« L’homme d’Etat qui cède au démon de la guerre doit savoir que, dès le signal donné, il n’est plus le maître de la politique, mais l’esclave d’évènements imprévisibles et incontrôlables. » Churchill.
Depuis un certain temps, nous sommes dans une espèce de nébuleuse dans laquelle Sassou et quelques acteurs politiques tirent l’attelage à hue et à dia. Une période singulière caractérisée par une montée des incertitudes et par une accélération des changements dans le domaine politique (alliances contre-natures, trahisons, transhumances etc…). Cette conjonction de facteurs, exige un réel effort de réflexion prospective sur les différents scénarios d’évolution future. Ces éléments permettent de mettre en lumière les actions à mener, ainsi que les conséquences de ces actions, selon le prisme du pouvoir ou de l’opposition.
A travers certains scénarios, nous pouvons trouver les réponses aux questionnements qui s’articulent autour des problématiques suivantes : peut-on utiliser le scénario du Burkina Faso à bon escient en l’améliorant ? Quelles leçons tirer du bourbier burundais ? En définitive, quel serait le scenario le plus fécond et le plus bénéfique pour notre pays?
1-Scenario du maintien de Sassou au-delà de 2016
Aussi invraisemblable que cela puisse paraitre, le scenario du maintien de Sassou au-delà de 2016, ne doit pas être éludé tout bonnement. Nous avons tous en mémoire, la période de la CNS de 1991. Alors que plus personne ne pariait sur sa peau, tel un phénix, Sassou a pris le temps de renaître de ses cendres. Exclusivement guidé par ses intérêts égoïstes, Sassou est un véritable éléphant dans un magasin de porcelaine. Sa conduite perfide, tortueuse et sans scrupules ne fera pas de lui un grand homme d’Etat (1) du rang d’un Marien N’GOUABI qui, sentant le complot organisé par ses compères se refermer sur lui, se résigna à « laver le pays de son sang ».
Sassou ne pense qu’à lui et à sa famille. Son impressionnant carnet d’adresses et sa capacité de manipulation sont au service de ses ambitions personnelles de Président à vie. Le Congo n’est pour lui qu’un marche-pied sur lequel il doit s’appuyer pour pouvoir s’élever encore plus haut.
Il a organisé à dessein la vampirisation des institutions en les vidant de leur quintessence. L’armée, devenue tribale a perdu sa vocation nationale. C’est une tambouille indigeste de miliciens formés à Tsambitso et de généraux essentiellement originaires de son ethnie (56.81 % sont Mbochis).
Nul ne peut oublier « le grand bluff du 5 juin 1997 », lorsque Sassou, au sommet de son art, réussit, sans coup férir, à se faire passer pour la victime qu’on venait de réveiller de son sommeil, en occultant le fait que ses spadassins, avant de trouver refuge chez lui à Mpila, venaient de semer mort et désolation à Owando le 10 mai 1997. Plus proche de nous le 16 décembre 2013, on a vu comment il a organisé et dirigé avec zèle, la traque du colonel Marcel NTSOUROU. Cet officier qui participa activement à la victoire militaire de Sassou en 1997 l’a appris à ses dépens quand il fut humilié et exhibé devant les caméras comme une bête de somme, et ce pour des faits de moindre gravité.
Le contexte n’est plus le même c’est vrai, mais il serait inconscient de ne pas tenir compte du véritable profil psychologique de Sassou : un cynique capable de brûler tout le Congo pour le pouvoir. Lors de sa sortie officielle le 11 juillet 2015, Okombi Salissa n’a pas fait dans la dentelle, en dénonçant sans ambages, le funeste rôle de Sassou dans la mise à mal de la paix dans notre pays.
La navigation à vue qui caractérise la gestion actuelle du pouvoir par Sassou, laisse penser qu’il a prévu certaines stratégies qu’il convoquera tour à tour selon les circonstances (réactions de l’opposition, société civile etc…) et selon la contingence de l’environnement international.
Dès l’instant où il aura décidé un passage en force en franchissant le Rubicon du référendum, Sassou aura définitivement décidé d’organiser la géhenne, avec en toile de fond la mise à mal de la paix, dont il se targue d’être le principal architecte.
La campagne d’intimidation, d’arrestations arbitraires et même de mise en résidence surveillée des opposants, procède de sa stratégie d’instauration de la coercition aux fins d’étouffer toute velléité de révolte. Hier c’était Tsaty MABIALA qui était interdit de sortir du pays, aujourd’hui, c’est le neveu de Sassou lui-même, Oba BLANCHARD qui fait les frais de cet arbitraire. Chaque jour, les libertés individuelles s’amenuisent comme peau de chagrin.
Réussir à imposer un référendum illégal serait déjà herculéen, et réussir à organiser l’élection présidentielle sur la base des listes électorales mafieuses, ôterait toute dignité au peuple congolais. Condamné à vivre dans la plus rétrograde dictature d’Afrique.
Or, le peuple est aujourd’hui en toute légitimité de refuser la spoliation de sa souveraineté par le biais d’un referendum qui entérinerait le changement de constitution. En réalité, on ne peut solliciter la souveraineté du peuple que dans l’une des situations suivantes :
a) Crise ingérable non prévue par les institutions,
b) Crise provoquée par des changements sociaux non attendus (mariages pour tous etc…)
c) Le désir de mettre en adéquation ces changements sociaux avec l’avenir d’un peuple.
Nous sommes à mille lieues d’une de ces situations. Serait-il concevable que Sassou, avec les moyens de coercition dont il dispose, de solliciter un référendum pour mettre sa grand-mère au pouvoir ? Toutes proportions gardées, une telle démarche fantaisiste de la part d’Obama auprès du peuple américain visant à modifier la constitution pour un 3e mandat, l’entrainerait droit vers l’asile psychiatrique. On ne peut aucunement modifier la loi suprême pour convenance personnelle.
Ce scénario ne pourra se réaliser que lorsqu’il aura réussi, non seulement à mettre tout le peuple congolais à genoux, en remplissant le fleuve Congo « du sang et des larmes des autres » ; en plus, il lui faudra l’outrecuidance nécessaire pour narguer impunément les puissants de ce monde (F.Hollande, Obama). En somme, ce scenario me parait extrême…
2- Scenario du départ volontaire de Sassou, conformément à la constitution
Ce scénario, qui est le plus improbable, devrait pourtant être le plus normal. Après une transition dite « flexible » de 5 ans et deux mandats de 7 ans, Sassou aurait tout intérêt à tirer profit d’une retraite paisible, même si ses casseroles, plus morbides les unes que les autres, risquent de perturber son repos au bord de l’Alima. Mais ça c’est une autre affaire…
Les urnes, un cauchemar pour eux; la perte du pouvoir leur suicide collectif.
Même dans l’hypothèse extrême du départ « volontaire » de Sassou, il sera quasiment impossible d’organiser une élection libre et transparente en juillet 2016.
De prime abord, l’impudence et la mauvaise foi qui sont les denrées les mieux partagées chez Sassou et son PCT, exigeront d’impressionnantes tractations pour arriver à transformer la CONEL en un organe véritablement indépendant. Les urnes restent à n’en point douter, leur véritable cauchemar; la perte du pouvoir, leur suicide collectif.
La mise en place du bulletin unique et l’établissement de la carte biométrique pour les électeurs, nécessitent une logistique qui prendrait plus de temps qu’on ne le pense. L’incompétence étant « la valeur cardinale » de ce gouvernement de bras cassés.
Tous les experts s’accordent à reconnaitre qu’il serait impossible d’organiser un recensement général de la population en 9 mois compte tenu de certaines contingences sociologiques.
Si Sassou venait à se départir de son obsession pour le référendum constitutionnel, et optait pour l’organisation des élections avec une gouvernance électorale approximative, en s’appuyant sur la loi électorale scélérate ; le peuple aura le droit de rentrer en résistance, laquelle résistance évoquée à l’article 26 de la Charte des Droits et Libertés adoptés par la Conférence Nationale Souveraine le 29 mai 1991, document considéré comme partie intégrante de la Constitution du 20 janvier 2002.
De même, s’il décide d’améliorer la gouvernance électorale en commençant le processus électoral après septembre 2015, nous ne pouvons pas faire l’économie d’un glissement de calendrier électoral. Cela entrainerait, ipso facto, une vacance du pouvoir, conformément à l’article 70 de la Constitution du 20 janvier 2012.
3- CONVOQUER TOUTES LES INTELLIGENCES DE TOUS BORDS
Le salut du Congo est désormais lié à la réalisation du meilleur scénario de note histoire. D’innombrables griefs ont été faits à l’endroit de la CNS de 1991, mais reconnaissons-le, c’était un grand moment de l’histoire de notre pays où seul le Congo comptait.
Quels sont les ingrédients pour ce scenario ?
Le meilleur scénario sera construit autour des institutions fortes respectées par tous. Or, c’est de notoriété publique: dans le monde des hommes, les arguments de droit n’ont de poids que dans la mesure où les adversaires en présence disposent de moyens de contrainte équivalente, et que, si tel n’est pas le cas, les plus forts tirent tout le parti possible de leur puissance tandis que les plus faibles n’ont qu’à s’incliner. Les institutions sans la force sont impuissantes, la force sans les institutions c’est une tyrannie (cas du Congo actuel).
Le scénario burkinabè pourrait être amélioré à ce niveau en y greffant l’expertise des quelques officiers qui ne portent pas leur histoire comme un boulet et qui sauront, le moment donné, limiter l’étendue de leur pouvoir. On ne pourra jamais se passer d’une transition idoine. Sans Sassou, bien entendu. En n’évacuant aucune possibilité, on pourrait envisager une transition qui pourrait prendre les formes multiples, dont la pierre angulaire s’articulerait autour de la mise en place d’une loi électorale acceptable et des institutions démocratiques.
Les institutions de l’avenir doivent être légitimées par tout le monde. Les hommes ayant fait la preuve de leur probité morale et de leur sens de l’Etat, sont encore étouffés par la chape de plomb de cette dictature impitoyable. Il est temps que le pays leur donne l’opportunité de faire la preuve de leur dévouement.
Scenarios à éviter
Quelques scénarios peuvent être envisagés. Toutefois, on pourrait s’interroger sur la légitimité de ceux qui vont prendre en charge cette période. De même, il sera impérieux d’intégrer avec doigté, l’apport de la société civile qui s’organise indubitablement.
- Le scénario d’un CMP (Comité Militaire du Parti) est à exclure, tant, la gestion du pouvoir par les militaires au Congo a toujours été calamiteuse.
- Un gouvernement d’Union Nationale constitué par les Partis serait-il viable ? A y voir de près, ce scénario est non opportun puisque nous n’avons plus les partis d’antan avec leur capacité de peser sur la gestion de la cité. Par une corruption à grande échelle, Sassou les a délibérément détruits. L’absence des hommes charismatiques à la tête des partis actuels compliquera davantage les choses. Les partis actuels n’ont pas pris la peine de se structurer convenablement afin d’être en position de proposer des alternatives idoines.
- Le scénario du Kosovo qui a été géré par Bernard KOUCHNER n’est pas pertinent. Toute la souveraineté et la fierté d’un peuple seront entre les mains d’une autorité étrangère. En plus, la crise était très grave au Kosovo. Ce qui n’est pas le cas au Congo. Pour l’instant du moins.
Rappelons-le, s’il en était encore besoin que tout peuple savait inventer des alternatives de changement et de rupture viables pour lui, quelque soit le prix à payer. Comme dirait l’autre, ceux qui ont trouvé tant de moyens d’étouffer la liberté où elle est née, n’en ont encore trouvé aucun pour l’empêcher de naître et de faire explosion là où elle ne s’est jamais montrée.
La nuit a trop duré, mais le jour se lèvera dans l’amertume pour un souffle nouveau. Quel que soit le scenario retenu à la fin, notre pays sortira du cycle infernal de Charybde en Scylla. Comme lors de l’avènement de la CNS de 1991, le peuple congolais retrouvera sans conteste, dignité et respect et foulera au pied toute dictature. C’est le peuple qui donne le pouvoir et le retire ; cela, les Congolais ne l’ont jamais oublié.
Djess dia Moungouansi « La plume du Congo Libre »
(1) « La différence entre l’homme politique et l’homme d’Etat est la suivante : le premier pense à la prochaine élection, le second à la prochaine génération. » James Freeman Clarke.