Par : Patrick Eric MAMPOUYA
Des discours, encore des discours et toujours des discours.
Les dirigeants de notre pays peinent à mettre en place des solutions salvatrices qui pourtant fonctionnent dans d’autres pays. Le diagnostic des nombreuses crises dont souffre le pays est pourtant simple et clair : Notre pays soufre de mauvaise gouvernance.
Cette mauvaise gouvernance a généré deux maux qui, s’ils ne sont pas soignés, le conduiront inexorablement à sa perte ; il s’agit du tribalisme et de la corruption qui sont devenus les cancers de la république.
La montée des populismes dans les pays Européens nous interpelle. Ces idéologies jadis latentes dans les sociétés occidentales ont connues leurs apogées dans les années 40 avec la guerre des Nazis contre le reste du monde. Elles sont de retour à cause du phénomène des migrants et des difficultés économiques. Nous en parlerons dans un prochain article.
Comment en vient-on à être populiste ou tribaliste dans un pays comme le Congo-Brazzaville. Est-ce une donnée naturelle de la réalité humaine ou une sécrétion sociale liée par conséquent à l’expérience existentielle de l’individu ? Ces idéologies qui naissent de la peur, de la méconnaissance de l’autre et surtout de la mauvaise redistribution des richesses nous interpellent. C’est à ces questions que nous tentons de répondre à travers cet article.
Aujourd’hui, les penseurs sociaux sont fondés à investiguer sur les notions de citoyenneté post nationale ou transnationale, de cosmopolitisme. Ces notions s’illustrent par la porosité de l’État-Nation. L’implantation méthodique de l’Union Européenne, l’exigence de l’Union Africaine, l’implacable mondialisation qui met en difficulté les divers particularismes, l’exigence de la mondialisation des droits humains, etc., nous oblige à nous questionner sur ces particularismes archaïques tels le tribalisme.
Mais parallèlement à cette fissuration de l’État-Nation, socle théorique du contrat social et de l’idéal démocratique, l’on pourrait rassembler toute une série d’éléments qui témoignent d’un processus contradictoire qu’est la progression des micros ensembles, des formes communautaires et tribales d’existence.
Que ce soit d’une manière violente et sanglante dans certains pays, que ce soit d’une manière plus policée et plus douce dans d’autres pays, le repli tribal, communautaire ou identitaire est la première démarche vers le tribalisme qui doit être considéré comme un problème actuel pour la pensée politique.
Tribu, conscience tribale et tribalisme
La tribu est un ensemble humain homogène et plus ou moins organisé qui se distingue par une tradition de descendance, une culture, une langue et un nom commun. Pour les analystes, controverse sans conséquence, elle est tantôt une subdivision de l’ethnie, tantôt son équivalent.
Ainsi définie, la tribu ne constitue pas un problème pour qui que ce soit. C’est une donnée anthropologique, une réalité physique, historique et culturelle. Il en est de même de la conscience tribale ou de la tribalité qui est le sentiment d’être de quelque part, d’appartenir à telle région ou à telle culture originelle ; la conscience tribale est donc la connaissance et l’acceptation de ses sources ; c’est la maîtrise de ses repères spatiaux-culturels.
Le tribalisme est la forme pervertie que prend une conscience tribale. C’est un ensemble d’attitudes discriminatoires basées sur les origines tribales. De même souche que le racisme, l’apartheid ou la xénophobie, le tribalisme est une déchéance morale soutenue par la mentalité qui détermine un Moi à voir en Autrui, une menace, un ennemi ou un contre homme simplement parce qu’il est d’une autre tribu que la sienne.
Aussi, le sujet tribaliste n’accorde-t-il de valeur qu’aux hommes qui sont issus de sa propre tribu. C’est là, en pratique du tribalisme, que la peur de l’autre laisse place à l’impression de sécurité. Soulignons que la conscience tribale ne conduit pas nécessairement aux attitudes tribalistes. De l’une à l’autre, il faut passer par une déchéance dont nous nous penchons plus loin sur les modalités. Il y a donc cette différence à noter entre conscience tribale et conscience tribaliste.
C’est sous cette différence qu’il faut souligner que le tribalisme pose un problème moral parce qu’il fait d’emblée de la relation interindividuelle dans toute société multi tribale ou dans l’État-Nation une relation belliqueuse et conflictuelle, rendant ainsi chaotique la vie communautaire.
Aussi, se poseront-ils toujours, dans une société où règne le tribalisme des individus ou le tribalisme d’État, des problèmes de justice sociale qui engendrent la violence ouverte ou larvée sous sa double forme physique et morale. Qui plus est, on ne saurait parler d’une véritable démocratisation, d’unité, de paix, d’intégration ou de développement dans un État miné par le tribalisme. Celui-ci est synonyme de désaveu ou de haine des compatriotes ; c’est l’antithèse du patriotisme.
Par ce principe théorique, on montre que l’hétérogénéité ethnique, linguistique, culturelle, sociologique et politique d’une Nation est un atout et non un handicap à la dynamique unitaire et à la cohésion de l’ensemble de cette Nation. Cette hétérogénéité ne peut être un handicap que si la clôture des tribus pousse les citoyens à la dérive tribaliste.
C’est dire qu’au lieu de prétendre livrer une illusoire bataille contre les tribus – position qui ne manque pas de défenseurs – afin d’aplanir les spécificités et les différences tribales, le projet national de tout État moderne doit être conçu comme un lieu de dialogue, d’échange et d’enrichissement mutuel pour les diverses tribus. Dans ce contexte, la Nation, si l’on emprunte une image de Senghor, sera « un véritable rendez-vous du donner et du recevoir ». À la lumière de cet éclair conceptuel, abordons la question majeure qui nous préoccupe.
Comment devient-on tribaliste ? Investigation des processus de la déchéance tribaliste
Devenir tribaliste ! Ce verbe sous-entend déjà un processus, un déploiement dans le temps. Ce qui laisse penser qu’on part de la considération selon laquelle nul ne peut naître tribaliste. On devient tribaliste peut-être par la force des choses. Mais un certain naturalisme démentirait cette idée et montrerait comment en vient-on à être tribaliste. Est-ce une donnée naturelle de la réalité humaine ou une sécrétion sociale liée par conséquent à l’expérience existentielle de l’individu ?
Il y a d’abord cette attitude naturelle qu’est l’ethnocentrisme culturel. L’ethnocentrisme culturel est une tendance universelle qui consiste dans le fait de juger, sous estimer, dévaloriser et condamner les cultures étrangères à partir de sa propre culture tenue, plus à tort qu’à raison, pour supérieure.
L’homme de l’autre culture apparaît dès lors comme un « barbare », un « sauvage », une étrange personne, un sous-homme. Ce phénomène, s’il est mal contrôlé, entraîne le racisme, la xénophobie, le tribalisme parce qu’il perturbe considérablement la perception objective d’autrui.
La société close est celle dont les membres se tiennent entre eux, indifférents au reste des hommes, toujours prêts à attaquer ou à se défendre, astreints enfin à une attitude de combat. Telle est la société humaine quand elle sort des mains de la nature. La morale de la société close est une morale dont l’obligation consiste essentiellement dans la pression du groupe sur l’individu.
Le tribalisme serait donc l’effet d’une solidarité sélective, élémentaire, d’un mauvais nationalisme si étriqué qu’il fait déchoir dans la haine spontanée de l’autre homme, étranger à ma tribu.
L’intérêt et la peur
Toute attitude morale est une résistance à la nature. La morale relève donc de la culture, tout comme l’absence ou le rejet de la morale. Les valeurs admises par la société sont donc très importantes. Le tribalisme est un rejet de la morale ; une négation des valeurs positives, il se cultive, alimenté par la recherche de l’intérêt d’une formation tribale qui se particularise. Le souci d’hégémonie, de la domination des autres tribus, l’intérêt pour une tribu de contrôler vaille que vaille l’appareil Étatique d’une Nation, l’arithmétique politicienne, conduiront ses membres à un tribalisme d’État aussitôt qu’ils accèderont au pouvoir. C’est le cas du PCT au Congo-Brazzaville.
Ainsi, la peur de l’autre, de la menace qu’il représente, bien plus que sa haine, explique le souci de le dominer et de l’écarter des centres de décision. Cette peur de l’autre peut prendre des formes extrêmes et morbides qui intègrent le besoin radical de le supprimer pour se mettre davantage en sécurité. L’histoire de notre pays est émaillée d’exemples de ce type.
L’incapacité et la jalousie
Si l’on s’efforce de comprendre cette peur de l’autre sous laquelle on devient tribaliste, on verra qu’elle repose elle-même tantôt sur l’ignorance totale de l’autre, tantôt sur une bonne conscience de ses valeurs et de ses perspectives de progrès, de succès et d’avenir.
Dans ce second cas, la peur découle naturellement de l’incapacité et de la jalousie de celui qui la développe. De là à ce que le tribaliste soit méchant et sadique afin de compromettre consciemment l’advenue de ce qui demain sera la preuve tangible de son incapacité, il n’y a qu’un pas, franchi sans hésitation. Voilà pourquoi on ne peut être tribaliste sans être méchant, parce qu’on s’estime incapable et qu’on se sent jaloux.
Le mimétisme, la mode, le conformisme
On peut enfin devenir tribaliste par mimétisme et par conformisme social ou moral. Pour être bien vu par les siens et ne pas être mis au ban de sa propre tribu, il faut en connaître les ennemis, l’idéologie et s’imposer de se « ranger » dans la bataille « tribocentrique ». Agir autrement serait héroïque et l’héroïsme n’est pas la chose du monde la mieux partagée. Il est exceptionnel.
Avec le conformisme, l’idée d’autonomie qui était constitutive de la modernité laisse place à autre chose. On pourrait parler d’hétéronomie, désignant par là le fait que je ne suis plus ma propre loi, la source de mes normes. Ma loi c’est l’autre. Je n’existe que dans et par l’esprit de l’autre, que dans et par le regard du groupe tribal.
Il y a, comme dans le phénomène mode, quelque chose qui s’établit dans la société, ne reposant plus sur la volonté, mais reposant sur la contamination. C’est quelque chose de l’ordre de la viralité. La mode c’est du viral ; cela donne lieu à des épidémies. Il y a donc quelque chose de cet ordre qui se met en place dans tous les domaines, y compris dans la propagation du tribalisme.
Pour aller plus loin
Cette question, « Comment devient-on tribaliste ? », comporte déjà une indication pathétique. La recherche d’une réponse fait émerger cette thèse qu’on ne naît pas tribaliste, mais on le devient.
Si le tribalisme est un produit social, quelque chose qui s’ajoute à la société, il n’en est pas moins un mal dont souffre le corps social et dont on peut le débarrasser par une thérapie appropriée.
Le défi lancé à la science politique, à la philosophie politique, à la religion et à l’éthique aujourd’hui est celui de savoir comment soigner l’État-Nation de cette maladie virale, mortelle, qu’est le tribalisme.
Comment penser le post tribal et la transtribalité (le dépassement de la tribu) en contexte de fière progression du tribalisme ? Cette question est évidemment un autre sujet que nous essayerons de traiter prochainement.
Partick Eric MAMPOUYA
Patrick Eric Mampouya