CONFERENCE DE PRESSE DU 1er MAI 2013

Collectif des partis de l’opposition congolaise, signataires de la déclaration du 17 août sur les élections législatives de 2012.

Collège des Présidents

—————-

CONFÉRENCE DE PRESSE DU 1er MAI 2013

Propos liminaire

Mesdames, messieurs

L’actualité politique congolaise est aujourd’hui dominée par la grève des enseignants et les échos du récent voyage en France du président de la République. Aussi, notre conférence de presse de ce jour, s’ordonnera-t-elle autour de ces deux thématiques.

A. La grève des enseignants et ses suites

Dans notre pays, l’absence d’une véritable politique économique créatrice d’emplois décents et la répartition inégale de la richesse nationale ont plongé le Congo dans une crise sociale sans précédent, caractérisée, entre autres, par un faible taux d’accès des populations aux services sociaux de base (eau potable, électricité, éducation, santé, logement décent), un chômage endémique, des inégalités scandaleuses de patrimoines et de revenus (par exemple, 90.000 FCFA pour un smicard qui peine à joindre les deux bouts et 15.000.000 de FCFA pour un ministre d’Etat qui s’ébroue dans un luxe insolent), la précarité, la pauvreté, la misère. L’ascenseur social est en panne. Au lieu de ruisseler vers le bas, les énormes revenus financiers générés par le pétrole ont été accaparés par une infime minorité de nantis, uniquement préoccupés par leurs intérêts égoïstes et totalement insensibles à la misère du plus grand nombre.

La grève des enseignants est un révélateur. Elle cristallise les préoccupations latentes de l’ensemble du peuple congolais. Vu la gravité de la crise, il faut mettre fin au triomphe de l’égoïsme, de la cupidité, de l’insolence, de l’arrogance et donner la priorité à la justice sociale. Aujourd’hui, le Congo est sur une bombe. Il marche vers l’abîme. Il est urgentissime d’apporter de vraies solutions aux graves maux qui le rongent. En effet, avec la grève des enseignants qui paralyse l’école congolaise sur l’ensemble du territoire national voici déjà deux mois, la crise sociale s’exacerbe et atteint un degré gravissime. Malgré les intimidations, les arrestations et les humiliations intolérables des responsables syndicaux, malgré les appels réitérés du gouvernement, des partis du pouvoir et des directions corrompues des syndicats, en vue de la reprise des cours, les enseignants sont restés inflexibles, ont refusé catégoriquement de reprendre le travail et clament haut et fort que la grève se poursuivra jusqu’à ce que le gouvernement apporte, dans les faits et non en paroles creuses et démagogiques, des réponses sérieuses et urgentes à leurs revendications. Ils ne croient pas aux promesses du pouvoir qui ne sont à leurs yeux que des ruses pour briser leur grève, d’autant que la parole du pouvoir est dévaluée et dégradée.

La situation  est d’autant plus grave que l’on s’achemine lentement, mais sûrement vers une année scolaire blanche, préjudiciable aux élèves et à l’ensemble du pays. Par ailleurs, le mouvement social menace de s’étendre à d’autres secteurs de la vie nationale. Pour éviter l’explosion, il faut promouvoir dans l’urgence, des mesures globales et fortes qui concourent réellement à l’amélioration des conditions de vie et de travail, non pas seulement pour une catégorie sociale particulière, mais aussi et surtout pour l’ensemble des populations congolaises. C’est en garantissant au plus grand nombre, une vie digne, qu’on sortira de la crise sociale actuelle, dont la cause fondamentale est, d’abord et avant tout, la paupérisation accélérée de près de 70% de Congolais qui vivent en dessous du seuil de pauvreté, c’est-à-dire, avec moins de 500 FCFA par jour, dans un pays où le coût de la vie est extrêmement élevé, avec un taux d’inflation de l’ordre de 6%. Le Congo se meurt du triomphe de la cupidité et du comportement prédateur et égoïste de ses dirigeants. Voilà la véritable origine de la crise sociale actuelle, qui est en fait une crise du régime.

Pour sortir du marasme, il faut revaloriser de manière significative, le pouvoir d’achat des populations, les salaires des fonctionnaires, toutes catégories professionnelles confondues, les pensions des retraités, les bourses des étudiants. Dans la même optique, il faut promouvoir une assurance maladie universelle, diversifier l’économie, en vue de créer des emplois décents, agir sur les prix et améliorer l’accès des populations aux services sociaux de base. Le Congo en a les moyens. Il n’a jamais été aussi riche que maintenant. A titre illustratif, le budget de l’Etat, exercice 2013 est évalué à la coquette somme de 4117 milliards de FCFA. C’est énorme ! Le mal, c’est que la justice sociale est le cadet des soucis du pouvoir, aveuglé qu’il est par ses privilèges.

La véritable solution à la crise sociale actuelle ne réside pas dans les fausses réponses du type de celle proposée par le pouvoir à travers la conférence sur la refonte du statut général de la fonction publique, conférence qui ne porte que sur la situation d’une seule catégorie sociale, les fonctionnaires (près de 80.000 selon les chiffres officiels), alors que le Congo compte aujourd’hui près de 4 millions d’habitants. Quel sort le pouvoir réserve-t-il aux 3.920.000 Congolais restants qui ne sont pas des fonctionnaires ?

La vraie solution passe bien plutôt par un sursaut de justice sociale à l’égard de l’ensemble des populations congolaises. Ce qu’il faut aujourd’hui, c’est une réponse globale à la crise multidimensionnelle que le Congo connait actuellement et non le recours aux expédients que propose le pouvoir. Il s’agit de promouvoir notamment :

– une économie forte et diversifiée, car on ne peut distribuer que si l’on produit ;

– le plein-emploi et un salaire décent pour tous ceux qui ont un emploi ;

– des conditions de travail décentes ;

– un juste partage des revenus ;

– l’accès des populations aux services sociaux de base ;

– une paix durable établie sur la base de la justice sociale ;

– la bonne gouvernance ;

– la transparence dans la gestion des finances publiques ;

– l’Etat de droit et la moralisation de la vie politique.

Plus concrètement, il ne s’agit pas de se contenter d’aligner des vœux pieux, mais de mettre en œuvre des mesures concrètes dont :

– porter le Smig à 150.000 FCFA comme au Gabon dont le budget est plus faible que celui du Congo ;

– porter la valeur du point indiciaire de la fonction publique de 200F à 400Fcfa  pour toutes les catégories professionnelles ;

– lever la mesure inique de réduction du nombre de points des indices des fonctionnaires (de 150 à 200 selon les catégories), mesure adoptée par le gouvernement en 2010 ;

– réduire le nombre des corps professionnels de la fonction publique de 18 à 6 (Administration ; Technique ; Education, Recherche Scientifique et Culture ; Santé et Affaires Sociales ; Economie et Finances ; Force publique) ;

– revaloriser le taux de la bourse des étudiants évoluant au Congo et adapter le taux de la bourse des étudiants congolais évoluant à l’étranger au coût de la vie des pays d’accueil ;

– revaloriser le taux des pensions de retraite de 50% ;

– créer un Fonds pour l’emploi en général, l’emploi des jeunes en particulier ;

– prendre des mesures concrètes pour diversifier l’économie et sortir de l’économie de rente dans laquelle nous nous vautrons depuis l’indépendance ;

– promouvoir une assurance maladie universelle et reformer la sécurité sociale dans son ensemble ;

– prendre des mesures concrètes pour améliorer l’accès des populations à l’eau potable, à l’électricité, aux soins de santé, à une éducation et une formation professionnelle de qualité, à un logement décent ;

– réduire le train de vie de l’Etat ;

– appliquer rigoureusement le contrat Etat SNPC qui dispose que la SNPC doit reverser le produit de la vente du pétrole revenant à l’Etat au titre du contrat de partage de production, dans les trois jours qui suivent l’encaissement par elle des fonds relatifs à cette vente ;

– rapatrier l’argent de l’Etat domicilié dans les banques étrangères, notamment à la Banque de Chine, au Singapour, au Brésil, au Qatar, en Autriche, à l’Île Maurice et dans certains paradis fiscaux ;

– exiger des responsables politiques de rapatrier leur argent logé dans des banques à l’étranger pour l’investir dans l’économie nationale ;

– harmoniser et publier les traitements des hauts responsables publics, etc.

Bref, il faut construire un nouveau contrat social, fondé sur le primat de la justice sociale, pour lutter contre le chômage, la précarité, la pauvreté. Il faut changer de cap, car la pauvreté constitue, là où elle existe, un danger pour la prospérité de tous. Les mesures sociales fortes proposées ci-dessus ne peuvent pas être prises dans le cadre de la conférence sur la refonte du statut général de la fonction publique convoquée par le pouvoir, qui n’est pas une réponse adaptée, car, la crise est globale. Ces mesures ne peuvent être décidées que par les Etats généraux de la nation, vrai dialogue politique national, rassemblant le pouvoir et toutes les forces vives de la nation, notamment, la vraie et seule opposition crédible, constituée par le Collectif des partis de l’opposition intérieure et par le Comité d’Action de la Diaspora congolaise en France.

Nous invitons en conséquence le président de la République à privilégier l’intérêt supérieur du pays et à donner une suite favorable à cette proposition de bon sens qui constitue aujourd’hui la seule voie de sortie du Congo de la crise multidimensionnelle qui le traverse de part en part. Nous l’avons dit, mais nous ne le répèterons jamais assez : les Etats généraux de la nation sont une exigence de survie collective. Au lieu de s’enfermer dans un déni suicidaire de la crise multidimensionnelle qui plombe le Congo, le pouvoir devrait se servir de cette grande crise, pour impulser une nouvelle dynamique politique, porteuse de bien-être pour l’ensemble des populations congolaises. Et les échos que nous recevons du récent voyage en France du chef de l’Etat vont dans ce sens. Aujourd’hui, le chef de l’Etat congolais est placé devant deux choix : celui du compromis qui passe par les Etats Généraux de la Nation et celui du passage en force avec ses conséquences désastreuses : violences aveugles, chaos, destruction du patrimoine national et mort des Congolais. Devant cette alternative, les Etats Généraux de la Nation sont le seul bon choix.

B. Le séjour en France du chef de l’Etat congolais

Du 8 au 12 avril 2013, le Chef de l’Etat congolais, Monsieur Denis Sassou-Nguesso, a effectué une visite de travail en France. Ce voyage qui rentre dans l’ordre normal des liens séculaires et de la coopération entre le Congo et la France, a surpris l’opinion la plus large d’autant qu’il a coûté très cher au pays, du fait du travail de lobbying laborieux et onéreux pour obtenir d’être reçu par son homologue français, du convoyage depuis Brazzaville et de la rémunération de nombreux compatriotes appelés à réserver au chef de l’Etat un accueil chaleureux et triomphal à sa descente d’avion. Toute cette fébrilité dont le but était la quête de popularité, dans le dessein de faire croire à l’opinion française l’attachement indéfectible et inconditionnel du peuple congolais à son président, cette fébrilité – disions-nous, s’est soldée par un échec cuisant.

Qu’il s’agisse de son souhait d’obtenir de la France son soutien dans sa volonté de briguer un troisième mandat à la tête du pays, qu’il s’agisse de sa volonté d’obtenir des autorités françaises une pression sur la justice française pour faire retirer le dossier des biens mal acquis, le président de la République du Congo a essuyé un refus catégorique de la France officielle.

En réponse à la sulfureuse question des biens mal acquis, le Président Denis SASSOU-NGUESSO en a appelé à la non-ingérence dans les affaires intérieures des autres pays.

Cette réponse appelle trois observations :

1. Le président congolais tente de faire d’une affaire personnelle et familiale, une affaire de l’Etat congolais. En effet, les biens incriminés sont identifiés par la police française comme appartenant au président Denis SASSOU-NGUESSO et à sa famille et non à l’Etat congolais.

2. A propos de la non-ingérence, il faut souligner que les biens incriminés sont domiciliés sur le territoire français. De ce fait, la justice française est habilitée à s’interroger sur l’origine des fonds qui ont servi à leur acquisition. Elle est donc dans son droit et il ne peut lui être opposé l’argument de l’ingérence dans les affaires intérieures du Congo. En démocratie, le problème de la morale comme celui des droits des peuples et du citoyen ne souffre d’aucune frontière. La transparence et l’intégrité morale sont des valeurs universelles.

3. En évoquant l’ingérence dans les affaires intérieures du Congo, le président de la République a oublié que, par le passé, son propre gouvernement a porté plainte en France contre son prédécesseur, le Président Pascal LISSOUBA, pour un hôtel particulier acquis par l’intéressé à Paris, procès d’ailleurs gagné par le Président LISSOUBA. A ce moment-là, le président SASSOU n’a pas jugé intolérable l’ingérence de la justice française dans une affaire congolaise. Pourquoi deux poids, deux mesures ? Lorsque pour des besoins de la cause, le président SASSOU-NGUESSO intervient auprès de la justice française pour obtenir satisfaction, ce n’est pas de l’ingérence ; mais lorsque la justice française fait son travail en cherchant à connaître l’origine des fonds qui ont servi à l’acquisition des biens domiciliés sur le sol français, cela devient, selon lui,  de l’ingérence. Curieuse logique !

Le peuple congolais ne peut que s’indigner et se sentir humilié à travers les déclarations du président de la République. Il s’agit de l’honneur du Congo. Dans la mesure où le président de la République s’est senti offusqué d’avoir été indument accusé de détention de biens mal acquis, son devoir est, non pas de dénoncer l’ingérence dans les affaires intérieures du Congo, mais de se porter partie civile devant les tribunaux français, pour prouver son innocence et ainsi laver son honneur sali.

Quand le premier magistrat d’un pays qui se veut démocratique fait l’apologie du crime, alors il n’y a plus de justice. Dans ces conditions, il n’est pas surprenant que Maître William Bourbon, avocat de Transparency International, la partie plaignante, ait déclaré ce qui suit : « À chaque fois qu’un tyran, un dictateur africain, n’a pas été satisfait ou a été agacé par telle ou telle décision de la France, il a fait du chantage. Du chantage aux permis d’exploration attendus par plusieurs entreprises françaises, il a fait du chantage sur les coopérants ».

Le chef de l’Etat congolais, en demandant aux  autorités françaises de faire pression sur la justice, transpose en France où la justice est indépendante, ce qu’il fait au Congo où les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire sont confondus et placés sous sa botte. Souvenons-nous des parodies de procès organisées au Congo, avec à la clé l’excuse de l’autorité de la chose jugée, chaque fois que les conclusions desdits procès sont remises en cause, comme dans l’affaire des disparus du Beach de Brazzaville. A propos de la justice congolaise, le ministre Zacharie BOWAO, un haut dignitaire du pouvoir, parlait d’une justice « injuste » lors de son inculpation dans l’interminable affaire des explosions du 4 mars 2012 à Mpila.

Par ailleurs, ayant échoué dans l’atteinte des objectifs politiques qu’il avait assignés à son voyage, le chef de l’Etat a cherché à se rattraper en versant dans la démagogie sociale comme à son habitude. Dans ce cadre, au cours d’une rencontre avec la diaspora, il a demandé à tous les Congolais en fin de formation de rentrer au pays pour aider à la construction nationale. De qui se moque-t-il, lorsqu’on sait que depuis plus de dix ans, de nombreux Congolais diplômés sont sans emploi, que les médecins formés à la Faculté des Sciences de la Santé, que les professeurs de CEG et de Lycées formés à l’Ecole Normale Supérieure, que les instituteurs formés à l’ENI, n’ont jamais été recrutés et que 70% des jeunes Congolais sont sans emploi. Rappelons qu’en 2002, le président Denis SASSOU-NGUESSO avait déjà promis que chaque année il créerait 40 000 emplois. Dans la pratique, il n’en a créé aucun si l’on excepte les nombreux miliciens de sa milice privée de Tsambitcho qu’il a décidé d’intégrer maintenant dans les différents corps de l’armée, privatisant encore plus ce qui restait des lambeaux de l’armée nationale. Que fera-t-il alors de ces nombreux compatriotes de la diaspora à qui il a demandé de rentrer au pays, puisqu’il n’a pas d’emplois à leur proposer ? Cette promesse est, pour reprendre un néologisme de la diaspora congolaise en France, « insalamable », c’est-à-dire irréalisable.

Il faut cependant noter que le voyage en France du chef de l’Etat a eu un côté positif pour le peuple congolais. En effet, à tous les niveaux du pouvoir français, il a été conseillé au président congolais d’adopter une attitude de sagesse, de respecter sa propre Constitution, de ne pas briguer un troisième mandat et de commencer, dès maintenant, à préparer sa sortie, aux fins de garantir une alternance démocratique et apaisée à la fin de son deuxième et dernier mandat qui se terminera le 14 août 2016.

Fait à Brazzaville, le 1er mai 2013

Le Collège des Présidents