Aretha Franklin, la reine de la soul, est morte

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Par : Sarah-Lou BAKOUCHE ( Figaro)

DISPARITION – La chanteuse américaine, en lutte avec un cancer depuis de nombreuses années, vient de s’éteindre à Détroit à l’âge de 76 ans. Magistrale et iconique, elle reste une diva des sonorités gospel, dont l’engagement a marqué la culture américaine.

La reine de la soul vient de quitter la scène. Depuis 2010, Aretha Franklin se battait contre un cancer. Lundi 13 août 2018, un journaliste américain révélait sur son site que la chanteuse était au plus mal, à Détroit entourée de ses proches, qui appelaient ses fans à lui adresser leurs prières. Elle est décédée jeudi, a annoncé sa famille dans un texte transmis à la presse par son agente historique Gwendolyn Quinn. «Dans l’un des moments les plus sombres de nos vies, nous ne sommes pas en mesure de trouver les mots appropriés pour exprimer la peine qui déchire nos cœurs. Nous avons perdu la matriarche et le roc de notre famille. L’amour qu’elle avait pour ses enfants, ses petits-enfants, ses nièces, ses neveux et ses cousins était illimité», explique les proches de la chanteuse.

Tout au long de sa carrière, Aretha Franklin a collaboré avec les plus grands et inspiré des générations d’artistes en devenir. Avec 33 albums studios à son actif, elle a écoulé plus de 75 millions de disques. Elle demeure l’artiste féminine ayant vendu le plus de disques vinyles de tous les temps. Sa figure de féministe afro-américaine fait d’elle une icône intemporelle, à l’énergie, à la puissance vocale et au talent inégalable.

Aretha Franklin est née le 25 mars 1942 à Memphis, dans l’État américain du Tennessee. Elle a trois sœurs et deux frères. Elle passera la plus grande partie de sa vie à Détroit, dans le Michigan. Clarence LaVaughn Franklin, son père, est un pasteur baptiste, militant des droits civiques. Les sœurs Franklin, suivent très tôt l’exemple de leur mère, Barbara, chanteuse de gospel. Erma (décédée en 2002), Carolyn (morte en 1988) et Aretha chantent dans la chorale de leur père à Détroit.

Quand les trois filles sont suffisamment âgées, à 12 ans, elles sont promues au rang de première partie. Elles font leur premier enregistrement quand Aretha a tout juste 14 ans. La dimension musicale du métier de pasteur est primordiale dans l’expérience de jeunesse de Aretha. Les grands prêcheurs sont très souvent des musiciens hors pair: sermon et chant sont indissociables. Chez les Franklin, le père reçoit les grands noms du gospel mais aussi des grands noms de la soul comme Sam Cooke et Dinah Washington, qui viennent parfaire l’éducation musicale de la jeune fille.

Une chanteuse de soul élevée au rang de symbole

Aretha Franklin est repérée par John H. Hammond, producteur expérimenté, qui a notamment découvert Billie Holiday, Big Bill Broonzy, Pete Seeger mais aussi Bob Dylan, ou Bruce Springsteen. Persuadé qu’Aretha est un diamant brut, il la fera signer chez Columbia Records en 1956. Elle y enregistre son premier album solo The Electrifying Aretha Franklin. Une dizaine de disques au sein du label suivront, sans qu’aucun ne connaisse de succès retentissant. Columbia peine à tirer parti des talents de l’artiste. En 1964, Aretha déclare au magazine Ebony «Ils savent, et ils savent que je sais, qu’ils n’ont pas mis tout leur poids derrière moi comme ils l’ont fait pour Barbra Streisand».

La rupture est consommée en 1967. Aretha quitte son producteur et sa maison de disques pour s’engager auprès d’Atlantic records, aux côtés de Jerry Wexler. Pour ce label, qui fut aussi celui de Ray Charles, qu’elle livrera les morceaux rhythm and blues qui la feront connaître. Très vite, elle s’impose dans les classements avec I Never Loved A Man (The Way That I Love You). De mars 1967 à janvier 1969, elle enregistre six albums. En mai 1967, sa reprise de Respect d’Otis Redding se hisse en tête des hit-parades. Avec Baby I Love You et A Natural Woman, elle confirme son succès auprès d’un public de plus en plus large. La reine de la soul est née.

En 1977, Aretha Franklin interprète «Respect» en direct du Théâtre de l’Empir

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Au début des années 1970, la chanteuse revient aux sonorités avec lesquelles elle a grandi. En 1972, elle livre au public Amazing Grace, un album gospel qui fait date. Malgré un succès parfois fluctuent, elle parvient toujours à surprendre son audience. Elle s’attaque au cinéma avec une apparition très remarquée dans The Blues Brothersde John Landis en 1980.

La même année, Aretha Franklin signe chez Arista Records. La collaboration donnera lieu à des morceaux à succès, résolument modernes, qui connaissent un succès immédiat, comme United Together. Dans les années 1980, elle collabore avec de nombreux artistes. George Benson, mais aussi Annie Lennox d’Eurythmics dans le titre Sisters Are Doin’ It For Themselves. Plus tard, elle reprend Jumpin’ Jack Flash des Rolling Stones en duo avec Keith Richards.

En 1987, Aretha Franklin entre au Rock’n’Roll Hall of Fame en fêtant ses 30 ans de carrière. C’est l’année où elle obtient son premier numéro 1 grâce à sa collaboration avec George Michael pour I Knew You Were Waiting (For Me). Les collaborations artistiques se suivent, toujours plus prestigieuses. En 1989, elle enregistre Trough The Storm en 1989. Elle y chante aux côtés de James Brown, Elton John et Whitney Houston.

Après une pause de dix ans, Aretha Franklin revient sur le devant de la scène en 1998 avec A Rose is Still a Rose, son premier album original depuis 1989. Elle y démontre son ancrage contemporain, sans oublier ses premières amours musicales, avec de nombreuses collaborations: Lauryn Hill des Fugees, Puffy Combs ou encore Jermaine Dupri.

Le rythme des sorties se ralentit au fil des années 1990. Elle demeure cependant un symbole de la soul américaine et fait de nombreuses apparitions spectaculaires. C’est elle qui chante l’hymne américaine lors de la finale du Super Bowl en 2006. Elle prend le parti de l’interpréter sur des airs gospels, accompagnée d’une chorale de 150 personnes. Le 20 janvier 2009, c’est elle qui est choisie pour chanter lors de la cérémonie d’investiture du nouveau président américain, Barack Obama.

Une icône noire et féministe

Aretha Franklin est un modèle de réussite pour beaucoup de femmes et demeure une icône afro américaine. Celle qui a gagné 18 Grammys a aussi été la première femme à intégrer le Rock and Roll Hall of Fame. Dès ses premiers succès, la reine de la soul a un ton engagé et porte la voix de la révolte. En 1967, déjà, sa reprise de Respectd’Otis Redding était résolument féministe.

Mais son engagement est aussi celui en faveur de l’égalité raciale, qu’elle porte grâce à ses sonorités gospel. Le 9 avril 1968, elle chante lors des obsèques de Martin Luther King. Elle est aussi l’une des premières femmes noires à faire la couverture du très prestigieux magazine américain Time en juin 1968.

L’impact culturel de sa musique est indéniable. À la force de ses cordes vocales, Aretha Franklin incarne deux des plus grands mouvements politico-culturels de son temps: les droits civiques et la lutte pour l’égalité entre les sexes. Tout au long de sa carrière, elle démocratise le RnB sans pour autant renoncer à son identité, démontrant que la musique peut avoir un impact culturel dépassant de loin le monde musical.

Mais la vie d’Aretha Franklin est aussi l’histoire d’un destin tortueux, notamment quand il est question des hommes. À 16 ans, elle est déjà mère de deux enfants. À 19 ans, elle épouse Ted White malgré le refus paternel. Ce mariage sera rythmé par des drames et par des épisodes de violence conjugale. Le couple divorce en 1969. En 1978, elle se marie à l’acteur Glynn Turman mais ils se séparent au bout de quatre ans. Un temps fiancé à Willie Wilkerson, son compagnon de longue date, elle annule le mariage à venir en 2012. Ses déceptions amoureuses sont un thème récurrent dans l’univers lyrical de l’artiste. Son producteur Jerry Wexler parlait de sa tendance à «donner sa confiance à des hommes qui ne la méritaient pas».

Une vie tortueuse source d’inspiration

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Sa vie a aussi été parsemée de combats contre diverses addictions. «J’ai arrêté de fumer en 1991. Cela a énormément aidé ma voix», déclare-t-elle en mars 1998, au Time. La chanteuse fumait jusqu’à trois paquets de cigarette par jour. Jusqu’à la fin des années 1970, la star a également eu des problèmes avec l’alcool, dans lequel elle se réfugiait pour fuir ses mariages chancelants. En mai 1967, elle tombe de scène et se casse le bras lors d’un concert à Columbus, en Géorgie. Selon son ancien impresario Ruth Bowen, cet incident était lié à l’alcool. Elle mettra fin à cette addiction, mais luttera ensuite contre l’obésité, jusqu’à l’annonce de sa maladie.

Aretha Franklin révèle être atteinte d’un cancer du pancréas en 2010. La famille Franklin a déjà payé le prix fort à ce mal vicieux. Sa sœur Carolyn est décédée d’un cancer du sein en 1988. Cecil, son frère, qui fut aussi son manager, a succombé d’un cancer des poumons en 1989. Sa sœur aînée Erma est morte d’un cancer de la gorge en 2002.

À la découverte de son mal, la diva annule de nombreux concerts et limite ses apparitions publiques. Elle poursuit cependant son activité artistique tant bien que mal, comme avec l’album Aretha Franklin Sings the Great Diva Classics en 2014. Elle y reprend des chansons soul à succès, comme Rolling in the Deep d’Adele. Son ultime cadeau à ses fans date de novembre 2017 avec A Brand New Me: Aretha Franklin With The Royal Philharmonic Orchestra. L’album célèbre le 50e anniversaire de sa signature chez Atlantic Records. Elle y interprète ses succès enregistrés chez Atlantic aux côtés du Royal Philharmonic Orchestra.

Le public a pu la voir une dernière fois sur scène en novembre 2017, lors d’un concert pour la fondation Elton John à New York. La star avait ému et alarmé ses fans, en apparaissant amaigrie et faible. Il est préférable de se souvenir d’une de ses dernières apparitions en 2015, lors de la 38e édition du gala annuel du «Kennedy Center Honors». Elle y interprète sa chanson You Make me Feel Like, sortie en 1967. Installée au piano, elle livre une prestation magistrale face au président américain Barack Obama. Touché par l’interprétation de la chanteuse, le président est bouleversé. On devine qu’il ne l’est pas moins aujourd’hui. Les larmes n’ont pas fini de couler au nom et à la voix de la reine de la soul.

Sarah-Lou BAKOUCHE ( Figaro)

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