Massengo Tiassé et le 1er Ministre Français Jean Marc Ayrault
C’est au sommet de la Baule en juin 1990 qu’était prise sous forme de recommandation, la résolution d’arrimer désormais la gestion économique et financière des pays africains à la démocratie. Celle-ci étant perçue comme le pilier par excellence du développement. Or, qui dit démocratie suppose alternance au pouvoir ; donc élections libres, transparentes et crédibles. Malheureusement la plupart des anciens dictateurs africains ne se sont pas, en réalité convertis à la démocratie. Tous ces despotes et dictateurs africains, véritables petits-fils de Staline, avec une vision bien étriquée et complètement dévoyée de la démocratie, cherchent à confisquer le pouvoir.
Partout en Afrique, l’approche des élections est souvent source d’angoisse pour les populations non pas parce qu’elles n’aiment pas voter mais parce que avant, pendant et après les échéances électorales le peuple vit dans l’étreinte des calculs diamétralement opposés de ceux qui veulent conserver à tout prix le pouvoir et ceux qui, au moyen d’un mécanisme démocratique efficient et régulier, veulent y accéder.
C’est dans cette atmosphère critique que le Congo s’apprête à aller aux élections. La date du 15 Juillet 2012 étant déjà connue, mais les interrogations sur la faisabilité de ces élections sont multiples, tant le souvenir des mascarades électorales de 2002, 2007, et 2009 reste vivace dans la mémoire des Congolais. Sommes-nous prêts à aller aux élections ? Où en sommes-nous dans les préparatifs ? Ce sont là les questions que tout le monde se pose. D’ailleurs pour n’avoir pas corrigé les anomalies et irrégularités observées lors des précédents scrutins et surtout pour n’avoir pas associé les partis d’opposition aux préparatifs du présent scrutin, la population a même boudé les inscriptions sur les listes sur fond de tragédie du 04 Mars 2012.
On peut cependant déplorer le fait qu’aucune initiative sérieuse en vue de réparer le désordre de 2007 n’a été envisagée. Il y a certes eu les fameuses retrouvailles d’Ewo qui étaient censées remettre le Congo sur le chemin des élections crédibles. Malheureusement, l’examen des recommandations de cette concertation nous laisse constater l’absence d’une prise de décision déterminante allant dans le sens de la dissolution de la CONEL pour la remplacer par une structure plus indépendante. La réunion d’Ewo n’a été qu’une allégeance au dispositif de tricherie déjà existant. Elle a occasionné des dépenses énormes notamment la location d’avions spéciaux avec plusieurs rotations, l’hébergement et prise en charge du séjour, des perdiems officiels et enveloppes obscures allant de 15 à 40 millions par participant. Au total une colossale masse d’argent déboursée en pure perte, pour le contribuable notamment.
Le résultat de la concertation est d’une médiocrité frappante et sidérante. En effet, qui organise les élections dans ce pays ? Il est de notoriété publique que c’est le gouvernement à travers la Commission Electorale Nationale (Conel) ayant à tous les postes clés, des représentants Direction générale des affaires électorales. Sachant que tous ces cadres sont nommés par le gouvernement, que peut-on alors, dans ces conditions, attendre d’une telle structure que la réunion d’Ewo, par un accord tacite, a procédé à la remise en place ? Il n’y a que des partisans du régime en place pour croire à des élections normales dans ce contexte.
Les autorités de la République du Congo n’ont pas voulu garantir la gestion impartiale des élections au Congo. Nous avons encore en mémoire les situations ahurissantes de Sembé et celle de la 2e circonscription de Lumumba à Pointe-Noire où dans un mouvement de renversement de résultats, dont le ministère de Mr MBOULOU détient le secret, nous avait présenté un jeu de « Qui perd gagne ». En 2007, il y a eu tricherie à très grande échelle : un maire dans la Bouenza disparait avec urnes et procès-verbaux. Des hauts fonctionnaires, préfets, sous-préfet, secrétaires généraux, présidents des bureaux de vote etc. ne s’étaient pas gênés de favoriser ouvertement leur candidat. Ils n’avaient pas hésité d’appliquer le principe selon lequel : « Quand on appartient à la majorité, il faut être assez con pour être honnête ».
C’est ce spectacle désolant que le gouvernement s’apprête à nous faire revivre, si l’on y prend garde. Tout vrai démocrate devrait s’inquiéter de cette situation, car si les fautes graves, les erreurs et la volonté de mal faire ne sont pas corrigées, il y a risque d’explosion parce que le peuple même ne veut pas de ce type d’élections.
L’OCDH pour les élections de 2007 avait conclu en Août, nous citons « Comme au 1er tour, cette désorganisation volontaire s’est caractérisée par la manipulation des listes électorales, l’usage de faux documents administratifs ».
Nous sommes à l’orée de ces prétendues élections auxquelles seul le pouvoir croit, cette question reste toujours posée : qu’est-ce qui a changé de ce qui avait été décrié en 2007 pour que ces élections se tiennent à la date indiquée et surtout qu’elles respectent en rien les normes ?
Tout milite en faveur d’une annulation ou d’un report. La tragédie du 4 Mars 2012 est encore trop fraîche et omniprésente dans la mémoire des Congolais. Lesquels ont naturellement la tête ailleurs. Il convient de rappeler qu’en 2007 nous avions un corps électoral en contradiction avec les chiffres de la Conel. Si en 2007, il a été signalé l’existence de deux corps électoraux : celui du Ministère de l’Intérieur et celui de la Conel, combien en avons-nous aujourd’hui dans un pays où la révision des listes ou du moins le recensement de la population sonne dans les oreilles du gouvernement comme de la provocation. Si nous voulons aller aux élections, il faut du sérieux dans les préparatifs sur la base d’une nouvelle structure devant gérer les élections. C’est effectivement pour ne plus être entraîné à aller jouer au QUI PERD GAGNE que la dissolution de la Conel est indispensable et l’annulation de ces élections à la date de 15 Juillet 2012, une exigence.
Il faut une commission électorale véritablement indépendante avec une maîtrise totale de l’organisation de tout le processus électoral c’est-à-dire du recensement, au découpage des circonscriptions et à la révision de la loi électorale jusqu’à la publication des résultats. Et pour être clair, c’est à une commission tripartite (le gouvernement, l’opposition et la société civile) que doit revenir la formation et la gestion de cette commission pour être impartiale. D’ailleurs le Président de la Commission Nationale des Droits Humains du Burkina Faso, observateur aux élections de 2007 au Congo, avait fait une suggestion dans ce sens : « la Commission Indépendante est une revendication générale en Afrique. Le président de la Commission Electorale vient toujours de la société civile et est élu par les membres de la commission ».
Par ailleurs, la réunion d’Ewo aurait dû travailler sur la base de la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance adoptée par les chefs d’Etats et de Gouvernements le 30/09/2007, laquelle dans un alinéa de son préambule libelle ce qui suit : « Nous, Etats membres de l’Union Africaine, sommes soucieux d’enraciner dans le continent, une culture d’alternance politique fondée sur la tenue régulière d’élections transparentes, libres et justes, conduites par des organes électoraux nationaux, indépendants, compétents et impartiaux ».
Même le Haut Commissariat des Nations Unies aux Droits de l’Homme ainsi que la Conférence Internationale sur la région des Grands Lacs lors d’un séminaire organisé en Afrique Centrale en 2001 avaient fait la même recommandation aux Etats membres en les invitant à « mettre en place un organe national de gestion des élections, indépendant et permanent, ayant le mandat d’organiser et superviser tout le processus électoral ».
Si les participants de la réunion d’Ewo étaient imbus de patriotisme et avaient le cœur enclin à la bonne préparation des élections, ces éléments indispensables leur auraient amplement servi d’exiger l’application pure et simple de ce qui pourrait garantir l’organisation et la tenue d’élections libres, indépendantes et transparentes. Nous disons donc que tel que organisé, le scrutin à venir présage une farce de plus, une provocation à laquelle le peuple dans son ensemble ne doit pas céder. Au regard de sa gestion calamiteuse de l’Etat, ce pouvoir aux abois semble s’inscrire dans une stratégie de fuite en avant. Sa prochaine victoire aux législatives du 15 juillet, par le biais de la fraude électorale organisée, prélude dans le futur d’une éventuelle révision de la Constitution, et ce, dans le dessein non avoué de maintenir au pouvoir un clan militaro-mafieux. Lequel s’illustre de fort belle manière en fossoyeur invétéré de la patrie.
Nous concluons par ces réflexions de François Hollande le 22 janvier 2012 au Bourget
« Présider la République, c’est refuser que tout procède d’un seul homme, d’un seul raisonnement, d’un seul parti, qui risque d’ailleurs de devenir un clan. Présider la République, c’est élargir les droits du Parlement. C’est reconnaître les collectivités locales dans leur liberté. C’est engager un nouvel acte de la décentralisation. C’est promouvoir les partenaires sociaux. C’est reconnaître leur rôle dans la Constitution. C’est faire participer les citoyens aux grands débats qui les concernent…
Présider la République, c’est faire respecter les lois pour tous, partout, sans faveur pour les proches, sans faiblesse pour les puissants, en garantissant l’indépendance de la justice, en écartant toute intervention du pouvoir sur les affaires, en préservant la liberté de la presse, en protégeant ses sources d’information, en n’utilisant pas le renseignement ou la police à des fins personnelles ou politiques. Présider la République, c’est être impitoyable à l’égard de la corruption. Et malheur aux élus qui y succomberont ! Présider la République, c’est rassembler, c’est réconcilier, c’est unir, sans jamais rien perdre de la direction à suivre. »
Ensuite François Hollande dans le journal messager du Cameroun a mentionné : « J’ai la conviction que le décollage de l’Afrique ne pourra pas faire l’impasse sur une amélioration de sa gouvernance. La France apportera tout son concours aux pays désireux de progresser dans ce domaine. Nous apporterons également, dans tous les pays où notre coopération sera présente, un appui plus important qu’il ne l’est actuellement à la société civile, et nous serons attentifs à la liberté d’expression de toutes les sensibilités.
Je veux aussi tourner la page des complaisances, des secrets et des ambiguïtés. Dans mon esprit, l’essentiel n’est pas seulement de rénover les modalités du partenariat d’Etat à Etat mais, bien davantage, de renforcer les liens « de société à société ». Les acteurs de la société civile auront un rôle essentiel à jouer dans cette nouvelle étape de la relation franco-africaine. »
En effet, le déroulement des élections au Congo le 15 juillet 2012 constitue un véritable défi lancé au Président François Hollande qui avait insisté : « si je suis élu, je n’accepterai pas des élections qui auront été frauduleuses où que ce soit »
Il y a 22 ans après le sommet de la Baule, la majorité des pays d’Afrique francophone ne jouit pas d’une plus grande liberté, d’un système représentatif, des élections libres, du multipartisme, de la liberté de la presse et de l’indépendance de la magistrature. Au moment où le Parti socialiste prend les commandes de la France nous espérons que François Hollande et Jean Marc Ayrault vont réactiver la prime à la démocratisation des régimes africains promis par François Mitterrand. Cette prime suppose que la France doit désormais stopper de financer, sur le budget de l’aide au développement, les équipements militaires et de sécurité qui permettent à des régimes comme celui du Congo construit sur la contrevérité des urnes, d’intimider et d’arrêter des opposants, de bastonner copieusement les citoyens revendiquant leurs droits. Notre combat pour l’Etat de droit n’est pas une compromission à un régime autocratique, clanique, corrompu et reposant sur une force publique non républicaine. Notre combat est une exigence d’ériger en Afrique en général et au Congo Brazzaville en particulier, la transparence en principe cardinal de toute gestion des affaires publiques.
La vérité doit forcément guider nos pas, c’est pourquoi pour notre part nous vous devons donc la vérité en dénonçant des systèmes arbitraires et autoritaires en vigueur dans de nombreux Etats Africains.
Maître Maurice MASSENGO-TIASSE