« Dans des temps de tromperie généralisée, le seul fait de dire la vérité est un acte révolutionnaire. » Tout est dans cette citation frappante de George Orwell. Je reçois tous les jours des courriels des jeunes Congolais qui me disent la déliquescence du Congo et me supplient de ne pas rester bras croisés, dans « l’attitude stérile du spectateur », comme dit Césaire. Je ne peux pas rester indifférent à ce qui se passe au Congo, au Gabon, et bientôt en RDC. Cela explique mon exaspération et ma volonté de faire ce que ces jeunes attendent de moi : être leur haut-parleur dans leur volonté de hâter la révolution du bassin du Congo… »
L’écrivain et professeur au Collège de France présentera, demain à Bordeaux, l’essai « Le monde est mon langage ».
Né à Pointe-Noire (Congo) en 1966, l’écrivain Alain Mabanckou a remporté en 2006 le prix Renaudot pour son roman « Mémoires de porc-épic ». Professeur de littérature francophone à la prestigieuse Université de Californie à Los Angeles (UCLA), il a également été élu au Collège de France, devenant le premier écrivain à y occuper la chaire Création artistique. Il donnera, demain à Bordeaux, une conférence exceptionnelle (1) autour de son nouvel ouvrage, « Le monde est mon langage », paru chez Grasset.
Vous qualifiez votre dernier livre de « promenade littéraire ». Pourquoi ?
Alain Mabanckou : Je parlerais plutôt de récit de voyages littéraires. Chaque chapitre est comme une gare : le nom d’une ville, d’un pays. On déambule dans ces lieux où la langue française semble résonner dans les haut-parleurs des quais. La plupart de ces textes ont été écrits pendant mes déplacements en Afrique, en Europe ou en Amérique, du Nord et du Sud.
Que cherchez-vous à dire à travers les 22 personnages, très hétéroclites, de JMG Le Clézio à Sony Labou Tansi, qui peuplent votre livre ?
Dire combien le monde est désormais défini par la rencontre et le dialogue des univers même les plus éloignés. Quand ces univers s’expriment en français, ils deviennent les ambassadeurs de cette langue sans pour autant espérer de la France des remerciements : ils savent que quiconque entre dans une langue vit avec le sentiment que son être s’est construit autour d’elle. Ce n’est pas forcément en France que la langue est défendue, mais loin, très loin, en des lieux inattendus.
Quel élément vous a décidé à adresser une lettre ouverte reprochant à François Hollande son « long silence » sur la situation politique du Congo-Brazzaville ?
« Dans des temps de tromperie généralisée, le seul fait de dire la vérité est un acte révolutionnaire. » Tout est dans cette citation frappante de George Orwell. Je reçois tous les jours des courriels des jeunes Congolais qui me disent la déliquescence du Congo et me supplient de ne pas rester bras croisés, dans « l’attitude stérile du spectateur », comme dit Césaire. Je ne peux pas rester indifférent à ce qui se passe au Congo, au Gabon, et bientôt en RDC. Cela explique mon exaspération et ma volonté de faire ce que ces jeunes attendent de moi : être leur haut-parleur dans leur volonté de hâter la révolution du bassin du Congo…
Vous avez récemment pris position pour la possibilité d’établir en France des statistiques ethniques. Pour quelle raison ?
Qu’on ne nous mente pas : dans toute élection, c’est le nombre qui compte ; et le nombre, c’est le pouvoir. Les statistiques ethniques sont possibles aux États-Unis et permettent à chaque communauté d’être au cœur de la campagne électorale. La France les refuse, car la Constitution se fonde sur l’indivisibilité de la République et « assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion ».
Je suis favorable aux statistiques pour que se posent et se règlent les vrais problèmes du pays. Que l’histoire de France s’écrive enfin ensemble, dans un élan d’optimisme collectif malgré nos différences, nos accents, notre couleur de peau, notre statut social…
(1) Mercredi 21 septembre, à 20 heures, à l’Institut culturel Bernard Magrez, à Bordeaux. 6 €. 05 56 81 72 77.
STÉPHANE JONATHAN
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Source : http://www.sudouest.fr/2016/09/20/dire-la-verite-est-un-acte-revolutionnaire-2506460-2780.php