient-ils si puissants (au lieu de construire cette puissance), alors que le continent est en veille depuis plusieurs millénaires, ne menace personne même en rêve, est dernier dans tous les domaines et que l’occident (notion très abstraite au demeurant) n’a pas empêché l’Asie plus misérable que l’Afrique il y’a 60 ans encore, de se développer et même de la surpasser. Leur solution ? Protester des richesses pillées que l’imagination multiplie par l’infinie, sans pouvoir les démontrer à l’heure où l’on sait ce qui coule sur Mars ou se respire sur Neptune. Puis, n’est ce pas lorsqu’un pays a compris que la richesse n’est pas la matière mais la capacité à pouvoir la transformer que l’on crée une chaine de valeur vertueuse ? Nos panafricains nouvelle formule veulent vendre des matières brutes qu’ils ne savent pas trouver, ni extraire, dont ils ignorent les transformations possible et surtout exploser les bourses qui fonctionnent sur la loi de l’offre et de la demande dans un cadre concurrentiel, en imposant politiquement leurs prix ! C’est cela l’indépendance parait-il.

Alors partant ces postulats, les débats s’enflamment. Les indignations surfaites créées à partir de fausses informations ou de connaissances erronées font le buzz. On se sent blessé que le FCFA ne soit pas changeable en France et on crie à l’arnaque monétaire, alors que seules 17 monnaies dans le monde sont changeables à l’international par décision volontaire de leurs banques centrales. Le rouble russe, le yuan chinois ou le real brésilien ont fait ce choix (tandis que le rand sud-africain et le shilling kényan le sont) , comme le Franc CFA, par décision souveraine des banques centrales (de l’Ouest et du Centre lorsqu’ils furent encore de la même communauté), afin de mieux contrôler les mouvements de leurs capitaux. ce qui n’empêche pas l’extraction directe des billets par cartes bancaires émises par des banques en CFA sous les labels internationaux (VISA, Mastercard) , sans restriction. Que les billets de banques et les pièces soient physiquement produites en France n’y changent rien. D’autres nations comme Israël les impriment dans l’hexagone, ou Madagascar sorti du CFA depuis 1962, comme l’Angleterre en imprime sans prétendre une obligation de change aux utilisateurs, ou l’Allemagne qui garantie de Lev bulgare dont l’organisation de la convertibilité est restée attribuée à la Bundesbank même après le passage à l’Euro, sans parler de souveraineté monétaire, une notion nouvelle inventée par ces militants. A croire donc que le monde entier ne serait pas monétairement souverain, puisque de toute manière les échanges internationaux, lieux par excellence d’expression de la souveraineté se font principalement en dollar. On pourrait donc dire que seuls les USA sont monétairement souverains et que le reste du monde est leur colonie. Ridicule, vous en conviendrez. Que dire de l’époque récente ou c’était l’or qui servait d’étalon. Les pays n’en possédant pas n’avaient-ils donc pas de souveraineté? Aujourd’hui aucun autre pays ne participe à la politique de la Réserve Fédérale étatsunienne. Toutes colonies américaines alors. L’indépendance monétaire n’existe donc pour personne ?! Aussi, de nombreux Etats font produire leurs passeports dans des pays autres, ce qui ne leur hôte ni leur souveraineté, ni ne présuppose un droit de séjour des porteurs de ces passeports dans les pays producteurs et garants de la fiabilité du document.

On se renverse aussi par terre en tentant de créer le plus grand tintamarre possible, lorsque qu’Alassane Ouattara dit que le CFA est une bonne monnaie forte et solide pour ses utilisateurs. Sans lui opposer la moindre contre-étude – les études sont leur bête noire – on feint le scandale. On grossit le trait en ajoutant la diffamation (préfet de la françafrique, esclaves de maison…), et n’hésitant pas à nier la quintessence même des rapports mondiaux, multilatéraux et des agences de notations indépendantes qui s’accordent à sacrer la Côte d’Ivoire sous la gouvernance de ce banquier reconnu, comme étant devenu une des économies les plus dynamiques au monde.

Négationnistes, nihilistes, obscurantistes tout simplement, cette dangereuse armée d’anéantissement intellectuelle ne jure que par des micro vidéo YouTube de consommation virale desquelles ils prétendent égaler les connaissances normalement acquises au cours de longues années de formations académiques, d’expériences professionnelles et/ou de recherches. Meilleur exemple qui fait fureur en ce moment, c’est une vidéo d’Idriss Déby Itno le président Tchadien qui cumule plus de 25 ans de pouvoir, de tribalisme, de népotisme et de corruption, désormais élevé en évangéliste du panthéon panafricain du web pour avoir affirmé sans gêne que « le seul avantage du franc CFA c’est d’avoir une communauté de 14 pays qui utilisent la même monnaie », oubliant, dupant ou ne sachant pas peut-être que les deux FCFA sont en réalité deux monnaies complètement distinctes depuis presque autant de temps qu’il est au pouvoir, gérées indépendamment, et même pas interchangeables entre elles. Il ne s’arrête pas en si bon chemin de la désinformation en ajoutant que 3 français auraient un droit de véto sur le Franc CFA (de quelle banque centrale ? ) alors qu’aucune disposition ne le mentionne plus dans les textes depuis des lustres dans les deux banques et d’ailleurs ce droit, s’il a existé, n’a jamais été utilisé en 59 ans de FCFA: les chefs d’Etat et la conférence des ministres des finances dans les deux cas, qui impulsent la politique monétaire ayant toujours, sans exception, décidé librement et souverainement de leur politique monétaire de bout en bout. Le trésor français était au 1eres loges pour voir la Chine ravir sa place, il ne s’est jamais opposé à effectuer un paiement. On notera également la confusion du président tchadien entre parité et convertibilité, dépôt et gestion, autant de faussetés débitées en seulement 2 minutes et 25 secondes s’il vous plait, un exploit de désinformation et de médiocrité qui lui ont fait décrocher son statut tant convoité d’apôtre du panafricaniste digital. Tandis que Ouattara qui a des résultats, prouvés, lui qui a sorti 10% de sa population de la misère en 6 ans alors que son prédécesseur les avait augmenté de 37% en 10 ans, est cloué au pilori, entre autre parce qu’il ne serait pas ivoirien de pur-sang (curieux argument pour des panafricanistes qui seraient par définition hostiles aux frontières coloniales et favorables aux brassages), et qu’il aurait été placé au pouvoir par la France pour remplacer un président légitime, feignant d’oublier que Laurent Gbagbo fut déclaré élu en 2000 plus directement encore que Ouattara, par l’ambassadeur de France, dans la chancellerie même à Abidjan, où il avait trouvé refuge après les désordres post électoraux, et qu’il ne pouvait prétendre d’aucune légitimité à compter de la fin de son mandat de 5 ans en 2005.

Il conviendra de souligner ici que les deux zones francs ont un PIB qui représente l’équivalent du chiffre d’affaire de deux entreprises françaises comme AXA et ENGIE, que le budget de la République du Congo pays pétrolier phare ne représentait au mieux de sa forme en 2010 que le quart du chiffre d’affaire des Galeries Lafayette, que la France n’est la destination que de 3% des exportations des deux zones monétaires en cause, qui à leur tour n’importent que 14% de leurs produits de l’hexagone. Ce qui est très faible. La Chine est depuis le début des années 2000 devenue de loin le premier partenaire commercial de la zone et ainsi, premier soutien à des régimes corrompus sans demander de comptes, premier responsable des marasmes écologiques et premier propriétaire de la dette africaine, à des hauteurs de 70 ou 90% pour certains, alors qu’ils avaient été désendettés dans la 1ere décennie du millénaire. Mais de cela, les combattants nouveaux n’ont cure. La Chine peut tuer l’Afrique depuis 20 ans, le dogme veut que la lutte soit contre l’ancien colon: ça sera donc lui le coupable, parce qu’untel l’a dit en 1950, en 1960 ou en 1970. Telle est la catéchèse. Puis avouons-le, ça ne fait pas trop fun de se battre contre la Chine. C’est tenir tête à Paris, le Blanc, l’ancien maitre, qui est plus valorisant! On est en droit de se demander si c’est vraiment la réalité économique africaine qui les intéresse, ou tentent-il de se soigner de traumatismes personnels, des difficultés d’intégration dans cette France que nombreux ont choisi librement comme terre d’exil, ou d’évacuer une sorte de complexe d’œdipe interminable… Ce débat serait donc plus psychologique qu’économique ou politique! On ne dit pas qu’il faut négliger les questions psychologiques mais dans ce cas il faut les poser comme tel au lieu de les sous-traiter par une des approches contournées et finalement très approximative.

Qu’à cela ne tienne, ces anti-lumières sont en train d’appliquer au continent, la logique des totalitarismes les plus sombres comme les khmers rouges, déclamant la suppression des savoirs formels et discréditant autant que possible les élites qui apportent la contradiction, accusées d’être trop occidentalisées à leur goût, donc indigne du débat. C’est un tsunami d’obscurantisme et de populisme qui s’annonce, risquant, si on y prend garde, de faire plus de ravages sur le continent que le djihadisme. Je n’exagère rien , quand on sait que le prophète le plus écouté de cette nouvelle religion n’est autre que Kemi Semi, ancien activiste de « La Nation de l’Islam », un courant islamiste radicale originaire des Etats Unis (qui a révélé notamment Malcolm X avant de s’en détourner) prônant le racisme noir antiblanc et antisémite. Nul doute que s’il n’avait rencontré cette aubaine idéologique kémito-panafricaine qui s’est avérée plus rentable comme attrape-gogos, il serait aujourd’hui parmi les combattants de l’Etat islamique. C’est ce même désir de confrontation et de soulèvement pour le chaos qui semble animer son nouveau cheval de bataille, après avoir endoctriné des ouailles peu informés ou piégés par leur désir de sortir de la frustration légitimement ressentie par une jeunesse africaine, trop longtemps ostracisée, lasse de sa pauvreté et du peu de solutions qui lui sont offertes. Mais à quoi rime-t-il lorsqu’après avoir convaincu la jeunesse que c’est la France qui dirige tout en Afrique, ces jeunes en viennent à user d’un temps de parole précieux pour demander au président français en conférence à Ouagadoudou pourquoi la climatisation ne fonctionne pas dans l’amphi de leur université ou alors pourquoi les manuels de l’école d’ingénieurs ne sont pas burkinabè. N’ont-ils pas produit finalement une jeunesse vivant dans un monde à part, s’embrouillant avec les mauvais interlocuteurs même à l’échelle la plus basse, et qui inexorablement, passera sa vie en ayant lutté avec une réalité virtuelle?

J’appelle les esprits clairvoyants, concrets, réalistes et scientifiques à se jeter au feu pour contrer cette invasion de la passion qui ne nous entrainera que dans les abîmes comme tout ce qui n’est pas proprement réfléchi. Le Franc CFA peut être changé, mais dans la lucidité, le débat contradictoire des spécialistes, pour un intérêt bien démontré et vérifié et non sur l’impulsivité et de fausses prophéties. Ne donnant pas raison à ce poête qui écrivit que le nègre ne serait qu’émotion, tandis la raison serait le propre du seul hélène. J’interpelle en priorité ceux qui comme moi, jadis kémite, ont contribué à propager nombreux de ces dogmes et qui croyaient qu’avec l’arrivée d’internet, la conscience noire pénétrera un maximum d’âmes pour plus de science, de rigueur et de travail, ce que nos réunions de salles d’il y a 20 ans n’auraient pu espérer. Ce n’était pas pour créer des êtres pétris de slogans nihilistes et livrés à la domination de gourous irrationnels.

HERVE MAHICKA
Auteur « L’Afrique une promesse, Comment l’Afrique s’éveillera ». Ed, Michalon, Paris 2018