Felix BANKOUNDA MPELE
Par: Felix BANKOUNDA-MPELE
Il y a cinq ans et trois mois pile, le 8 avril 2013 précisément, Sassou-Nguesso, impatient et presque aux abois, était enfin reçu par François Hollande à l’Elysée. Quelques heures après, en milieu d’après-midi, il accordait une interview à France 24, auprès de feu Jean-Karim Fall où, sans détour et scrupules, il faisait la démonstration que, pour lui, tous les moyens sont bons pour parvenir à ses fins, y compris le trafic d’influence, en déclarant clairement qu’il avait re-posé son problème de « biens mal acquis » au président Hollande, après le lui avoir déjà exposé au dernier sommet de la Francophonie en octobre 2012, à Kinshasa.
Furie du Sécrétariat général de l’Elysée auprès duquel officiat alors Emmanuel Macron pour annoncer, par un communiqué spécial le même jour, que le président Hollande n’avait pas abordé ce problème avec Sassou-Nguesso. Parole contre parole, qui mentait dans ces déclarations pour le moins burlesques.
À la veille de la réception du même despote congolais par l’ex-Sécrétaire général adjoint, Emmanuel Macron, devenu président, nous vous re-servons ce que nous écrivions alors, à la suite de cette visite, en attendant de vous livrer, dans les jours qui suivent, nos réflexions sur ce séjour, mais aussi à propos de « L’épisode Mokoko, une bien ordinaire et prévisible ‘sassoulerie’ politico-judiciaire »
Qui l’eut cru !
‘L’Etat honteux’ ! Une satire évidemment ! Une superbe et exubérante satire! La satire c’est, on le sait, un genre littéraire libre, une caricature critique des mœurs publiques. En conséquence, elle renvoie au vécu, en grossissant les traits pour attirer l’attention, tenter d’anticiper la bêtise difficilement réparable, et esquisser une correction, par une salve de faits et gestes à faire rire ou pleurer, à émouvoir en tout état de cause. La vertu pédagogique ou morale, voire accessoirement thérapeutique, n’en est cependant jamais bien loin. « L’Etat honteux »1, du célèbre, caustique et rebelle écrivain congolais, Sony Labou Tansi, est de ce genre. Ce qu’il ne dément au demeurant pas lorsqu’il affirme lui-même qu’ « avec l’Etat honteux, j’ai voulu écrire un livre pour rire. C’est un roman qui fait à la fois rire et pleurer. Le lecteur rit non pour le plaisir, mais à cause de la bêtise des hommes »2
‘L’Etat honteux’, de façon manifeste et en résumé, c’est le portrait d’un président mégalomane et, naturellement, détenant un pouvoir personnel et absolu, confondant et réduisant ainsi le peuple et le domaine public à ses caprices, à son patrimoine. Avec des pratiques et conséquences diverses et inouïes où se mêlent, on s’en doute, justification fallacieuse de coup d’Etat, de multiples excès, excentricité, bon plaisir, irrationalités de tous genres, mercantilisme, machiavélisme, grossièretés, frénésie sexuelle, petits meurtres entre parents et proches pour soupçons de coup d’Etat, violences meurtrières, humiliations du peuple astreint à la ‘servitude volontaire’ et absolue, Far-West, procès politiques, courtisans à gogo, sexisme et racisme. Bref, toute la panoplie imaginable et inimaginable susceptible d’accompagner tout pouvoir irrationnel.
Qui eut cru que la réalité puisse rivaliser la fiction ! Car, cela est très rare. L’actualité et, rétrospectivement, la vie politique congolaise relativement récente du pouvoir congolais, de ses dirigeants, réussit, indiscutablement, à relever avec brio le défi.
De l’actualité toute chaude, difficile il apparaissait, pour tout esprit doué de sens critique, du sens du discernement, et se doutant partant et a priori de l’éthique, du sens de l’Etat ou du simple bon sens tout court qui doit animer un « président de la République…, chef suprême de la magistrature », de croire aux indiscrétions du journal d’information ‘La lettre du continent’3 qui, à l’occasion du sommet de la Francophonie de Kinshasa en octobre dernier, de la première rencontre présidentielle Hollande-Sassou, annonçait que ce dernier était allé lui « parler de l’affaire dite des ‘biens mal acquis’ », c’est-à-dire d’une affaire éminemment privée puisque relative à son colossal patrimoine immobilier et celui des siens en France, de surcroît présumé mal acquis !
L’interview accordée par l’homme d’Etat congolais, le 8 avril dernier, à la chaîne française France 24, jour de sa réception en visite officielle par le président français, dément cette réserve de crédit: « oui, nous en avons reparlé rapidement», répond et avoue Sassou-Nguesso au journaliste !
Personne ne peut douter un seul instant que ce ne soit encore lui qui ait remis une affaire aussi gênante à l’ordre du jour. De même, l’on ne saurait douter que Hollande ait été fort embarrassé, malgré l’inévitable briefing opéré de la personne par les services habituels. Il y a fort à parier que sous le couvert des « problèmes de coopération », l’objectif majeur du « guide » congolais soit cette affaire, tant elle révèle l’obsession, le forcing et par delà, la véritable nature et la conception du pouvoir de « l’homme d’exception » congolais, pour reprendre la formule à lui favorablement attribuée par l’historien congolais, Théophile Obenga, depuis devenu, avec d’autres, expert du marketing politique du dictateur congolais.
Comme si cela ne suffisait pas, il fallait, en plus, que l’homme d’Etat congolais déclarât et justifiât, à la face du monde, sa position et son fondement ! De manière pour le moins spécieuse : « nous dénions à la justice française le droit d’ingérence dans les affaires intérieures d’un autre Etat » !
Comprendra qui pourra : de quoi Hollande se mêle-t-il des affaires du Congo-Brazzaville? Quelles sont ces affaires intérieures ? Où se trouve l’ingérence ?
Si, comme on le sait, lesdites affaires sont celles relatives aux présumés biens mal acquis, à l’important patrimoine immobilier en France de lui et son clan sur le territoire français, et sur lequel la Cour de cassation s’est prononcée depuis le 9 novembre 2010 ( cf. notre réflexion alors, suite à la réaction virulente de la partie congolaise : « Biens mal acquis…participent du pouvoir mal acquis », en ligne) en autorisant l’enquête, l’insistance de Sassou-Nguesso, outre qu’elle est juridiquement et objectivement inutile, dénote une méconnaissance absolue des mécanismes de la justice, mais surtout une conception particulière de celle-ci, c’est-à-dire celle qu’il use dans son pays : une justice aux ordres.
Rien d’étonnant au quadruple regard de sa longue culture monopartite où sous le couvert du rôle dirigeant du parti prévalait en fait celui d’un homme, du régime constitutionnel qu’il s’est octroyé qui instaure une subtile confusion des pouvoirs à son profit évidemment, de l’issue de la décision de justice locale qui a abouti à l’acquittement de tous les officiers cités dans l’affaire des ‘Disparus du beach’, mais surtout de la façon dont il avait réussi à transiger et imposer ses vues aux prédécesseurs de François Hollande sur lesdites affaires. De ce point de vue, il lui est inconcevable et reste imperméable à l’idée qu’un président de la République ne puisse pas tenir la justice. N’est-ce pas illustratif d’une vision despotique du pouvoir ? Pourtant, l’actualité judiciaire des deux dernières années en France, dans laquelle ses deux derniers présidents protecteurs d’hier croulent sous les feux de la justice, et où le président Hollande lui-même a été obligé de se débarrasser d’urgence et sous pression des médias d’un de ses ministres (Jérôme Cahuzac), était suffisamment dissuasive à cet égard pour toute personne. Sauf pour lui apparemment !
En vain, on cherchera un début d’ingérence dans cette affaire ! Bien que la thèse a estomaqué tous les observateurs, et notamment la partie accusatrice dont Maître Bourdon pour qui « Sassou Nguesso est …un kleptocrate, un homme que l’histoire et le droit ont abandonné depuis…», lui persiste et signe puisqu’à l’interview donnée à son arrivée à l’aéroport de Brazzaville, le 12 avril soir, il est revenu sur sa thèse : « J’ai réaffirmé le principe de non ingérence dans les affaires intérieures des Etats »! Curieux !
Et, pour ne pas encourager les ‘opposants’, il a ajouté et pris garde de souligner auprès des journalistes que « Les entretiens avec le président Hollande se sont déroulés dans un très bon esprit », alors que beaucoup n’ont pas manqué de constater des signes de froideur4, dont l’absence de tapis rouge et le fait que François Hollande n’ait pas daigné descendre les marches du perron pour l’accueillir.
En réalité, parce que confondant en permanence et presque de bonne foi la sphère étatique et la sphère privée, leader et pratiquant incontesté du ‘neo-patrimonialisme’, et cela depuis belle lurette, il est convaincu que cette affaire doit être résolue selon ‘la raison d’Etat’. Car, c’est une expérience éternelle chez les dictateurs que le bon vouloir, l’intérêt du chef relève de celle-ci. Et c’est sans nul doute pour cela qu’il a tenu, de façon chevronnée, à faire coïncider visite en France avec la réception quelques jours auparavant du président chinois à Brazzaville, le 29 mars dernier, et auprès de qui il aura stigmatisé l’Etat français colonisateur et auteur du retard congolais et de l’Afrique, alors que la politique extérieure de la Chine, elle, est, au passage, créditée de « pragmatique…, fondée sur le respect mutuel, la non-ingérence, une politique qui représente tout un modèle du monde de demain ».Un subtil chantage et une pression à peine voilée.
La position de l’homme d’Etat congolais sur cette affaire, aura démontré, à ceux qui n’y croyaient guère, ou en doutaient encore, la confusion qu’établissent bien souvent nombreux des dirigeants africains entre l’intérêt personnel et les affaires d’Etat, l’exploitation, la transaction ou le détournement des mécanismes publics et internationaux au profit de leurs affaires privées. Sans gêne ni état d’âme !
Elle démontre également l’inertie des institutions nationales de contrôle et des forces politiques (Cf. notre réflexion citée : « Biens mal acquis…participent du pouvoir mal acquis »), de l’absence de morale politique, de l’aiguisement du mercantilisme, de la popularisation de la corruption et, surtout, des égarements de ceux qui étaient censés, en raison de leur formation, assurer le fonctionnement des mécanismes et institutions, c’est-à-dire l’élite, désormais, largement ‘mercenarisée’ (Cf. notre réflexion à cet égard : F. Bankounda Mpélé, « Jusqu’où ira l’élite ‘mercenarisée’ au Congo : curiosités politico-juridiques du ministre-juridte Bienvenu Okiémy», Congo-Liberty, 15 mai 2012, en ligne).
Bref, en direct, a été mise à nu l’illusion de l’Etat de droit et de la prétendue ‘bonne gouvernance’ du Congo, mais aussi la timidité des médias : venus nombreux, comme de coutume, attendre ‘l’homme fort’ à l’aéroport pour la traditionnelle interview, les journalistes ont posé diverses questions, allant jusqu’à interroger ‘le chef’ sur l’affaire Cahuzac, mais aucun journaliste n’a pu remettre en selle la fameuse question des ‘biens mal acquis’, semant indirectement un malaise dont ‘le guide’ lui-même, se doutant de l’implicite, a choisi de prononcer en lui flanquant la réponse-formule déjà mentionnée de « la non-ingérence » !
C’est le très africaniste journaliste Antoine Glaser qui, répondant à la question de savoir comment comprendre et interpréter cette réponse pour le moins déroutante de Sassou-Nguesso sur les BMA, a trouvé la plus laconique, édifiante et assez hilarante formule : « il est comme ça » !
Autrement dit, n’allez y chercher ni raison, ni droit, vous n’y comprendrez que dalle ! Parce que, ‘l’homme fort’ a presque toujours fait de son intérêt, de ses caprices, de ses vœux et ses ambitions, le début et la fin de la raison et du droit. Cela seul permet de comprendre, de décoder sa position qui, ces angles compris, n’a plus rien d’étonnant alors et apparaît plutôt normal.
En effet, cette position est tout sauf fortuite. Elle se situe dans une logique, une conception, une pratique et un comportement constants du dirigeant congolais qui, dans sa vie politique, ne s’interdit et ne ménage jamais rien sur tout ce qui relève du pouvoir qui, apparemment, n’a pas de prix et constitue ‘la cause finale’, au sommet du reste, y compris le droit, la morale, l’honneur.
Ainsi, et à titre indicatif, on rappellera que si au lendemain 5 juin 1997, date d’éclatement des événements de Brazzaville, devant les accusations de coup d’Etat, le général Sassou, alors dans l’opposition, clame qu’ « …on m’accuse d’avoir voulu faire un coup d’Etat. C’est absurde !…Le but n’est pas la prise du pouvoir»5 ! Quelques quatre mois après, à l’issue de la lourde et criminelle entreprise qui aura coûté plus de dix mille morts selon toutes les sources, et confirmées par lui-même, il s’autoproclame tout de même président le 25 octobre 1997, après avoir abrogé la Constitution la veille, sans que cela ne l’empêche de continuer à soutenir qu’ « il n’y a pas eu coup d’Etat au Congo » 6! Par ailleurs, à propos de l’apocalypse de Bacongo en décembre 1998 qui aura là également entrainé, selon la confidence d’un officier supérieur de l’Armée à un journaliste de l’AFP (1er avril 1999), plus de 1500 morts en quelques soixante douze heures, et accablé par les journalistes qui lui demandaient s’il ne menait pas une guerre ethnique, le général, sans craindre de choquer, réplique selon une problématique qui lui est propre : « Je n’ai pas hésité à faire tirer sur Owando, même si c’est un peu chez moi»7 ! Beaucoup de ses anciens compagnons du coup d’Etat de 1997 se retrouvent ainsi soit dans ‘l’opposition’, soit soupçonnés de coup d’Etat et en prison, soit sous terre….
Autant de faits, et bien d’autres (Cf. notre réflexion, « De l’escroquerie politique » 23 novembre 2011, en ligne), comme le recours courant aux intimidations et à la torture8 qui valident nombreux des maux qui accompagnent tout exercice irrationnel, despotique et mégalomane du pouvoir.
C’est ainsi que, fait peu banal, on aura du mal à trouver un sinistre dossier, parmi lesquels sont souvent classés ou identifiés les pouvoirs africains, dans lequel le Congo-Brazzaville n’y figure pas : ‘Mallettes de la République’, ‘Biens mal acquis’, ‘Disparus du beach’, ‘Coups d’Etat comme mode d’accès au pouvoir’, ‘chômage endémique’ (34,2%), ‘présidentialisme forcené’, près des ¾ des Congolais vivant avec moins d’un dollar par jour, tout en étant la 4ème puissance pétrolière d’Afrique noire, avec moins de 4 millions d’habitants! L’espérance de vie y est de 55 ans, et le taux général de mortalité dépassant les 12%, tandis que la mortalité infantile, elle, est de 76%,… ! … Le Congo-Brazzaville est fidèle et présent à tous ces mauvais records, sauf, aujourd’hui, sur les recettes pétrolières qui lui assurent, selon les termes de son peu scrupuleux ministre de la Communication, Bienvenu Okiemy, « …un budget excédentaire » dont le contraste avec le niveau de vie, les humiliations et frustrations de ses habitants, laisse pantois, au regard de la réponse qu’il a lui-même donnée aux journalistes à l’aéroport de Brazzaville, à son retour de Paris : au journaliste qui lui demandait quel était son sentiment suite à l’information sur la mort de Margaret Thatcher, le guide congolais a fait remarquer qu’il l’avait rencontrée quand il était président en exercice de l’OUA, en 1985, pour discuter des pressions à décider contre le régime de l’apartheid d’Afrique du sud, et que celle-ci lui avait, quasi sèchement, répondu, ‘pourquoi voulez-vous remettre en cause une économie qui marche ?’. Et lui-même d’en conclure et de s’exclamer: « Une économie qui marche à quel prix !». Toutes proportions gardées, aussi bien sur la vitalité de l’économie sud-africaine au regard de celle du Congo, que sur les droits malmenés de part et d’autre, le constat et l’exclamation sont tout aussi d’actualité dans son propre pays !
Comme on le voit, le séjour excessivement prolongé à la tête de l’Etat, sans principes ni contrôles, aussi bien dans son accès que dans son exercice, conjugué avec la forte insuffisance de la culture d’Etat et donc la prédation frénétique et agressive de celui-ci, a définitivement perturbé, sinon noyé les frontières entre sphère publique et sphère privée. Ainsi, après avoir, longtemps et impunément, usé et abusé de l’Etat, l’homme d’Etat congolais s’est engagé, par habitus et de bonne foi, à défendre bec et ongles, imprudemment, hors du territoire, son important patrimoine. Au mépris de la morale, des usages, des règles diplomatiques et internationales établies, cependant. C’est-à-dire de façon indécente. Et honteuse.
Se trouve, de ce fait, démontré comment, en raison de la patrimonialisation décomplexée de l’Etat, celui-ci en devient, partant, redevable des turpitudes, inconséquences et vices de ses indignes représentants. Face à cela, la satire de Sony Labou Tansi, par le biais des plus proches collaborateurs du président mégalomane, ministres, chefs de l’armée et hauts fonctionnaires, excédés et désabusés, et venus pour cela lui présenter, dans un ultime sursaut d’honneur et de probité historique et nationale, leur démission, rappelle une leçon de morale élémentaire : « ce pays, nous le devons aux enfants de nos enfants, mais pas dans cet état honteux »…
Le 15 avril 2013
Par: Felix Bankounda-Mpélé
1 Le Seuil, 1981. Dans le même sens, au plan local, « Le pleurer rire » de H. Lopez qui, toutefois, démontre combien l’écrivain peut, dans la pratique, être inconséquent à sa propre pédagogie littéraire. Cf ; « Une élite malsaine. A propos des confidences de son ‘excellence’ H. Lopes », en ligne. La pratique politique de l’auteur de « L’Etat honteux », avant sa disparition en 1995, n’en révèlera pas moins, non plus, un radicalisme assez déconcertant.
2 Interview de l’auteur au Dr Pierette Herzberger-fofana, reproduite in Fau Universität Erlangen-Nürnberg, 28 février 2010
3 LDC, du 22 novembre 2012
4 Cf Libération, du 9 avril 2013 et TV5 org, du 8 avril 2013
5 Cf. Libération, 10 juin 1997, p.7
6 Jeune Afrique Economie, et Le nouvel Afrique Asie, juillet-août, 2001
7 Jeune Afrique, numéro double, 1980-1981, du 22 décembre 1998 au 4 janvier 1999, p.21
8 « Rapport sur la torture en République du Congo », OCDH, octobre 2012