prostitution infantile
Par : Jean-Claude BERI
Interpellé par des nombreuses familles congolaises sur la situation grandissante de la prostitution infantile au Congo-Brazzaville, nous avions estimé qu’il fallait remettre cet article publié le 13 Mai 2010 en ligne pour témoigner à nouveau notre indignation devant le laxisme coupable des autorités congolaises.
Prostitution infantile : le devoir d’agir
Principe : 2 Déclaration des droits de l’enfant 20 novembre 1959:
« L’enfant doit bénéficier d’une protection spéciale et se voir accorder des possibilités et des facilités par l’effet de la loi et par d’autres moyens, afin d’être en mesure de se développer d’une façon saine et normale sur le plan physique, intellectuel, moral, spirituel et social, dans des conditions de liberté et de dignité. Dans l’adoption de lois à cette fin, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être la considération déterminante. »
Dernièrement Monsieur Elie Sosthène – Président d’ATTAC 3 nous a interpellés sur le phénomène grandissant de la prostitution infantile au Congo-Brazzaville. Bien que le sujet soit déjà connu par les différents acteurs de la société congolaise, il n’est pas moins utile de le marteler de nouveau afin que les esprits amnésiques s’en souviennent. Il n’est pas très aisé d’aborder le sujet vu les multiples raisons qui aujourd’hui poussent nos jeunes sœurs et frères à se livrer à cette activité indigne et dangereuse. Les contraintes auxquelles sont souvent soumises les personnes prostituées sont diverses. Elles peuvent être économiques, affectives et physiques.
Le plus souvent issues de milieux sociaux économiquement défavorisés, les personnes prises dans l’engrenage du phénomène de la prostitution s’y laissent entraîner dans le but de » contourner » une injustice économique ou de réparer une frustration sociale. Pour le cas express du Congo-Brazzaville, les événements qu’a connus le pays en 1997 (guerres civiles) ont largement contribués à l’expansion de cette solution de perdition. L’absence d’une vraie prise en main de la jeunesse abandonnée, livrée à elle-même est l’une des conséquences, parmi tant d’autres, que nous aimerions ici mettre en avant et surtout circonscrire quelques pistes pour tenter d’apporter tant peu soit-il une réponse.
Le vide social qu’a généré la fin de la guerre civile de 1997, a propulsé une bonne partie de la population congolaise dans une situation de dénuement totale et de victimes psychologiques aux conséquences aujourd’hui dramatiques, hypothéquant ainsi l’avenir d’une société congolaise en pleine mutation. L’on s’est empressé de désarmer les milices, de récompenser certains violeurs et bourreaux, de colmater les traces visibles d’une instabilité et des violences politiques, mais rien n’a été réellement pensé pour les victimes silencieuses de cette tragédie qui sont : les femmes et les enfants. Comme le témoigne Madame S. Germaine résidente du quartier BIFOUITI Arrondissement 1 Makélékélé « J’ai perdu mon mari pendant la guerre, j’ai été violé et j’ai eu cette fille que tu vois là, je l’ai élevé seule dans la misère. J’arrive plus à assumer et voilà qu’elle sort et découche que puis-je faire ? Pourtant elle n’a que 13 ans … ».
Cette complainte à elle seule résume en grande partie le désarroi de toute cette jeunesse. Les autorités congolaises en occultant cette réalité ont plus ou moins condamnées cette jeunesse à la perdition.
La pauvreté est un facteur déterminant qui pousse les enfants à s’engouffrer dans le monde de la prostitution. Sur le terrain, la constatation faite dans certains quartiers auprès des jeunes enfants prostitués, pointent leurs conditions sociales: Pointe Noire, au quartier Matendé et sur l’avenue de l’aéroport à l’angle de la brasserie, le spectacle sur l’avenue dite de l’envoûtement est inacceptable. Centre-ville de Brazzaville ; le rond-point de la coupole donne un spectacle humiliant dès la nuit tombée. A Moungali, il existe des ngandas de triste renommée, tel que celui de la rue Djambala appelé « Tao-Tao » et le « Nganda ba Sosso » dans le marché ; l’avenue de la paix devrait être rebaptisée avenue de la débauche…
A Makélékélé, il existe le « Nganda Mabouaka ». Les Congolais appellent cyniquement ces ngandas « les lieux de la mort ». Dans un pays soucieux du respect des règles d’hygiène et de santé publique, ces lieux seraient administrativement voir judiciairement fermés. Cette illustration n’est que démonstrative. Ce n’est pas une révélation, mais plutôt une confirmation sur le terrain.
Pauvreté, éclatement de la cellule familiale, maltraitance au sein de la famille, démission de l’école, absence de repères éducatifs, sexuels et également le travail précoce…Tous ces facteurs ont fait des enfants des objets sexuels aujourd’hui. A cela s’ajoute ce pseudo « consentement » de la société, qui ferme les yeux sur les abus sexuels sur les enfants.
L’absence d’une véritable politique de prévention engageant l’ensemble des citoyens à tous les niveaux de la société, de manière cohérente : Famille, Ecole, Travailleurs sociaux, Police, Gendarmerie, Justice, mais également responsables politiques est une erreur politique grave. C’est pour cette raison qu’il est totalement exclu de notre point de vue de considérer ce phénomène avec une certaine forme de légèreté inadmissible.
Nous avons l’obligation tout autant que nous sommes de se mobiliser pour que ce phénomène risible de prostitution des mineurs puisse prendre fin et donc lutter contre les causes de leur vulnérabilité n’est pas une mission que l’on doit mener en vase clos. Elle nécessite une réflexion approfondie associant toutes les compétences en matière d’insertion dans le domaine de l’emploi, du logement, de la santé, de l’accès au savoir… autant de facteurs à même d’empêcher les jeunes d’envisager la prostitution comme un moyen de vivre ou de survivre. L’Etat se doit de protéger les personnes les plus démunies en se donnant les moyens d’organiser, avec des partenaires, des politiques de prévention et de développer des actions, par exemple, dans le domaine de la protection de l’enfance. Il doit aussi être cohérent dans son message, notamment à travers sa législation. Ainsi, en matière de prostitution, à quoi sert-il de vouloir éduquer les jeunes au respect de soi et des autres, si par ailleurs un Etat cautionne , par une attitude laxiste , la prostitution, et de ce fait encourage le proxénétisme ?
En conséquence, il sera intéressant d’appliquer la loi qui interdit l’achat d’actes sexuels, et donc pénalise le client de la prostitution. Le Congo de demain que chaque citoyen rêve est une nation où les jeunes évolueront dans un pays qui annonce aussi clairement ses valeurs de dignité, de responsabilité, de respect, et surtout d’éducation. L’arme pour atténuer ce phénomène existe et c’est la loi. Seulement faudrait-il qu’elle soit respectée par l’autorité elle-même qui en somme affiche un comportement de délinquant s’estimant au-dessus de la loi. L’avenir de toute une jeunesse ne peut être mis en balance avec les préoccupations mercantiles, c’est un délit politique inexcusable.
Il est plutôt souhaitable qu’une sorte d’Etats généraux de l’enfance soit initié pour prendre en compte dans toute son essence le désarroi profond de la jeunesse congolaise.
Toutefois, ce problème exige une implication et une mobilisation de tous les acteurs, en rapport avec la société : Cela implique les parents, les acteurs des milieux associatifs, de la presse et surtout de l’autorité politique. De même, il incombe à chacun de nous de libérer sa part d’humanité et de tendre la main à ces enfants condamnés à la misère en ayant un comportement ferme et digne . Notre silence ou encore notre résignation est un aveu d’échec qui condamne davantage nos jeunes sœurs et frères. Avant d’accuser qui que ce soit, commençons par s’interroger sur nos propres actes et notre propre implication. C’est ainsi que nous avancerons ensemble vers une reconstruction d’une nation solidaire. Sans vouloir donner de leçons de morale à qui que ce soit, agir même par ces modestes écrits c’est apporter une contribution non négligeable. Construisons dès maintenant cette chaîne de refus de la prostitution infantile. Chacun de nous est le frère d’un enfant abusé par la cupidité des hommes sans morale ni compassion. Agir c’est les aider à recouvrer une dignité.
Jean Claude BERI