Mise au point inaugurale… Quoique centrées sur le Congo-Brazzaville, mon pays d’origine, les analyses et réflexions mises en relief dans cet article sont aussi valables, à des degrés variables, pour les autres pays de la planète. En conséquence de quoi, les inéluctables différences entre pays, différences pour l’essentiel liées à des contextes variés, relèvent davantage d’une « échelle de perception », ou d’une « grille de lecture », que d’une « nature immuable des choses »…
Fermons cette parenthèse introductive, histoire d’en ouvrir d’autres. Soit autant de « fenêtres de tir ». D’où chacun pourra poser un regard panoramique, de nature à inscrire les choses, ainsi que leurs causes profondes, non seulement dans une perspective globale, mais également dans la cohérence d’une vision d’ensemble. L’enjeu étant, non pas de « penser localement, dans la perspective d’agir et/ou de réagir globalement et mondialement » (1), mais plutôt de « penser globalement et mondialement, dans la perspective d’agir et/ou de réagir localement»…
Avant-propos…
En guise d’introduction, je commencerai par nuancer le propos. Comment? En mettant en garde nombre de mes concitoyens contre la tendance – potentiellement contre-productive, si ce n’est dangereuse – à accorder une importance certes réelle, mais souvent démesurée et disproportionnée, aux infrastructures de soins, à commencer par le Centre Hospitalier Universitaire (CHU) de Brazzaville. Pourquoi donc une telle mise en garde?
Hôpital: simple réalité de façade et de surface…
Au risque d’en surprendre plus d’un, je me permettrai d’affirmer, en prenant appui sur des faits concrets et probants, exactement ceci: En l’état actuel des choses et de leurs causes profondes, les infrastructures de soins ne constituent pas, en dépit de certaines apparences trompeuses, le « cœur du problème ». Du moins, dans une « grande agglomération » comme… Brazzaville. A cela, une raison, plutôt édifiante et instructive. Laquelle?
Contrairement à bien des localités africaines, Brazzaville dispose, actuellement, d’une couverture hospitalière qui, rapportée à sa population, n’a rien à envier à certaines villes d’Europe de l’Ouest et même des Etats-Unis (je ne plaisante pas du tout…). A titre d’exemple, les Brazzavillois disposent de… cinq « grosses structures hospitalières » (à l’échelle du Congo). Entre nous: ce n’est pas rien, dès lors que peu de capitales africaines peuvent se prévaloir d’un plateau technique aussi éloquent. Et d’une densité à l’extrême limite de la… concentration. En plus d’être harmonieusement réparti d’un point de vue géographique…
A vrai dire, chacun l’aura constaté, il m’arrive souvent, indépendamment de tout chauvinisme, d’être plutôt admiratif, à l’égard de la couverture hospitalière de Brazzaville. Mais, il y a un « mais, et ce « mais », loin d’être un « simple détail », est de taille. Continuons…
Hôpital: régulateur incertain des tensions entre environnement global et développement local…
Autant le rappeler, quitte à le marteler avec conviction et résolution: Les infrastructures de soins ne constituent pas, et loin s’en faut, le « nœud du problème », dans un pays comme le Congo-Brazzaville… Pourquoi?
Élément de réponse: les hôpitaux de la place, à commencer par le CHU de Brazzaville, n’ont cessé de bénéficier, sous l’impulsion d’une idéologie progressiste, d’investissements massifs et intensifs durant les décennies 1970-1980, et même au-delà. Oui, (proportionnellement) « massifs » et « intensifs », au risque de laisser à la traîne les véritables enjeux et défis: c’est-à-dire, non seulement le dépistage et la prévention, mais également l’hygiène et l’assainissement. Ainsi, pour avoir « cannibalisé » et « parasité » une part non négligeable des ressources disponibles (humaines, financières et autres), le CHU de Brazzaville a aujourd’hui une grande part de responsabilité dans les dangereux déséquilibres dont souffre le système sanitaire congolais.
De ce qui précède se dégage, – « plus parlante que jamais », tellement les faits sont plutôt éloquents -, une question-clé, ainsi libellée: Que se passe-t-il exactement à Brazzaville?
Nouvel élément de réponse: à partir du moment où l’hygiène, l’assainissement, le dépistage et la prévention présentent des défaillances et insuffisances criardes, c’est en pratique aux hôpitaux de référence, alors qu’il ne s’agit en rien de leur rôle, qu’il revient, trop souvent, la mission de pallier lesdites défaillances et insuffisances. Ce qui contribue, malheureusement, à des incohérences préjudiciables à plus d’un Congolais. Cela va de soi: les hôpitaux de la place, si sophistiqués soient-ils, ne peuvent pas être performants en jouant un rôle qui n’est pas le leur. En se consacrant, par exemple, à des « prestations de proximité et de terrain », plutôt que de se concentrer sur des « prestations spécifiques et spécialisées »… D’où cette nouvelle mise en garde. Laquelle?
Hôpital: troublant reflet des réalités et spécificités d’une société…
En l’état actuel des choses et de leurs causes profondes, investir massivement et intensivement au profit du CHU de Brazzaville, ou construire des « centres spécialisés » dans ce qu’il y a de plus moderne et sophistiqué, c’est comme vouloir doper un véhicule (système sanitaire congolais) dont le moteur (hygiène, assainissement, dépistage et prévention) est défaillant. Concrètement et brièvement: il n’y a rien de plus dangereux que de procéder de la sorte. Car grand est le risque de faire exploser, si ce n’est d’endommager sérieusement, le moteur, mettant ainsi en danger la vie des passagers à bord du véhicule (les patients ou, tout simplement, les Congolais)…
Pire, dans le contexte actuel, le plateau technique hospitalier ayant – c’est peu dire – un coût, toute injection massive et intensive d’argent frais dans les caisses des hôpitaux de la place, ou dans celles des « centres spécialisés », ne peut qu’aggraver les inégalités et disparités, dans un pays où la quasi-totalité des gens n’ont pour toute sécurité sociale que leurs… poches (quand ces poches ne sont pas vides, cela va de soi…). Tout le contraire de l’hygiène, de l’assainissement, du dépistage et de la prévention, champs d’action et d’intervention dont on sait, par expérience, qu’ils profitent en priorité, non pas à des individus (ceux qui peuvent payer de leur poche), mais plutôt à la collectivité dans sa globalité comme dans sa diversité. Exemple concret: assainir tel quartier insalubre de Brazzaville ou de Kinshasa, en évacuant, efficacement et quotidiennement, les ordures et les eaux usées, protège du paludisme (2,3) aussi bien « tel Directeur d’entreprise ayant pignon sur rue » que « telle vendeuse d’arachides, célibataire-mère vivant d’expédients). J’ajouterai: «… protège du paludisme, bien mieux que tel service de réanimation (hyper sophistiqué), mais dont les coûts de fonctionnement (exorbitants) excluent de facto les pauvres (4) »… Pas besoin d’avoir un « Doctorat en Economie, en Sociologie ou en Médecine » pour comprendre de telles évidences. A méditer…
Hôpital: baromètre crédible des pressions environnementales, sociales et économiques à l’échelle d’un pays…
De nos jours, en raison des problèmes récurrents de structure et de fonctionnement (ce n’est même pas une question d’argent à la base), le CHU de Brazzaville, exemple des plus édifiants voire terrifiants par certains aspects, n’est même plus capable de rentabiliser les investissements, fussent-ils massifs et intensifs, dont il fait pourtant régulièrement l’objet. En d’autres termes, ce « mastodonte administratif » œuvre comme à s’égarer, au risque de s’y enliser, dans une logique d’escalades financières et de surenchères dépensières – l’enjeu du moment étant de s’inscrire dans une dynamique d’analyses fines et de réflexions pointilleuses –, aux allures de « navigation à vue », c’est-à-dire sans boussoles ni balises…
Pour le reste, sauf à vouloir s’enfoncer dans le plus sombre des pessimismes et/ou catastrophismes: Disons OUI à des investissements ciblés au profit des « pôles de référence et d’excellence », mais, restriction valant son pesant d’or, seulement après avoir assaini, et tout en assainissant en permanence, l’environnement local…
Tout compte fait…
Ne nous voilons pas la face: en tant que régulateur défaillant des mutations et fluctuations inhérentes à toute société, quand bien même il s’agit du secteur de la santé, l’hôpital est, et demeure, le reflet d’un équilibre, plutôt fragile, entre sécurité environnementale et disparités sociales. Dès lors, en l’absence d’investissements adéquats au profit de l’hygiène et de l’assainissement, ainsi qu’en l’absence de tout effort soutenu portant sur le dépistage et la prévention, les infrastructures de soins, entités censées être des « pôles de référence et d’excellence », se condamnent, inéluctablement et malencontreusement, à devenir: soit des « pôles d’exclusion » (« méga machines à exclure »), soit des « pôles d’incompétence et d’inconséquence » (5), soit des « pôles d’incohérence et d’inconsistance ». Grand est alors le risque, un de plus (il y en a tellement), de faire de l’hôpital cette… « bombe médicale » qui, faute d’être désamorcée par des politiques appropriées de « sécurité environnementale », ne peut qu’induire, à défaut d’y contribuer efficacement, des… « explosions sociales » en chaîne… D’où le message-clé de cet article, dont voici la formulation, je l’espère, sans équivoque ni ambiguïté: Construisons des hôpitaux, mais pas à n’importe quel prix… Ce qui veut aussi dire: Aménageons des hôpitaux, mais pas au mépris des exigences du développement durable et équitable…
Docteur Michel ODIKA (6)
PS. N’oubliez pas de consulter, à défaut d’y participer, le forum qui pourra un jour aboutir à la mise en place d’un Observatoire du Paludisme au Congo.
Notes et références
1. Seuls les idéologues « pensent localement, dans la perspective d’agir et/ou de réagir globalement et mondialement ». Ce qui fait d’eux des hommes dangereux, et d’autant plus dangereux qu’ils n’ont pas conscience de l’être…
2. Malaria Funding Requirements (Michel ODIKA, World Bank, Washington, 2010).
3. Malaria Observatories: Focus on the Millenium Development Goals (Michel ODIKA, World Bank, Washington, 2011).
4. Même la gratuité des soins contre le paludisme – initiative censée profiter aux pauvres, donc initiative a priori « généreuse et séduisante » – se révèle être, en l’absence de mesures environnementales adéquates, une alternative, non seulement contre-productive (donc inefficace), mais aussi, paradoxalement, une mesure « financièrement coûteuse » (nombreux « coûts cachés ») et « politiquement incohérentes » (nombreux problèmes de fond laissés en suspens) – cf. Paludisme: gratuité des soins en question (Michel ODIKA, Tribune de Genève, 2011).
5. Mise au point qui s’impose, histoire de dissiper tout malentendu ou toute équivoque: par « pôle d’incompétence et d’inconséquence », j’ai tout simplement voulu dire que les hôpitaux tendent à faire ce qui ne relève pas de leur… « champ de compétence ». S’ensuit, inéluctablement, une inconséquence, involontaire, tenant lieu de source nourricière à des insuffisances, qui ne riment pas nécessairement avec… malveillance. Par conséquent, mes propos ne visent en rien le personnel de soins, quel qu’en soit le pays d’exercice. S’agissant de ce personnel, dont je fais moi-même partie, je dirai volontiers qu’il ne constitue pas le « fond du problème »: du moins, pas plus que les hôpitaux dont ce même personnel relève…
J’espère ainsi, par cette mise au point, éviter toute polémique futile et stérile: le Congo-Brazzaville, pas plus que n’importe quel autre pays, n’en a pas besoin…
6. Coordinateur d’un projet visant à doter le Congo-Brazzaville d’un Observatoire du Paludisme.
09:28 Publié dans Santé | Lien permanent | Commentaires (0) | Envoyer cette note | Tags : hôpital et cohésion sociale, hôpital et intégration sociale, hôpital et développement durable, hôpital et développement équitable, hôpital et sécurité environnementale, hôpital et responsabilité environnementale, hôpital et gouvernance, hôpital et escalades financières, hôpital et surenchères dépensières, hôpital et déséquilibres budgétaires.