Par Pascal MALANDA
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Trois ans déjà ? Oui, le temps passe vite, très vite, trop vite. A peine Sassou a-t-il été élu de façon controversée et occasionnant au passage la plus grave crise postélectorale de l’histoire du pays, que le voici de nouveau face à l’histoire. Faut-il ou non participer à la présidentielles de 2021 ?
Si pour les républicains congolais la réponse coule de source, qu’en est-il dans le chef de Sassou ? En 1997, revenu au pouvoir par la petite porte de la force en enjambant des milliers de cadavres congolais au prétexte de défendre la démocratie violée par Lissouba, Sassou avait l’opportunité royale d’entrée dans l’histoire en quittant le pouvoir par la grande porte. 2016-2021 aura été pour Sassou le mandat de trop. Face à l’état de délabrement avancé de l’économie nationale, au désastre de la dette et à la pression sociale croissante, je me demande si Sassou ne regrette pas de s’être présenté en 2016. Parti en 2016, le scandale de la dette à 120% du PIB (en réalité plus de 200%) aurait éclaté en son absence. Il aurait eu l’occasion de se débiner sur ses successeurs. Malheureusement pour lui, tous les cadavres sortent aujourd’hui des placards à une allure vertigineuse. S’il a réussi le tour de force de faire avaler à 5 millions de Congolais la disparition des 20 milliards d’euros du fonds des générations futures, arrivera-t-il à calmer la révolte qui gronde et qui commence par le biais des étudiants congolais à l’étranger ? Ces clameurs lointaines ne seront-t-elles pas amplifiées sur place par les salariés impayés depuis des mois, par les retraités maltraités depuis des lustres, et même jusqu’à ses propres députés qui exigent leurs émoluments ?
Al Bachir vient de chuter pour avoir triplé le prix du pain. La situation du Congo est beaucoup plus grave que celle du Soudan. Toute l’énigme congolaise réside dans la question suivante : Comment un peuple martyrisé et humilié comme le peuple congolais, un peuple nargué par l’opulence étalée par quelques compatriotes sans cœur, arrive à supporter l’intolérable ? D’aucuns parleront de fétiches qui auraient ramolli les ardeurs vindicatives d’un peuple prompte à la révolte comme en aout 1963 ou en juillet 1968. Cartésien jusqu’à la moelle des os, je n’y crois pas un seul instant. J’entrevois en revanche un début d’explication dans la terreur et la division dans lesquelles sont plongés les Congolais depuis des lustres.
Combien de temps Sassou arrivera-t-il encore à maintenir le couvercle sur le chaudron congolais ? N’est-il pas temps d’ouvrir les soupapes et faire baisser la tension de plus en plus palpable ? N’est-il pas temps de trouver une solution réellement consensuelle et enfin favorable à l’épanouissement de ce pays béni de Dieu, mais maudit par l’incompétence et la méchanceté de sa classe politique ?
En l’espace de quelques mois, 5 autocrates africains ont quitté le pouvoir. Mugabe, Bouteflika et hier El Bechir ont été contraints par la rue à faire leurs valises. Kabila a choisi de bricoler une alternance électorale qui lui permettait de sauver sa peau. L’Angolais Dos Santos a préféré quitter le pouvoir avant que le pouvoir ne le quitte et, malgré les tracasseries imposées à ses proches, il continue de jouir d’une relative retraite paisible pour ‘’loyaux’’ services rendus à la nation. Les autocrates africains, jadis cramponnés au pouvoir, semblent donc atteints, l’un après l’autre, par le virus de l’usure du pouvoir et de la débâcle économico-financière. Si les pays arabes ont eu leur printemps politique avec effet de dominos, les pays africains semblent donc avoir choisi la voie de la contagion sournoise qui balaie les autocrates à intervalles réguliers.
La chute d’Al Bachir a dû provoquer des insomnies et des cauchemars au palais de Mpila. Je vois d’ici, les conseillers-courtisans s’agiter autour de leur chef afin d’essayer de le rassurer. Les uns avec les sempiternelles ‘’ pas de panique, le Congo n’est pas le Burkina ni le Soudan’’, les autres, plus lucides essaient de mettre en place une cellule de réflexion pour trouver la meilleure parade, le nième enfumage du peuple par un tour de passe-passe. Mais le ‘’patriarche’’ sait que la décision ultime lui reviendra et il l’assumera jusqu’au bout en buvant le calice jusqu’à la lie. Sauf à se ressaisir et à regarder la vérité en face comme le fit une fois Marien Ngouabi.
La chute d’Al Bachir doit aussi avoir agité les trois officines actuellement en pole-position pour succéder à Sassou : JDO, Kiki et Pierre Ngolo. En effet, sauf quatrième larron qui surgirait de l’armée ou de nulle part, le successeur de Sassou se trouve dans ce trio mbochi, gestion clanique et familiale oblige. Le drame de Sassou est de ne pas pouvoir s’appuyer sur l’un des trois sans déclencher la bérézina dans ce nid de vipères. Kiki qui avait tenté de se démarquer l’année dernière par une campagne avant l’heure a été très vite rappelé à l’ordre par Pierre Ngolo au nom du respect des règles du parti.
Ce faisant, Ngolo a affiché (sans le savoir ?) ses propres ambitions, sous le prétexte de jouer au gardien du temple et de calmer les ardeurs juvéniles d’un rival qu’il méprise probablement. Cela n’a pas échappé à une frange du PCT qui s’est cachée derrière Nonault-Soudan pour sonner le tocsin et tirer à boulets rouges sur le secrétaire général par intérim (on feint de découvrir aujourd’hui que son intérim dure déjà des années au mépris des règles du parti ?). Histoire de lui rappeler la précarité de son statut. Ses deux casquettes de président du sénat et de secrétaire général du PCT, lui sont certainement montées à la tête au point de se sentir pousser des ailes de présidentiable ou en tout cas de peser sur la désignation du candidat du PCT en 2021. Ses détracteurs, Nonault en tête, ont vite fait de lui rappeler une hypothétique interdiction de cumul de mandats. Prétexte bien trouvé pour lui arracher une des béquilles, sinon les deux.
Rappel bien sélectif, car en matière de cumul, Sassou non plus ne serait exemplaire, lui qui est même temps président du PCT et président de la république. Guéguerre de positionnement donc qui se passe sous l’œil vigilent de JDO qui avance masqué en essayant de cacher finement son jeu.
Et Sassou dans toute cette affaire ? Maître du jeu ou pauvre animal pris dans son propre piège de régime clanique prêt à le sacrifier pour se perpétuer. A moins qu’il ne choisisse de confier son destin au peuple en ouvrant le jeu, en aérant une arène politique étouffante et morbide. Dans tous les cas, les mois qui viennent nous promettent un spectacle politique passionnant. Une chose est sûre, pris entre le marteau de son entourage cupide, et l’enclume d’un peuple à bout, Sassou devra faire preuve d’ingéniosité pour se tirer d’affaire sans céder à la tentation d’un nième mandat forcément fatal.
Pascal Malanda
Le Congo Eternel