MBIKI DE NANITELAMIO
Par Félix BANKOUNDA MPÉLÉ
Mort d’un authentique, intransigeant et inoxydable patriote et démocrate congolais : MBIKI DE NANITELAMIO
(Hommage)
Un homme s’est éteint tranquillement dans son sommeil, le 2 mai, à Québec au Canada où il vivait en exil depuis deux décennies, loin de son pays natal auquel il était très viscéralement attaché, après avoir, comme il en avait l’habitude, fait un clin d’œil à ses amis facebook, après avoir exprimé et rappelé son obsession, après avoir galvanisé ses compatriotes, ou plus précisément les patriotes, sur ce qui, selon lui, devait être le devoir de tout Congolais. Cet homme, qui s’en va à 69 ans, et qui sera inhumé ce jour 18 mai, c’est Charles Adolph MBIKI de NANITELAMIO. Oui, NANITELAMIO qui, coïncidence heureuse des choses, signifie dans sa langue maternelle, comme il le rappelle lui-même, « À qui confier ma prédilection, ma prédiction ».
MBIKI de NANITÉLAMIO s’était révélé, au sein de l’historique et originale instance que fut la Conférence nationale congolaise de 1991, comme l’homme génial, fin, alerte, incorruptible et vigilant qui, très tôt et avant tout le monde, a certainement compris et pris à cœur les enjeux au sein de cet hémicycle, les faiblesses et pathologies de la société congolaise, mais surtout les ambitions et hypocrisies illimitées des acteurs politiques qui, au nom de celles-ci, sont capables de tout. C’est cette conscience, ce génie qui lui permet, à plusieurs reprises, de deviner ce qu’il y a derrière une phrase et une expression, ce qu’il en adviendra et, ainsi, de jauger les moments et marquer, ou plutôt sceller les phases, étapes et points dans la marche vers le rétablissement de l’État et ses symboles, tel qu’il n’acquit à son indépendance.
À croire qu’il avait, bien avant l’événement, théorisé ou traité dans un laboratoire les mesures d’accompagnement. Autrement dit, au contraire de ce comportement quasi général d’une ‘démocratie tombée du ciel’ et donc peu pensée, lui en mesurait autant les fragilités, les risques de rétropédalage et de rechute, et qu’il fallait, par conséquent, autant que possible, marquer symboliquement les étapes, ne pas céder tout de suite à la tentation opportuniste et politicienne, cette marque de fabrique très congolaise, corollaire de la primeur des intérêts politiques, individuels ou partisans, sur l’idéal patriotique et démocratique. C’est cela Mbiki de Nanitélamio, sa spécificité. Ce qui, très rapidement et presque spontanément, le met à l’abri des ‘grands’ partis, qui se voyaient déjà à l’affiche, et donc prêts à toutes les transactions et stratégies, pour ne pas louper le pouvoir à portée de main.
Ainsi, conscient et observateur des appétits et manigances hors-normes des autres, des incertitudes de la nouvelle donne, réaliste sur le poids de son entreprise politique personnelle (plutôt modeste) mais ferme sur ses idées, il ne pouvait que facilement se rendre compte, très mathématicien, que dans ce contexte, le rôle qui devrait être le sien et des autres de son envergure, c’était moins de se jeter dans la mêlée dont la trajectoire était suicidaire, que de servir à la fois de force tampon et de rappel, chaque fois que possible, aux tendances et initiatives très vite visibles de laminage du système à peine inauguré, inspirées du refus de perdre. C’est ainsi, et presque naturellement, comme force de guet, de recentrage et de rappel de l’esprit et de l’idéal démocratiques que s’estime et se constitue Monsieur Mbiki de Nanitélamio. Ce qui lui évite ainsi, définitivement, l’hypocrisie, la mauvaise foi, les manipulations et combinaisons hasardeuses et incohérentes qui vont progressivement et rapidement briser le nouveau régime, avant même qu’il ne s’installe. Pas étonnant que, dans l’esprit de Mbiki de Nanitélamio, qui a partant mesuré l’énorme coût et les risques qui pointaient, certains grands acteurs de la vie politique congolaise soient apparus comme des « enfants jouant avec une grenade dégoupillée », le rendant ainsi irascible, mais aussi le contraignant à la responsabilité, plus de responsabilité, presque autant qu’un père devant des enfants inconscients du risque et des coûts de leurs méfaits.
Dans cet ordre, à la surprise générale et avant tout le monde, MBIKI est ainsi, dans la mémoire collective, celui qui réactivera l’hymne nationale et le premier drapeau congolais, à son accession à l’indépendance, les remettant ainsi solennellement au président de la Conférence nationale, Monseigneur KOMBO. C’est avec une légitime fierté qu’il aimait à le rappeler : « Le seul acte que Sassou-Nguesso n’a pu tuer jusqu’ici c’est le drapeau et l’hymne de l’indépendance… C’est le troisième Acte de la Conférence nationale, celui de la restauration des symboles de la République… j’ai fait une déclaration le 24 mars 1991… Les symboles de la République c’est moi et non quelqu’un d’autre »
C’est clair, indiscutable et connu de tous, et c’était loin d’être un hasard. C’était là, en fait, la révélation et l’expression de ses qualités intrinsèques et hors-normes, dont les particularités, les valeurs et la profondeur ne se liront que progressivement, au regard des pratiques politiques dominantes des Congolais.
Tout observateur régulier, fin, objectif et désintéressé du discours et des comportements politiques au Congo, essentiellement à partir du fameux « printemps africain » du début des années quatre-vingt-dix vite clos, a en effet forcément été marqué par le contraste permanent entre l’apparent engouement des Congolais pour la démocratie et les pratiques antinomiques ! De telle sorte que l’on se demanderait s’ils n’étaient pas anarchistes, habités ou victimes d’un énorme quiproquo politique, de l’immaturité politique, s’ils n’avaient pas un penchant immodéré et inconscient pour la bêtise politique, pour le masochisme politique, si ce n’est l’ensemble à la fois. Mais, on connaît, à cet égard, l’argument facile ou optimiste : le peuple a toujours raison ! A condition qu’il soit de bonne foi.
Ce qui peut se comprendre pour le peuple, de façon générale, ne l’est cependant pas pour les dirigeants ou acteurs politiques dont la mauvaise foi et l’inconséquence, souvent volontaires, constituent plutôt la règle. Le pouvoir justifiant tout…
Les différents observateurs, selon leur épaisseur, leur sensibilité ou culture, leur engagement ou pas, n’ont ainsi pas manqué, à leur façon, d’exprimer leur sentiment à cet égard. Si on connaît la rengaine classique, essentiellement occidentale, de « l’Afrique pas du tout mûre pour la démocratie », d’autres ‘catalogages’ et expressions abondent qui dénotent ou décrivent de sérieuses incertitudes générales dont le résultat s’est illustré, très prématurément au Congo, par des crises politiques populairement et aveuglément soutenues, dont le couronnement a été, en été 1997, la résurrection ou la restauration de l’ancien régime dictatorial et criminel.
Ainsi, et à titre indicatif, si l’écrivain politique Calixte Baniafouna y voit « Les déboires de l’apprentissage », que l’universitaire et politiste français Patrick Quantin y constate « les débordements des débats hors de l’hémicycle », l’écrivain et homme politique congolais Guy Menga, avec quelque amertume, constate que « les Congolais aiment bien les situations qui ont tendance à compliquer la tâche de celui ou de ceux qu’ils choisissent d’une façon ou d’une autre pour conduire les destinées du pays…afin de le mieux critiquer ou d’en faire publiquement le procès par la suite. … cela se dit ‘compliquer la culotte à quelqu’un’ »
Sans doute que la part de ces portraits n’est pas à négliger. Mais, s’il est une caractéristique globale et évidente c’est un couplage, une dose d’hypocrisie doublée d’une confusion du souhait avec la réalité parfois non dénuée d’innocence, qui se traduit étonnamment et concrètement par l’exclusion quasi viscérale de l’échec dans le jeu démocratique, au point de fracasser totalement ledit ‘jeu’ : ici, la démocratie c’est souvent un discours d’apparence, un prétexte en vue du gain ou de la conquête du pouvoir. Autrement dit, « ça passe ou ça casse » ! Credo vérifié sur toute la ligne dès la fin des échéances électorales de la première et réelle expérience démocratique, l’été 92.
La pratique dominante au Congo, à l’orée de la démocratie, en 1992, est donc celle de « mauvais perdant », comme on le dit trivialement, celle du primat du pouvoir sur la démocratie que, l’écrivain et homme politique congolais déjà cité, Guy Menga, perspicace, entrevoyait déjà : « En notre qualité d’observateur intéressé, nous en avons déduit (espérant que les faits nous démentiront) que les perdants des prochaines échéances électorales, de quelque bord qu’ils soient, ne faciliteront pas la tâche à ceux qui en sortiront vainqueurs. Et si l’odeur de pétrole …continue d’empester l’atmosphère politique du Congo…, il y a tout lieu de redouter que les premières années de la vie démocratique ne produisent le même désenchantement que celui observé après les fameuses indépendances des années 60 ».
Il restait tout de même, dans cette véritable marre aux diables, quelques oiseaux rares qui ne se sont pas départis de la règle d’or selon laquelle, « la démocratie relève de la poule aux œufs d’or à sauvegarder à tout prix ». Parmi ceux-ci, MBIKI DE NANITELAMIO.
Teigneux voire agressif, péremptoire sinon cassant, manichéen frôlant l’égocentrisme, intransigeant presque toujours menaçant du « sinon je m’en vais », râlant sur toutes les contradictions, y compris mineures, africaniste classiciste, etc., tel est, globalement, le profil de l’homme à l’éternelle écharpe orange-rouge, Mbiki de Nanitélamio.
Ce sont là les premières impressions que nous avons personnellement eues de cet homme, dont j’avais entendu parler de loin, et avec qui je devais échanger hebdomadairement pendant quatre mois, de novembre 2014 à février 2015, en groupe et en audio, pour la préparation d’une éventuelle Table Ronde Congolaise, pour tenter d’esquisser des moyens de parade au nouveau coup d’État de Sassou-Nguesso qui se dessinait clairement au Congo. Ce fut donc l’occasion de mieux approfondir la connaissance du personnage, au-delà des impressions premières, par des échanges plus personnels et directs sur les réseaux sociaux, l’échange des points de vue sur certains événements du pays, de l’Afrique et du monde, mais aussi la lecture de nombreuses de ses déclarations et interviews. On le comprenait mieux, lui et sa rage, ses dénonciations vibrantes qu’il ne cherchait nullement à cacher : MBIKI ne supportait pas, et en avait marre des endémies politiques et démons congolais de toujours, d’où qu’ils viennent. Il s’était forgé des vérités et convictions, et les exprimait sans langue de bois, avec un franc-parler détonnant.
Par-dessus tout, l »opportunisme, les combinaisons politiques, le machiavélisme lui hérissaient le poil, car il abordait les problèmes politiques avec une cohérence et une rigueur mathématiques, et ce n’est pas non plus, là, un hasard. Il était professeur de mathématiques de métier.
C’est armé de cette logique, et d’un amour profond et extraordinaire pour son pays, que MBIKI de NANITÉLAMIO observe, traite les différentes problématiques congolaises, tranchant ainsi de façon catégorique avec ce marigot politique congolais truffé d’idées reçues, de convenances, de démons cachés.
Ainsi, quand notamment il aborde la question des combinaisons et alliances politiques immédiatement post-électorales de 1992, dont on sait qu’elles ont signé les deux premières crises de l’ère démocratique, et à jamais pourri son rodage, avant que le pouvoir issu des urnes n’ait commencé à fonctionner, il rappelle que « je déclarais le 31 octobre 1992 que l’alliance MCDDI-PCT est un danger pour la République. Ce qui m’a coûté d’être interdit d’entrer dans Bacongo »
De même, abordant l’éternelle question ethnique, qui fait l’objet d’une exploitation politicienne, au détriment d’une démocratie apaisée, il tranche là également de façon décomplexée, et avec une objectivité, une logique et une cohérence inhabituelles : « À propos du conflit sud-nord ou nord-sud que certains veulent amplifier…c’est un faux problème qu’utilise tout malhonnête nordiste conscient de ne pas accéder au pouvoir par la voie des urnes. C’est faux car Lissouba Pascal, qui est issu de la plus petite minorité tribale avait su gagner sur toute l’étendue du territoire national… Depuis 1968 il n’y a eu que Lissouba Pascal, le premier président démocratiquement élu que Sassou Nguesso n’a pas permis de gouverner et qu’il est venu renverser à un mois de l’élection présidentielle qui était en sa défaveur »
Mieux, et contrairement à la méprise générale des Congolais confondant souvent les enjeux, MBIKI de NANITÉLAMIO participe ici à la dépersonnalisation de la politique contre cette autre pathologie congolaise où souvent, et selon l’expression triviale, ‘on a jeté l’eau du bain avec le bébé’, en martelant que « Le retour de Sassou Nguesso en 1997 par les armes c’est d’abord et avant tout le renversement de la démocratie ». Peu lucides, nombreux Congolais n’y ont vu dans les premiers moments, curieusement et dans une personnalisation assez sidérante, que le renversement de Pascal Lissouba, avant de subir les affres d’une dictature sans précédent.
Ce franc-parler, notamment dans la fameuse question nord-sud au Congo, et dans son affirmation du « Pool locomotive du Congo », malgré son invocation de Lissouba comme initiateur de l’expression, lui a valu ce procès facile, très courant ici, et qui, on le dira tout de suite, cache bien souvent les propres démons de ceux qui accablent. Il faut l’assener, aimer sa région est tout sauf un problème, celui-ci n’existant que dès le moment où l’on commence à privilégier sa région, sa collectivité d’origine et ses ressortissants sur la collectivité nationale, comme l’illustre, volontairement, Sassou Nguesso. Non pas par amour réel, mais plutôt par machiavélisme pour brouiller ses vraies préoccupations. Objectivement et visiblement inapte et indigne à diriger un État, mais absolument addict au pouvoir et tout ce qui s’y attache, l’éternel dictateur et criminel, désormais lucide et convaincu tout de même qu’il est et restera condamné par l’histoire pour ses multidimensionnels crimes, n’a trouvé comme seule stratégie que de manipuler sa collectivité d’origine, par une discrimination ouverte et insolente en sa faveur, en lui laissant croire que c’est pour eux et dans leur intérêt qu’il aura commis tous ces forfaits, alors que les raisons majeures sont ailleurs : satisfaire ses instincts, son appétit insatiable pour le pouvoir et l’humiliation des autres, comme tous les petits hommes, tous les complexés de l’histoire de l’humanité qui, par le hasard des choses, ont acquis le pouvoir.
Mais, par dessus tout, MBIKI de NANITELAMIO c’était la cohérence, la constance et la conséquence réunies. Rares sont les Congolais qui peuvent se prévaloir, plus de deux décennies après la débâcle démocratique et humaine de 1997, de ce cocktail. Il était, intégralement et dans l’absolu, habité par la Restauration démocratique et, ceux qui se trompaient sur cet idéal et sa logique, étaient à peu-près des imbéciles, des opportunistes à blâmer, voire à bannir, et qu’il n’a cessé de dénoncer, avec les noms à l’appui, pour « avoir choisi de l’aider [sassou] et à travailler avec lui, tout en se déclarant opposants, et lorsqu’il vous aura écarté de la mangeoire, à tromper le peuple, en démissionnant brutalement, pour avoir la confiance de ce peuple dans le but intentionnel de sauver, j’insiste, sauver et protéger le gourou avec son système qu’il vous aura confié ».
Et, à cet égard, il avait parfaitement raison car, la raison de la longévité de l’autocratie au Congo c’est essentiellement l’inconséquence et l’incohérence des Congolais qui, tantôt ont acclamé et accompagné Sassou, avant de se rappeler ce qu’il est réellement quand ils ont été bousculés dans leur intérêt, tantôt par inconséquence ou incohérence ont perdu les repères en se saisissant de n’importe quel prétexte pour rejoindre le pouvoir criminel. Et, ces oisifs de la première ou de la dernière heure sont aujourd’hui nombreux, inondent, voire dominent la prétendue opposition, avec le risque énorme d’édulcorer, voire carrément ensevelir la restauration démocratique véritable.
Authentique patriote, il savait distinguer l’essentiel de l’accessoire et que, de ce point de vue, l’essentiel, en exil et pendant le règne de la dictature, consiste à s’atteler à la stratégie de RESTAURATION DÉMOCRATIQUE, au lieu de se perdre, comme nombreux des Congolais, dans l’accessoire qui consiste à ressasser les éternels vieux démons, qui n’ont fait que perdre énormément de temps au grand idéal démocratique.
Il avait indiscutablement raison, et s’il est un message, des leçons que les Congolais devraient justement retenir de lui, pour accélérer la mise à mort de la dictature, pour ne pas qu’elle ait toujours raison des patriotes bien avant, ce sont ceux-là : COHÉRENCE, CONSTANCE, CONSÉQUENCE, DISCERNEMENT de l’essentiel et de l’accessoire. Ce d’autant plus que la réalisation de l’idéal de Restauration Démocratique laisse la possibilité, par la suite, de corriger ce qu’auront été les ratés de la brève parenthèse démocratique, pour ne pas confondre fautes (inévitables en démocratie, surtout balbutiante) et dictature, et redonner chaque fois du poil de la bête à cette dernière.
Terminons enfin cet hommage du chantre du RASSEMBLEMENT et de LA RESTAURATION DÉMOCRATIQUE, de la ‘DÉ-DÉMONISATION’ de la politique congolaise, de l’infatigable combattant, de celui qui a cherché, par une lucidité magique « À qui confier ma prédilection, ma prédication », par ses propres paroles :
« DENIS SASSOU NGUESSO N’EST PAS INVINCIBLE.
VIVE LE CONGO, VIVE LE CHANGEMENT QUI EST À NOTRE PORTE »
Sous réserve toutefois des principes qu’il aura prêchés et pratiqués pendant la brève parenthèse démocratique et dans son combat en exil.
REPOSE EN PAIX GRAND PATRIOTE ET DÉMOCRATE
Felix BANKOUNDA MPELE
Par Félix BANKOUNDA MPÉLÉ
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