Congo :  » La démocratie et l’État de droit doivent encore attendre »

droits-homme1-300x150-6701450 Un homme victime de torture dans le département congolais du Pool.
© OCDH

Par  Matthieu Vendrely

« La terreur et la répression permanentes conjuguées avec la manipulation de l’opinion publique internationale par les gouvernants« . En une centaine de pages, l’Observatoire congolais des droits de l’Homme brosse, dans son rapport annuel publié ce jeudi 9 mai, un tableau accablant de la République du Congo de Denis Sassou-Nguesso.

C’est l’histoire d’un hiatus. Un énorme décalage entre l’affichage et la réalité. D’un côté, un État qui, dans ses discours et ses lois, affirme protéger ses citoyens. De l’autre une réalité : des droits humains bafoués, une justice défaillante, une police violente et corrompue.

En une centaine de pages, s’appuyant sur des cas précis, le rapport détaille les pratiques des autorités congolaises qui, selon l’Observatoire Congolais des droits de l’Homme, « font partie des stratagèmes efficaces pour la conservation du pouvoir le plus longtemps possible« .

La situation des droits humains au Congo-Brazzaville demeure préoccupante. Elle est la conséquence de la mise en œuvre d’une doctrine cynique et manipulatrice qui régit la gouvernance en la matière dans le pays.

Extrait du rapport 2019 de l’Observatoire congolais des droits de l’Homme

Le document s’appuie sur des enquêtes menées en 2017 et 2018, dans un contexte politique et sécuritaire tendu. En 2015, la Constitution a été modifiée, permettant au président Denis Sassou-Nguesso de se maintenir au pouvoir à l’issue d’une élection très contestée en 2016. Parallèlement, le département du Pool, dans le sud du pays, a été d’avril 2016 à décembre 2017, le théâtre d’une guerre entre les forces gouvernementales et les miliciens du pasteur Ntumi. Deux actualités peu propices à une amélioration.

Une justice aux ordres

La justice congolaise est très largement mise en cause dans ce rapport. « Le gouvernement en général, les ministres et hauts responsables civils et militaires en particulier, souvent ne respectent pas l’indépendance de la justice. Ils envoient constamment des instructions aux procureurs et aux juges sur les démarches et décisions qu’ils sont censés prendre » , peut-on lire. Cas emblématique, celui de l’opposant Jean-Marie Michel Mokoko qui, après avoir revendiqué la victoire à la présidentielle de 2016, a été condamné à 20 ans de prison pour « atteinte à la sécurité intérieure de l’Etat et de détention d’armes de guerre » , à l’issue d’une procédure émaillée d’irrégularités.

« La justice congolaise éprouve de sérieuses difficultés, estime Trésor Nzila, le directeur exécutif de l’OCDH. Elle n’arrive toujours pas à revendiquer son indépendance. Le problème de la formation des magistrats et son incapacité à se détacher de l’emprise des politiques fragilisent sa capacité à être un rempart pour les victimes des violations des droits humains ».

Torture et exécutions sommaires

C’est par des exemples et des récits détaillés que le rapport décrit l’attitude de la police congolaise. Ils s’appellent Kolela Bourges, Roxy Okemba ou Mananga Stephen : tous -et le rapport en cite des dizaines- ont eu affaire à la police pour des raisons plus ou moins légitimes. Dans chaque situation l’épisode s’est soldé par la mort ou des séances de torture.

L’OCDH revient, par exemple, sur la mort de treize jeunes au commissariat de Chacona à Brazzaville en juillet 2018. Arrêtés officiellement dans le cadre d’une opération destinée à « traquer les bandits » , ils seront torturés et exécutés en garde à vue. La police tentera d’expliquer que les jeunes sont morts dans des affrontements entre bandes rivales. Six policiers seront finalement mis en cause et condamnés en mars 2019 à des peines allant de 1 à 3 ans de prison pour « homicide involontaire et non-assistance à personne en danger » . Le verdict fait l’objet d’un appel. L’OCDH révèle pour sa part que les treize jeune n’avaient certainement aucun lien avec les gangs.

Nous avons tenté à plusieurs reprises de joindre Thierry Moungalla, ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement pour commenter le rapport de l’OCDH. En vain.

Comment expliquer le comportement de la police et l’impunité dont elle bénéficie ? « La survie du régime dépend des hommes en arme, explique Trésor Nzila.  Quand ils sont responsables de violations des droits de l’Homme, la justice ne peut pas intervenir. La torture est une pratique courante. Nous avons une force publique qui n’est pas professionnelle. Après la guerre fratricide de 1997, il a fallu récompenser les efforts de guerre. La police et l’armée ont beaucoup recruté des gens sans formation, sans instruction, c’est eux qui peuplent aujourd’hui la force publique et qui bénéficient d’un régime d’impunité. Ils peuvent tout se permettre ».

prison-mouyondzi-300x232-9876158 La maison d’arrêt de Mouyondzi, dans le département de la Bouenza (centre)
© OCDH

Dans le viseur

Rapporter ces histoires ou protester contre ces graves dysfonctionnements relève également de la gageure.

L’Observatoire congolais des droits de l’Homme consacre un chapitre à la liberté d’expression, d’information et de manifestation. Syndicalistes, militants de la société civile ou journalistes sont fréquemment dans le viseur des autorités.

Au quotidien, les Congolais subissent de plein fouet une crise économique accentuée par la chute du prix du pétrole. Santé et éducation souffrent tout particulièrement. Dans le rapport, l’OCDH relate la situation désastreuse à Kellé.

« Le droit à un environnement sain »

Fin 2016, le président congolais Denis Sassou-Nguesso annonçait la création du fonds bleu pour le Bassin du Congo. Objectif : préserver ce territoire riche de ses 220 millions d’hectares de forêts. « L’initiative a deux grandes ambitions : la préservation des forêts et des eaux du Bassin du Congo, mais aussi aider les populations à accéder à une meilleure qualité de vie« , pouvait-on lire dans le communiqué de la fondation Brazzaville. Le chantier ne concerne par uniquement la République du Congo mais son président en est le fer de lance. Sur le terrain, néanmoins, selon les rapporteurs de l’OCDH, le constat est alarmant. Dans son chapitre consacré à l’environnement, l’observatoire s’est notamment intéressé à plusieurs permis d’exploitation de l’or dans le Nord du pays, dans les districts de Souanké et de Kellé.

Impacts environnementaux, conséquences pour les populations, réhabilitation des terrains exploités… L’enquête révèle que quasiment aucune disposition réglementaire n’a été respectée, « les espaces dégagés sont simplement abandonnées après l’exploitation, sans réhabilitation aucune, laissant l’aspect d’une catastrophe naturelle », peut-on lire. Le rapport souligne toutefois qu’après « une campagne de dénonciation (…) les pouvoirs publics ont pris des mesures à minima, c’est à-dire la suspension des permis. Aucune société n’a été contrainte de réhabiliter les zones détruites, aucune d’elle n’a été réellement sanctionnée « .

Une présidentielle qui inquiète

« Aucune politique véritablement engagée ou législation courageuse n’est concrètement mise en œuvre pour respecter et faire respecter les droits humains », peut-on lire dans la conclusion du rapport de l’OCDH.
Y’a-t-il, dès lors, des raisons d’espérer ? « Il faudrait changer la doctrine du gouvernement en matière de droits humains, considère le directeur exécutif de l’OCDH, mais il n’y a pas de signaux positifs. Nous avons dans 2 ans, en 2021, une élection présidentielle. Nous avons vu ce que celle de 2016 a engendré comme violations des droits de l’Homme et nous craignons que la situation ne s’empire davantage ».