Décidément, le chef de l’État congolais se moque à la fois du peuple souverain, du pouvoir législatif, tout en montrant aux yeux du monde qu’il n’ a pas des collaborateurs mais des courtisans sinon, comment expliquer qu’il signe les documents sans les compulser ? Le cas le plus patent, c’est le dernier décret qu’il vient de signer qui démontre son incapacité de gérer le pays.
S’agissant du manque de respect vis-à-vis du peuple qui l’avait élu à la Magistrature suprême depuis 2009 pour son deuxième et dernier mandat constitutionnel de sept ans, le président de la République, Denis Sassou N’Guesso, a convoqué le corps électoral, pour aller voter les conseillers locaux (départementaux et municipaux), le 28 septembre 2014 sur la base de la loi n°9-2012 du 23 mai 2012, qui est dépassée. Pourtant, il sait que, en amont, tout vote, commence par la mise en place de la loi électorale. C’est celle-ci qui fixe les modalités de toutes les opérations, à savoir le recensement administratif spécial pour déterminer le corps électoral ; le nouveau découpage électoral proportionnellement aux poids démographique de chaque circonscription ; la composition et le fonctionnement de la Commission électorale ; l’institutionnalisation du bulletin de vote unique ; les caractéristiques de la carte d’électeur biométrique ; la composition des membres des bureaux de vote ; l’affichage des procès-verbaux cosignés dans chaque bureau de vote ; le délai de la publication des résultats, etc. Tel que proposé par le MCDDI pour éviter des déchirements inutiles dans le pays. Curieusement, le chef de l’État congolais a signé, en date du 25 août 2014, le décret n°2014-445 convoquant le peuple à aller voter. C’est ce même jour qui avait été ouverte la session de l’Assemblée nationale consacrée à l’examen puis au vote de la nouvelle loi électorale, tel que cela avait toujours été recommandé par les concertations politiques de Brazzaville (2009), Ewo (2011) et Dolisie (2013). Il est donc établi que, pour n’avoir pas attendu le vote d’une nouvelle loi électorale, Denis Sassou Nguesso a mis la charrue devant les bœufs. C’est-à-dire, il a commencé par l’aval au lieu de commencer par « l’amont ». Cela est une imprudence.
Les risques d’un report du vote
Cela comporte des risques prévisibles. Premièrement, celui de reporter le scrutin du 28 septembre à une date ultérieure, même quand la nouvelle loi électorale est votée avant cette date du 28 septembre ! Ajouter à cela le risque de recommencer un nouveau recensement administratif spécial, car celui rendu public en 2014 par le ministre de l’Intérieur et de la décentralisation Raymond Zéphirin Mboulou, qui rend le nord du pays plus peuplé que le sud, n’a pas fait l’unanimité auprès des acteurs de la Majorité, de l’Opposition, des partis du Centre et de la Société civile. Le troisième risque est lié à la composition de la Conel (Commission nationale d’organisation des élections) pour laquelle les participants aux consultations politiques sus mentionnées avaient recommandé une indépendance véritable.
Bref, en décrétant que le vote des conseillers locaux (départementaux et municipaux) se tiendra le 28 septembre 2014 sans attendre l’adoption par le parlement de la nouvelle loi électorale, il est établi que Denis Sassou N’Guesso veut faire voter les électeurs sur la base de l’ancienne loi électorale ; c’est ce qu’il a souvent lui-même reproché à ses concitoyens, à savoir : « Vouloir d’une chose et son contraire ». Autrement dit : il veut que le vote ait lieu, mais dans des mauvaises conditions, ou, pour être pragmatique, dans les conditions non encore réunies. Dommage !
Tenez ! L’atmosphère qui a régné le 25 août 2014 à l’Assemblée nationale, illustre à suffisance que les discussions sur la question électorale sont délicates. En effet, le 25 août 2014 la séance avait été suspendue pour être renvoyée au mercredi 27 août 2014 parce que les députés de l’Union panafricaine pour la démocratie sociale (UPADS), le plus grand parti de l’Opposition) avaient remarqué l’absence des 10 recommandations qu’ils avaient formulées (en vue de la modification de la loi électorale) dans les dossiers des participants à la session, notamment les membres du présidium. De même, les amendements sur la loi électorale apportée par le groupe parlementaire (MCDDI) et le relevé des conclusions de la concertation entre les partis et groupement politiques de la majorité présidentielle, de l’Opposition et du centre mais aussi l’avis n° 028/C.S.14 émis par l’Assemblée générale consultative de la Cour suprême ont été botté en touche. Conséquence, plusieurs députés ont vidé l’hémicycle. Donc, pour n’avoir pas attendu le vote de la nouvelle loi, le chef de l’État s’est moqué du pouvoir législatif, c’est-à-dire le Parlement (qui vote les lois). Du coup, il s’est aussi moqué du peuple, qui est représenté au Parlement par les députés ! Une double moquerie, en somme. Cela ne devrait pas être le comportement du Magistrat suprême, garant de la paix. Hélà ! Ce n’est pas tout, le décret présidentiel du 25 août 2014 s’est révélé « un vrai faux », et devrait interpeller le Garde des Sceaux. D’abord, ce texte, au plan de la forme, pèche par le lieu où il a été signé : « Brazzaville, le 25 août 2014 » ! Or, les observateurs avertis savent qu’à cette date, le président de la République se trouvait déjà hors du Congo-Brazzaville. Habituellement, à pareille date, il va se requinquer en Europe. Curieusement, ce décret est cosigné par le ministre de l’Intérieur et de la Décentralisation, Raymond Zéphirin Mboulou, et par son homologue, Aimé Emmanuel Yoka, ministre de la Justice, Garde des Sceaux. Ces deux ministres n’ont pas été assez regardants pour se rendre compte que le lieu de la signature du décret ne devrait pas être Brazzaville, même si cette ville est le siège du pouvoir central. Cela constitue « un faux », en écriture publique attaquable à la Cour suprême. Car les sceaux de la République ne doivent pas être utilisés en dehors des formes requises par la loi. Le Garde des sceaux, ministre de la Justice, devrait s’en insurger. Toutefois, au-delà du caractère peu régalien du décret du 25 août 2014, l’appel du chef de l’État lancé aux citoyens en âge de voter est valable. Mais le ridicule est que, s’il a été pris sur la base de l’ancienne loi électorale, la nouvelle loi devant gouverner les locales du 28 septembre prochain ne devrait servir à rien, en tout cas pas au scrutin qu’il amorce, mais peut-être aux élections sénatoriales, présidentielles et législatives des années prochaines. Pourquoi, le chef de l’État congolais est vite allé en besogne, quand il sait pertinemment que les locales ont déjà manqué deux rendez-vous : le premier en 2013 tandis que le second a eu lieu le 20 juillet 2014 ?
Mboulou et Yoka ridiculisent Sassou et le rendent incompétent
Plus d’une personne se demandent comment les ministres Yoka et Mboulou ont-ils pu ridiculiser Denis Sassou N’Guesso en faisant de lui un chef qui signe les documents sans les compulser comme le justifie la date et le lieu de signature de ce décret. Le plus grand scandale qui devrait annuler obligatoirement ce décret, c’est le fait de ne pas l’avoir pris en Conseil des ministres comme l’exige l’article 63 des textes sur les élections qui stipulent : « La convocation du corps électoral pour les élections législatives, locales et sénatoriales est fait par décret en Conseil des ministres un mois, au moins, avant la date du scrutin. » Il sied le dire haut et fort que cette imbroglio et les plaintes en annulation de ce décret qu’envisagent déposer plusieurs partis politiques dans les juridictions administratives du Congo, les élections locales ne pourront se dérouler le 28 septembre 2014.
A moins de forcer le passage ou de passer au plan C qui consiste à organiser les échéances présidentielles en 2017 précéder d’un gouvernement d’Union nationale. Le plan B ou C n’arrangeraient toujours pas le pouvoir en place puisqu’on retombera dans le scénario du régime Lissouba que le Conseil constitutionnel des « Malonga » avait tenté de prolonger. « A malin, malin et demi » Dieu vient de confondre Sassou et son équipe des courtisans et les parlementaires qui ont voté la nouvelle loi électorale le 27 août 2014 pendant que ceux de l’UPADS et du MCDDI de Parfait Guy Brice Kolélas claquaient la porte, et dénonçaient le décret présidentiel contradictoire qui convoque les élections locales.
Que le seigneur Jésus Christ garde le Congo !
Ghys Fortuné DOMBE-BEMBA
Extrait du journal de l’Afrique n°002 de septembre 2014