« Congo-Brazzaville : les intellectuels aux abonnés absents »

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Par : MAMOU COCTON (la ballade des idées)

Lorsque le droit et la justice ne réparent plus, que l’arbitraire est imposé au peuple, la parole prophétique de l’intellectuel attise les braises de l’espoir.

Gonflés d’amour, pressés par les murmures de la vocation, ils avaient vaincu la rude pente qui mène aux hauteurs de la pensée. Profusion donc de courage, d’abnégation et de foi. Il en faut pour une telle expédition. Les fous seuls, les grands naïfs et les mystiques, dans une société ou des décennies de corruption, de badinage et de brutalités, avaient ringardisé honnêteté, correction et mérite, pouvaient s’éreinter à glaner des savoirs qui ne les placeraient pas aux premiers rôles.

Moqués pour leur vocation d’arrière-garde, les aspirants à une vie de pensée étaient conscients de la justesse de leur choix. N’en déplaise aux imbéciles armés de quolibets, les palmes leur revenaient. Ils avaient choisi la difficile mission d’éclairer l’avenir, de porter les lumières de Socrate, l’humanisme de Montaigne, la rébellion de Césaire. On enseignait, on écrivait, on discourait, avec passion, parfois au risque de grands périls.

Pourtant cet esprit, nécessaire en démocratie, régime qui ne vit que par la parole raisonnée et la discipline des passions, ne perdura pas. Il s’épuisa après la Conférence Nationale Souveraine. En taillant en pièces le régime militaro-marxiste, ce grand débat inspiré par les dérives du régime de naguère et les injonctions de l’histoire – celles de la Baule y compris -, consacrait la liberté politique. Seulement la parole déliée, envoûtée par des ardeurs longuement étouffées, exprima le nauséabond et fit voler en éclat l’esprit de responsabilité. Chez les intellectuels notamment. Sans évaluer les conséquences de ces idiotes crispations, on versa dans le piège de l’appartenance groupale.

Au lieu d’aider le peuple à affermir son caractère en vue des défis de la démocratie naissante, ils renforcèrent de leur stature les factions opposées dans la crise qui s’installa au lendemain de la première élection d’un Président au suffrage universel, privant cette démocratie de leur souffle. Participer à l’hubris collective, postillonner d’odieux outrages, présentait certainement plus d’attraits que de bander le courage nécessaire à la concorde, sinon à la bonne entente nationale. Les atrocités commises par des Congolais sur des Congolais n’émurent pas ces âmes sensibles aux valeurs universelles de l’humanité.

Première démission qui en disait suffisamment sur leur qualité. Le malheur des Congolais est d’avoir fait confiance à ces imposteurs. Donnant l’illusion d’un sincère attachement au vrai et au beau, ils lorgnaient des privilèges de mandarins égoïstes.

Bercés par les sérénades et les flatteries de leurs groupes d’appartenance respectifs auprès de qui ils paradaient vaniteux, supputant leurs avantages en cas de succès de leur camp, très peu alertèrent des hasards qu’augurait cette pagaille. Penseurs à courte vue, savaient-il au moins que leur soumission aux logiques groupales préparait des sombres jours ?

L’affaire reste à instruire. Privée des lumières et des repères censés être fournis par ces éclaireurs par vocation, la société congolaise exposée à des glaives scélérats, connut bientôt le malheur. Point besoin d’y revenir, les honnêtes gens n’ergotent pas sur la nature des événements qui ont conduit à l’assassinat de la démocratie congolaise et au trépas de trop des nôtres.

Tombé dans l’escarcelle de mafieux et de pillards, le pays sombra dans un insondable chaos. La pire phase de son histoire post-indépendance. Il s’est depuis transformé en un îlot d’injustice, de terreur, de brigandage, de censure. Certains anciens colonisés en arrivent même outrés à regretter la férule coloniale. « Au moins on était soignés et le pays était bien tenu, disent-ils ».

Les opposants parfois accablés pour leur nonchalance ou leur complaisance ont été de tous les combats. Avec leurs armes morales et intellectuelles respectives. Il faut le leur reconnaître. Rien d’étonnant si les pauvres diables de leurs rangs ont choisi la soumission. Point de courage politique sans courage morale.

Ce qui est ahurissant dans ce pays qui longtemps bouillonna d’art et de culture c’est l’érosion d’âmes capables de réflexion dans une phase si dure de notre histoire. Où sont passés indignation, révolte, dissidence ?

Écrasés par le rouleau compresseur des antivaleurs tant décriées par le pouvoir ? J’entends déjà objecter de la brutalité du régime. Certes on ne peut pas l’en absoudre, mais que dire des faiblesses des hommes de culture ? La complaisance de nombreux d’entre eux avec la logique ethnique s’est érigée en frontière conceptuelle et morale.

Critiquer oui, mais pas les parents. Ainsi passent sous silence les maux destructeurs des structures sociales et institutionnelles. Rares en effet sont les élites congolaises partageant les terroirs des hommes du pouvoir à avoir fait preuve de liberté critique. Ils se taisent lors même que l’injustifiable et l’imprescriptible se commettent sous leur nez.

Antigone n’est pas congolaise, mais si un tel niveau d’abus et d’oppression ne réveille pas les consciences éclairées, c’est qu’elles ne l’ont jamais été. Fussent-ils des membres du parti au pouvoir, on pourrait arguer de leur bâillonnement par le parti, mais là encore l’argument ne tiendrait pas. Le haut degré d’exigence de ces gens confère une passion si ardente de la liberté que rien, ni parti ni parents, ne pourrait les empêcher d’agir selon leurs principes.

Que ce soit le fait de l’engourdissement d’une conscience de bourgeoise impassible et attelée à la sauvegarde de piètres intérêts, de la tentation du maroquin ou du strapontin, de l’ivresse de la collusion avec le pouvoir, vecteur de l’illusion d’inspirer l’action du prince, trop de clercs Congolais sont devenus les chiens de garde des coffres forts

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MAMOU COCTON