Dans certains pays africains, l’idée de changer de régime politique n’a duré que peu de temps par rapport à l’espérance de vie d’un jeune. Après le souffle d’un vent, venu de l’Europe de l’Est, beaucoup de pays africains se sont mis à changer leurs constitutions.

Une constitution doit être le résultat d’un consensus entre les acteurs politiques, parfois soumise à référendum pour son adoption «populaire», parce qu’elle régit les relations non seulement entre les institutions du pays, mais aussi entre la classe dirigeante et la citoyenneté. Ce n’est pas un document qui doit faire l’objet de changement par la volonté de celle ou celui qui détient le pouvoir exécutif. Il n’est pas sacré. Des normes sont prévues pour son changement.

Les constitutions des années 1990 avaient introduit ce qu’on peut considérer des innovations. Mais celles-ci se sont transformées en «blocages» constitutionnels : la limitation des mandats présidentiels et la manière d’opérer des changements plus ou moins importants.

On assiste à une vague de modifications constitutionnelles pernicieuses portant sur le mandat présidentiel dans certains pays avec des régimes présidentiels forts. Les dirigeants suivent des modèles aussi contradictoires les uns que les autres, qui violent la norme d’organisation de l’Etat et de la compétition entre les acteurs du jeu politique. Mais cette fois, la citoyenneté ne reste indifférente à la manipulation d’un texte. Les manifestations des jeunes et de l’opposition montrent bien leur attachement aux droits et libertés fondamentaux, mais aussi l’appropriation populaire d’un texte important pour le vivre-ensemble.

Innovation ou blocage politique : la limitation des mandats présidentiels

L’innovation des constitutions des années 1990 n’est pas l’instauration en soi du multipartisme et les élections dites libres et pluralistes, qui ont lieu régulièrement ; même si elles sont contestées quant à leur organisation, mais plutôt la limitation du mandat présidentiel. L’objectif de cette limitation constitutionnelle serait la fin du président «élu» à vie ou qui s’accroche au pouvoir.

Là aussi c’est un modèle d’importation, celui des Etats-Unis d’Amérique où le président en exercice ne peut se présenter qu’une seule fois. Les constituants des pays africains francophones qui ont instauré la limite à deux mandats pour le chef de l’Etat alors que dans le monde anglo-saxon il n’y a aucune référence.

En faisant un bilan depuis 1990, sur 49 pays d’Afrique subsaharienne, les dirigeants du Bénin, Botswana, des Iles Caps Verts, du Ghana, du Mali avant la crise de 2012, du Mozambique, de la Namibie n’ont pas changé la disposition limitant le mandat présidentiel. L’article 42 de la constitution béninoise du 11 décembre 1990 stipule que «le Président de la République est élu au suffrage universel direct pour un mandat de cinq ans, renouvelable une seule fois. En aucun cas, nul ne peut exercer plus de deux mandats présidentiels.» On trouve la même disposition dans d’autres constitutions comme celle du Mali du 25 février 19924, la constitution djiboutienne du 15 septembre 1995, la constitution tchadienne du 14 avril 1966… D’autres pays francophones ont eu aussi une disposition identique.

Aucun président, élu après 1990 au Bénin et au Mali, a modifié cette disposition. Et pourtant les pressions sur les Chefs d’Etat des partis dominants ne manquaient pas. Les tentations étaient fortes d’introduire une réforme sur cette question sans soumettre à référendum. Si la population a été consultée pour l’adoption d’une constitution, cette voie a été absente dans les modifications ultérieures de ce texte fondamental. D’ailleurs consulter, ce n’est pas participer à son élaboration, c’est un acte passif : accepter ou rejeter la proposition par la rencontre des volontés individuelles, qui coïncident un moment donné.

Le problème, qui occupe certains présidents, est comment modifier la disposition constitutionnelle qui limite à deux les mandats d’un président en exercice.

Comment mettre fin à cette limite ?

Avant la fin du second mandat, on dirait qu’il y a une maladie qui frappe un grand nombre de chefs d’Etat africain : la tentation de s’éterniser à la présidence. Pour cela il faut donc supprimer le «blocage» constitutionnel. Au lieu d’une réforme constitutionnelle en bonne et due forme, ils recourent au forcing, c’est-à-dire le retour à une méthode du régime antérieur : la volonté du prince régnant. Certains présidents, surtout ceux qui sont arrivés au pouvoir par un coup de force ou qui se sont appuyés sur les ex partis uniques, ont entrepris des réformes constitutionnelles, qui se résumaient en fait à la suppression de la limitation du mandat présidentiel, et donc le retour à l’ancien système de président à vie.

Ainsi au Tchad, c’est une décision du parti majoritaire à l’Assemblée Nationale, celui du Président Idriss Déby, le Mouvement Patriote du Salut (MPS), qui déclenche un processus de modification de ladite disposition constitutionnelle. Mais pour donner un certain vernis démocratique, un référendum populaire est organisé le 6 juin 2004. En République de Djibouti, c’est plus une méthode à deux étapes qui a été utilisée. En premier lieu il y a eu des propagandes des partis de la majorité présidentielle, qui appuie le Président Ismaël Omar Guelleh. Des manifestations populaires sont organisées pour briguer un 3ème mandat en 2011 alors que le second mandat inspirait en 2010. Et en second lieu, s’appuyant sur un supposé appui populaire, l’Assemblée Nationale monocolore crée une commission de la réforme de la constitution. Autre vernis démocratique à une violation des normes constitutionnelles. En effet, suivant l’art. 87 de la constitution du 15 septembre 1992, le peuple doit être consulté. Mais l’al. 3 de cet article offre la possibilité de ne pas organiser une telle consultation. Cette méthode a été reprise par Paul Kagame, qui termine son deuxième et dernier mandat. Alliant certain changement de comportement et l’esprit rebelle, son parti a organisé un soutien artificiel de la population rwandaise. Un soutien forcé à en croire certains Rwandais qui ont fait l’objet d’intimidation et de pressions par les autorités communales. Le Président congolais Denis Sassou N’Guesso, a repris le «modèle tchadien» en organisant un référendum contesté, Depuis quelques mois, on assiste une autre option, un peu plus démocratique : la convocation d’un référendum pour le changement sur l’âge et la limitation des mandats présidentiels au Congo-Brazzaville, reprenant le modèle tchadien. On peut être surpris par son attitude, mais si l’opposition rejette un tel référendum, c’est parce qu’elle voit un abus du pouvoir sur un tel mécanisme.

Dans ces contextes, l’opposition politique et la citoyenneté se sont opposées, recourant à la justice constitutionnelle (le cas du Rwanda) et aux manifestations dans les rues au Burkina Faso. Au Congo-Brazzaville, en République de Djibouti et au Tchad, malgré les manifestations citoyennes, les dictateurs ont atteint leur sinistre objectif. Pour eux, le texte constitutionnel est une «feuille de vigne» selon Jean-François Bayart. Ils n’ont cure des manifestations de l’opposition et de la société civile. Si elles gênent vraiment leurs desideratas, ils feront recours à la brutalité, à la force et à la violence… Le Burundi donne une illustration de la dramatisation de la situation politique et sociale après le coup de force du président Pierre Nkurunziza, qui a entamé un troisième mandat politiquement et socialement contesté en juillet dernier.

La manipulation de la constitution par un homme et sa majorité politique ne peut pas favoriser le développement d’un régime démocratique, l’Etat de droit et le vivre-ensemble. Quel sens donné au rôle d’un président, qui viole régulièrement les normes de connivence politique et sociale ?

Mohamed Abdillahi Bahdon, doctorant en sociologie de l’éducation, Université de Murcie (Espagne).

Source Afrique Education