L’histoire : Michel est le fils unique de Papa Roger et de Maman Pauline. Ils vivent dans le quartier Voungou, à Pointe-Noire, au Congo, sur une parcelle achetée par Maman Pauline. Sur la parcelle, une maison « en attendant », c’est comme ça que les Ponténégrins (habitants de Pointe-Noire) surnomment ce genre de construction en bois et en taule. Michel est au collège des Trois-Glorieuses (trois autres dates clé de l’histoire du pays). Très bon élève, il est aussi un peu rêveur, et surtout connu dans tout le quartier pour sa maladresse. Il perd toujours sa monnaie quand il se rend à la boutique de Mâ Moubobi Au cas par cas (question de prix) faire les courses pour Papa Roger.
Dans le pays les différentes ethnies vivent ensemble, les sudistes et les nordistes en bonne intelligence, même s’ils ne parlent pas tous la même langue. La différence, elle est plutôt entre les capitalistes noirs, qui se font construire des maisons en dur, et mangent du homard et les autres, qui se nourrissent de manioc… La vie est bercée par les idéologies marxistes. À l’école primaire, chaque matin après avoir « dit du bien du camarade président Marien Ngouabi », la classe entonne des chants soviétiques. Michel est maintenant au collège, mais il se souvient bien de « Quand passent les cigognes », chanson russe traduite en français par ses maîtres dans laquelle les grands oiseaux blancs sont les soldats russes morts au combat. Michel est fier d’être lui aussi une cigogne blanche de la Révolution socialiste congolaise.
La Voix de la Révolution Congolaise
Maman Pauline, grossiste en bananes, a un fort caractère. Sur le Grand Marché, on la connait bien. Elle est née dans un village du Sud. Papa Roger n’est pas vraiment le père de Michel, mais c’est tout comme. Papa Roger a aussi une autre femme, Martine et plein d’autres enfants. Il travaille dans un grand hôtel et passe le reste du temps assis sous un manguier à écouter la Voix de la Révolution Congolaise sur un vieux transistor crachotant.
Les guerres, les présidents mis et démis, les coups d’état et le rôle de la France dans les pays d’Afrique, Papa Roger coupe parfois la radio pour raconter à Michel la vérité que la Voix de la Révolution congolaise ne relate pas toujours avec tous les détails nécessaires pour comprendre les dessous de la politique en Afrique. Parfois il faut même aller jusqu’à écouter la Voix de l’Amérique pour avoir en savoir un peu plus sur les événements qui se déroulent à leurs portes. « Cet arbre est un peu mon autre école », dit Michel.
Le samedi 19 mars 1977, Papa Roger et Michel sont comme à leur habitude sous « l’arbre à palabres », la Voix de la Révolution congolaise diffuse de la musique soviétique. Maman Pauline a préparé le repas et les a déjà appelés trois fois. Colère. Elle casse les assiettes et renverse le bon plat de porc aux bananes plantain sur le sol, invitant Mboua Mabé, le chien de Michel, à venir le manger sous les yeux médusés du père et du fils. Le chien n’aura pas le temps de finir. La radio s’arrête. Raclement de gorge. La Voix de la Révolution congolaise annonce la mort du camarade président Marien Ngouabi, le chef de la Révolution, à Brazzaville dans le palais présidentiel. Le chien s’arrête de manger et s’enfuit. Un geste qui signe le début d’une histoire qui va durer trois jours, et qui va réveiller les vieilles guerres interethniques et bouleverser la vie de Michel et de toute sa famille…
Pointe-Noire : immortelle
Ces trois jours, Alain Mabanckou les raconte à hauteur d’adolescent. Un point de vue à la fois naïf et intransigeant, qui donne tout son piment au récit. Le socialisme à l’Africaine, la corruption, le fétichisme, les coutumes, l’hypocrisie… Toute la petite société de Pointe-Noire est scannée par l’œil vif du jeune Michel. Alain Mabanckou met en scène avec humour la vie quotidienne du quartier tout autant qu’il trace les grandes lignes de l’histoire post-coloniale de son pays, à travers une délicieuse galerie de personnages croqués avec gourmandise.
Même s’il vit et enseigne la littérature aux Etas-Unis, l’écrivain franco-congolais n’en finit pas de revenir sur ses terres d’origine, à Pointe-Noire. « Cette ville et moi, nous sommes en union libre, elle est ma concubine, et cette fois je semble lui dire adieu » écrivait-il dans « Lumière de Pointe-Noire » (Seuil, 2013). Il y revenait pourtant deux ans plus tard avec « Petit piment » (Seuil, 2015). Il nous y replonge cette fois encore avec ses immortelles cigognes, un petit bijou de cette rentrée 2018, à lire en même temps que « Camarade Papa » (Le Nouvel Attila), de Gauz, un autre roman de cette rentrée qui parle, entre autres, du communisme à l’Africaine.