Jean-Sylvestre ITOUA
Par : Jean Sylvestre ITOUA
L’appel à l’unité sacrée, lancé par le pouvoir de Brazzaville lors de son focus des 16 et 17 mai 2019 à Brazzaville, à travers l’instrumentalisation du concept du « vivre-ensemble », est une escroquerie politique destinée, d’une part, à prévenir les troubles sociaux que pourraient engendrer l’effondrement économique du pays et la banqueroute de l’Etat, d’autre part, à enrayer tout effet domino des soulèvements populaires en Algérie et au Soudan.
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Jamais depuis l’indépendance du Congo-Brazzaville, un président de la République n’a fait autant de promesses de bonheur aux Congolais et n’a décliné autant de slogans enchanteurs que le président SASSOU NGUESSO, comme il est aisé d’en juger : « Tout pour le peuple, rien pour le peuple ; l’agriculture, priorité des priorités ; l’autosuffisance alimentaire d’ici à l’an 2000 ; santé pour tous d’ici à l’an 2000 ; création de 40.000 emplois par an ; eau potable pour tous ; lutte contre les ″antivaleurs″ et les comportements déviants ; le vivre-ensemble ; la marche vers le développement, etc.».
La caractéristique principale du pouvoir tel que l’exerce le président congolais est assurément le slogan et l’incantation, en un mot, la ruse politique pour rouler dans la farine ses adversaires et le peuple. Dans son livre « Le Prince », publié à titre posthume en 1532, Machiavel écrivait :(…) Vous devez savoir qu’il y a deux genres de combats : l’un avec les lois, l’autre avec la force. Parce que, maintes fois, le premier ne suffit pas, il convient de recourir au second… Un prince sage doit par conséquent être renard et lion, être un grand simulateur et dissimulateur… Alexandre VI ne fit jamais rien d’autre, ne pensa jamais rien d’autre qu’à tromper les hommes et il n’y eut jamais homme qui affirmait une chose avec de plus grands serments et qui l’observait moins (…)
Pour Machiavel, un prince doit paraître ce qu’il n’est pas. Il doit ruser avec son peuple. Adepte de Machiavel, le président congolais maîtrise parfaitement l’art de la manipulation de l’opinion. Dans ce cadre, les 16 et 17 mai 2019, pour tenter d’éteindre les colères populaires qui grondent aux quatre coins du Congo profond, le pouvoir a organisé à Brazzaville, sous le patronage du Premier ministre, monsieur Clément MOUAMBA, un focus sur la problématique du «vivre-ensemble», avec pour objectif, d’inviter les Congolais à une union sacrée autour du président de la République, aux fins de l’accompagner dans le combat contre les ″antivaleurs″ et pour le mieux-être du peuple congolais (sic).
Cela est proprement scandaleux de la part d’un pouvoir dont la politique d’ensemble est principalement marquée, comme chacun le sait, par le népotisme, la préférence ethno-régionale, « la familiarisation » du pouvoir, le noyautage clanique des postes de responsabilité au sommet de l’Etat, les inégalités et injustices sociales criantes, l’insensibilité à l’extrême misère des populations, l’intolérance politique, l’exclusion sociale, la violation permanente des droits humains, etc., des maux colossaux qui sont aux antipodes du « vivre-ensemble ».
Dans son ouvrage:« Négrologie », publié à Paris en 2005 aux éditions Calmann-Levy, le journaliste français Stephen Smith apporte un témoignage édifiant sur la « familiarisation » du pouvoir au Congo-Brazzaville. Il y déclare en substance :(…) De retour au pouvoir depuis 1997 après en avoir été chassé en 1992, Denis Sassou Nguesso, l’ex-nouveau chef de l’Etat du Congo-Brazzaville ne fait plus confiance qu’à sa famille et à sa tribu qui lui ont permis de reconquérir la magistrature suprême. Sa fille Claudia est chargée de sa communication (…). A Brazzaville, une autre fille présidentielle, Ninelle est également conseillère de son pater, qui a nommé son époux Hugues Ngouelondélé, député-maire de la Capitale. Un autre fils du chef de l’Etat, Denis Christel Nguesso, est le Directeur du Bureau Londonien de la société nationale de pétrole du Congo (SNPC), qui assure l’essentiel des revenus du pays. Il travaille main dans la main avec un autre parent, Bruno ITOUA, patron de la SNPC. L’or noir est ainsi géré en famille, sans droit de regard du ministre des Finances sur les pétrodollars du trading. Au quotidien, le plus proche collaborateur du président est son neveu et conseiller spécial, Jean Dominique OKEMBA. Deux autres neveux occupent également des postes-clés : l’un, Edgard, comme directeur du domaine présidentiel, l’autre, Willy, à la tête de la société congolaise des transports maritimes, en sigle Socotram (…).
Dans la même optique, toutes les directions des postes sensibles de la sécurité publique et de la défense nationale sont exclusivement réservées à des personnalités originaires de la partie Nord du Congo, proches du président de la République. De même, toutes les structures publiques à caractère économique et financier, génératrices de gros revenus sont rattachées à la présidence de la République (SNPC, Grands travaux, marchés publics, Trésor, Douane, Impôts). Des parents proches sont systématiquement placés à la tête de ces structures publiques, pourvoyeuses de gros sous.
Dans le même esprit, les nominations aux postes de responsabilité n’obéissent pas aux critères objectifs du mérite personnel, de compétence, d’expérience et de probité morale, mais à des critères subjectifs articulés sur le népotisme, l’affruité ethno-régionale, le favoritisme, le clientélisme, l’allégeance au parti congolais du travail (parti au pouvoir) et au président de la République.
Dans la même veine, les recrutements dans la fonction publique, l’armée et la police, les promotions professionnelles, l’attribution des marchés publics et des bourses d’études et de perfectionnement ne tiennent pas compte du mérite personnel, mais des affinités subjectives et ne répondent pas toujours à des besoins de service, mais obéissent à la volonté d’un décideur de placer un parent, un ami, une maîtresse, un partisan, un client, en un mot, une relation. Au Congo, il n’y a plus de lois, il n’y a que des relations.
Les ministres, les douze préfets de département, les maires des villes, les quatre-vingt-six sous-préfets de district, les douze présidents des Conseils départementaux, les directeurs généraux des administrations publiques et des entreprises d’Etat, appartiennent tous à la mouvance présidentielle en général,, au PCT et/ou au clan présidentiel, en particulier. L’Etat impartial, recommandé par la Conférence nationale souveraine de 1991, a fait place à un Etat néo-patrimonial.
Dès lors, comment le pouvoir peut-il avoir le front de parler de « vivre-ensemble » des Congolais ? Faut-il le rappeler, le concept de « vivre-ensemble » est intimement lié à l’idée de nation et à celle d’Unité et de concorde nationales. Il ne se comprend que dans son rapport à la nation et à l’unité nationale. En effet, le « vivre-ensemble » se définit comme étant le désir conscient et partagé des citoyens d’un pays ou d’une nation, de cohabiter pacifiquement, par-delà leurs différences d’appartenance familiale, clanique, ethnique, régionale, philosophique, idéologique ou religieuse.
Cette cohabitation non conflictuelle n’est possible que dans le cadre d’un Etat de droit qui garantit le principe républicain de l’égalité en droits, en devoirs et en dignité de tous les citoyens, respecte les libertés individuelles et collectives, les droits politiques, civils, sociaux, culturels et environnementaux des citoyens et qui promeut la justice sociale et le bien-être de chaque citoyen et de tous les citoyens. Le pouvoir congolais actuel qui pratique à outrance la préférence ethno-régionale, l’intolérance politique et l’exclusion sociale est mal placé pour parler de « vivre-ensemble ».
Quel « vivre-ensemble » peut-il y avoir entre les Congolais, lorsque par des décisions liberticides, le pouvoir de Brazzaville s’emploie à l’exclure les partis de l’opposition réelle du paysage politique congolais ou lorsqu’il interdit ou met des entraves aux activités légales des partis de la vraie opposition, supprime la liberté d’aller et de venir de certains leaders de l’opposition, monte des complots imaginaires et intente des procès politiques fabriqués contre eux ?
Quel « vivre-ensemble » peut-il y avoir, lorsqu’aujourd’hui, plus de 90% de Congolais vivent dans une pauvreté extrême, n’ont pas accès à l’eau potable, à l’électricité, à une nourriture saine et nutritive, à des soins de santé de qualité, à un niveau de vie décent ? Quel « vivre-ensemble » peut-il y avoir lorsque par exemple, les retraités de la CRF accusent 19 mois d’arriérés de pension, les étudiants, trois ans d’arriérés de bourse, les fonctionnaires qui émargent aux budgets de transfert, de 9 à 30 mois d’arriérés de salaire selon les cas ?
Pendant ce temps, les principales figures du pouvoir s’enrichissent de manière illicite au moyen de la corruption, des détournements des deniers publics, de l’appropriation personnelle des biens de l’Etat, des surfacturations, du placement de l’argent public détourné dans des comptes privés à l’étranger. Ils se construisent des villas luxueuses, roulent carrosse dans de rutilants véhicules 4/4 et entretiennent mille et une maîtresses. En haut, les dirigeants vivent une vie fastueuse, alors que tout en bas, les populations vivent un véritable enfer.
Est-il raisonnable de penser qu’un citoyen qui ne mange pas à sa faim, qui ne peut pas se soigner quand il est malade, qui dort dans un taudis sans eau saine et sans électricité, puisse envisager un seul instant de cohabiter pacifiquement avec les responsables de l’enfer dans lequel il végète ? Assurément non. En effet, un citoyen dont le quotidien est fait d’extrême pauvreté, de famine, de pénuries chroniques d’eau potable, d’électricité, d’essence, de pétrole lampant, bref, d’atroces souffrances sociales, ne saurait avoir des atomes crochus avec ses bourreaux. Entre une victime et son bourreau, il n’y a pas d’empathie. Prendre à un peuple et ses biens et son honneur, rend haïssable un pouvoir. Etre rapace et usurpateur des biens publics rend impossible un vrai « vivre-ensemble » des citoyens.
Dans le contexte congolais d’aujourd’hui, marqué entre autres par une paupérisation accrue des populations, l’explosion du népotisme, de l’ethnocentrisme, du régionalisme, du repli identitaire, de l’intolérance politique, des injustices et des inégalités sociales, bref, par une profonde fracture sociale, appeler au « vivre-ensemble » des Congolais, c’est mentir au peuple.
L’appel à l’unité sacrée, lancé par le pouvoir de Brazzaville lors de son focus des 16 et 17 mai 2019, à travers l’instrumentalisation du concept du « vivre-ensemble », est une escroquerie politique destinée, d’une part, à prévenir les troubles sociaux que pourraient engendrer l’effondrement économique du pays et la banqueroute de l’Etat, d’autre part, à enrayer tout effet domino des soulèvements populaires en Algérie et au Soudan. Incapable de proposer au pays des reformes audacieuses et des mesures fortes de sortie de crise, le pouvoir se réfugie dans la ruse politique par la manipulation de slogans trompeurs et par des discours lénifiants. Peine perdue, car, comme le remarquait très justement un grand acteur politique contemporain : « on peut tromper une partie du peuple pendant une partie du temps, mais on ne peut pas tromper tout le peuple pendant tout le temps ». Le pouvoir de Brazzaville se met le doigt dans l’œil en croyant que son appel à une union sacrée des Congolais peut faire oublier aux populations, l’extrême misère dans laquelle il les a plongées.
Le peuple Congolais dit Non à la tricherie et, Non au mensonge
Jean Sylvestre ITOUA