Congo-Brazzaville :   les forces et les faiblesses de l’opposition.

jean-sylvestre-itoua-300x223-7288150 Jean Sylvestre ITOUA

Par :  Par Jean Sylvestre ITOUA

Depuis la tenue de ses Etats généraux, les 20 et 22 février 2009, l’opposition congolaise a engagé sans désemparer un combat courageux, en vue de contribuer à la construction et à la mise en œuvre des conditions permissives d’élections libres, transparentes et justes au Congo, facteurs essentiels d’une alternance démocratique et pacifique. Malheureusement, les multiples manœuvres ourdies par le pouvoir pour la diviser, l’affaiblir et la décapiter, mais aussi ses propres faiblesses structurelles et politiques n’ont pas permis à l’opposition d’atteindre cet objectif jusqu’à ce jour.

La cause principale du développement d’un phénomène étant interne, c’est en elle-même que l’opposition doit d’abord rechercher les raisons de ses échecs successifs depuis 2009. En effet, elle accuse un certain nombre de faiblesses parmi lesquelles on peut distinguer :

  • L’absence d’une vision politique claire et la sensibilité à l’appel de l’argent facile ;
  • L’insuffisance d’implantation nationale des partis ;
  • La ténuité des stratégies de communication ;
  • la bataille des égos;
  • L’addiction au népotisme et à la préférence ethno-régionale.
  1. L’absence d’une vision politique claire et la sensibilité à l’appel de l’argent facile

Dans les démocraties modernes, un parti politique est un regroupement d’hommes et de femmes autour d’un idéal, concrétisé par un projet de société et un programme de gouvernement, aux fins de conquérir et d’exercer le pouvoir d’Etat. Dans ce contexte, les acteurs politiques sont d’abord et avant tout des militants d’une cause. Ils sont guidés par l’éthique de la conviction et sont voués au désintéressement et au sacrifice. Ils entrent en politique pour servir l’intérêt général et non pas les intérêts personnels ou partisans.

Au Congo-Brazzaville au contraire, à part quelques rares exceptions, les partis politiques ne se créent pas sur la base de doctrines politiques, économiques et sociales cohérentes ou de projets politiques partagés. On entre en politique non pas par conviction, mais bien souvent par souci alimentaire, pour servir ses propres intérêts, ceux de sa famille, ainsi que ceux des ressortissants de son village, des membres de son ethnie ou de sa région d’origine.

La plupart des acteurs politiques congolais ne pensent qu’à une chose: les avantages et les privilèges du pouvoir. Soucieux avant tout de s’enrichir à des fins personnelles, ils pratiquent la « politique du ventre»; versatiles, ils tournent casaque chaque fois que le pouvoir change de détenteurs. Ils sont peu enclins à l’éthique morale et à l’intérêt général, de sorte qu’au sein de la classe politique congolaise, il y a très peu de femmes et d’hommes politiques dignes de ce nom, mais une pléiade d’opportunistes invétérés.

  1. La faiblesse organisationnelle

A de très rares exceptions près, la plupart des partis politiques de l’opposition sont très insuffisamment implantés sur l’ensemble du territoire national. Certains n’existent que dans le chef-lieu du district d’origine de leurs leaders. Certains autres ne sont composés que des membres des familles de leurs dirigeants ou se réduisent à une sorte de petit club d’amis. De ce point de vue, leur capacité de mobilisation des masses est nulle. A cette insuffisance d’implantation nationale, s’ajoute le manque d’organes de médiation (associations des jeunes, des femmes, syndicats, comités de soutien, associations de la société civile affiliées), relais importants d’un parti politique en matière de mobilisation des populations.

Par ailleurs, dans leur ensemble, les partis de l’opposition ne disposent pas de moyens modernes de communication. Ils n’ont ni radios, ni télévisions, ni journaux. Beaucoup n’ont même pas un site Internet ou un compte Facebook ou Twiter. Les médias publics étant totalement caporalisés par le pouvoir, le message de l’opposition n’est que très faiblement relayé dans l‘opinion nationale.

Portés par des égos surdimensionnés, la plupart des acteurs politiques de l’opposition congolaise pensent avoir chacun un destin présidentiel. Dans cet esprit, chacun met en avant ses ambitions personnelles, privilégie ses intérêts et joue sa propre partition, au détriment de l’unité de l’opposition. Ce chacun pour soi et cette absence de vision unitaire nuisent grandement à la cohésion de l’opposition et à l’adoption d’un projet politique commun. Dans le processus du combat pour un nouvel ordre politique démocratique et pour une alternance pacifique, l’unité d’action de toutes les forces authentiquement démocratiques et républicaines est le gage du succès. C’est pourquoi, il est indispensable que les responsables des partis de l’opposition réelle fassent fi de leur égos, mettent en sourdine leurs ambitions personnelles et donnent la priorité au Congo, à l’intérêt général et à l’unité d’action, socle sans lequel il n’y aura pas de victoire demain pour l’opposition.

  1. L’addiction au népotisme et à la préférence ethno-régionale

Du fait des pratiques népotiques et ethno-régionalistes exacerbées du pouvoir, aujourd’hui des ressortissants de districts, de départements, d’ethnies, aspirent à affirmer spécifiquement leur identité. Dans ce cadre, beaucoup d’acteurs politiques instrumentalisent les originaires de leurs districts ou départements d’origine, ainsi que les membres de leurs ethnies d’appartenance et s’en servent comme une base privilégiée de mobilisation partisane. Cette ethno-régionalisation de la vie politique contribue à fixer dans la conscience collective, des schémas de représentation du pouvoir fondés sur des oppositions entre les ethnies:(Mbochis/Bacongos;Mbochis/Téké; Mbochis/Babembés; Laris/Kongos; Babembés/Laris, etc.) ou entre le Nord et le Sud du Congo. Face à la montée des crispations géo-ethniques, la construction de la nation sur des bases nouvelles oblige les vrais patriotes à combattre impitoyablement toute forme de népotisme, d’ethnocentrisme et de régionalisme, d’où qu’elle vienne.

Les considérations qui précèdent montrent que l’action de l’opposition est obérée par d’importantes faiblesses structurelles et politiques. Mais l’opposition n’a pas que des faiblesses. Elle a aussi des atouts. Elle est aujourd’hui merveilleusement servie par trois facteurs favorables:

– la montée en puissance de forces politiques réellement démocratiques, républicaines et déterminées;

– la désaffection des populations par rapport au pouvoir ;

– le soutien de la communauté internationale.

  1. La montée en puissance des forces politiques réellement démocratiques, républicaines et déterminées

Depuis le 17 septembre 2012, quelque chose s’est levé et s’est mis en marche inexorablement. La création du Collectif des partis de l’opposition congolaise, composé de partis authentiquement patriotiques et démocratiques, résolument déterminés à promouvoir un nouvel ordre politique et à relever les défis du redressement et de la construction d’un Congo nouveau, constitue un atout exceptionnel et autorise l’espoir. A la condition que ces partis ne travaillent pas uniquement au sommet, mais consentent à descendre à la base et à s’intégrer au vaste mouvement populaire en faveur du vrai changement et de la rupture d’avec les conceptions, les mentalités et les pratiques politiques et sociales d’hier et d’aujourd’hui, mouvement qui se manifeste aux quatre coins du Congo. Car, la mobilisation populaire reste la seule arme de l’opposition dans son combat pour une alternance démocratique et pacifique face à un pouvoir lourdement armé et déterminé à préserver ses privilèges par la force brutale.

  1. La désaffection des populations

La gestion néo-patrimoniale, partisane et dictatoriale du pouvoir, la paupérisation accrue des populations, l’insensibilité à l’humain, la corruption, les détournements des deniers publics, l’appropriation personnelle des biens de l’Etat, le noyautage clanique et partisan des postes de responsabilités au sommet de l’Etat, l’enrichissement illicite, l’arrogance et le mépris des dirigeants, l’aggravation des inégalités et des injustices sociales, l’impunité, tout cela a engendré un profond sentiment de frustration des populations qui rejettent désormais dans leur écrasante majorité le pouvoir actuel, ouvrant ainsi un vaste boulevard pour l’opposition.

  1. Le soutien de la communauté internationale

Dans son combat pour un nouvel ordre politique et social, l’opposition congolaise bénéficie d’un fort soutien de la communauté internationale, notamment des grandes nations démocratiques, des humanistes, des démocrates et des républicains de par le monde, des organisations de défense des Droits de l’Homme. Ce soutien est un atout important pour l’opposition congolaise réelle qui a l’ardente obligation de le capitaliser. Toutefois, elle doit d’abord compter sur elle-même, car, l’aide extérieure n’est jamais qu’un appoint. Il apparaît alors impératif et urgent pour les forces réellement attachées aux idéaux de la démocratie de fédérer leur énergie, parce que l’union fait la force.

Cependant, cette nécessaire unité d’action de l’opposition réelle doit être fondée sur des principes clairs : la sincérité des acteurs politiques, le respect de la parole donnée et des engagements pris, le rejet des calculs politiciens et de la transhumance politique, la confiance méritée. Les conditions d’aujourd’hui imposent de reconstruire une vraie et solide opposition. Dans cette perspective, les partis réellement démocratiques et républicains doivent s’investir dans cette mission patriotique.

Tout bien pesé, l’opposition congolaise peut réussir, mais à la condition de valoriser ses atouts, de surmonter ses faiblesses actuelles et de participer au sein du peuple, à la création d’un nouveau rapport de force politique pour imposer la mise en œuvre des conditions favorables à une alternance démocratique et pacifique au Congo-Brazzaville.

  le 23 mars 2019

Par Jean Sylvestre ITOUA