Débat constitutionnel : Les raisons invoquées par le pouvoir et ses partisans ne tiennent pas la route ! Mathias Dzon condamne «la logique de coup d’Etat constitutionnel». Pour lui, «il n’y a qu’une unique et vraie solution pour sortir le Congo du marasme: un véritable dialogue politique national inclusif».
Voici son argumentation.
Acculé sur le débat qu’il avait lui-même initié à propos de la révision des articles 57, 58 et 185 alinéa 3 de la Constitution du 20 janvier 2002, verrous qui empêchent l’actuel président de la République de briguer un troisième mandat, le pouvoir a changé son fusil d’épaule et se propose, désormais, de changer purement et simplement de Constitution. Se considérant au-dessus des lois et prenant sa volonté pour la loi, le président de la République ne s’appuie sur aucune base juridique pour justifier son projet de changement de Constitution et persiste dans sa logique de coup d’Etat constitutionnel. Cette conception de la gouvernance politique, valable dans une monarchie, est totalement inacceptable dans une démocratie. C’est pourquoi je la combats avec la plus grande fermeté, mais en m’appuyant sur le droit et les principes de la démocratie et de la République.
I- La base juridique du changement de Constitution
C’est énoncer une vérité d’évidence que d’affirmer que dans un Etat de droit, toute décision politique majeure, telle que le changement de Constitution, repose sur le respect des lois et règlements de la République. Or, la loi fondamentale du 20 janvier 2002 actuellement en vigueur, si elle contient, dans son titre XVIII, des dispositions relatives à sa révision, ne prévoit absolument rien en matière de changement de Constitution. Alors, trois questions préjudicielles: sur quelle base juridique le pouvoir va-t-il se fonder pour changer de Constitution? Quelle procédure va-t-il utiliser pour le faire? Que fait-il de la Constitution du 20 janvier 2002?
La démarche du pouvoir n’obéit pas aux normes juridiques requises en matière de changement de Constitution. En effet, aujourd’hui, le Congo est régi par la Constitution du 20 janvier 2002. On ne peut pas, au pied levé, jeter cette Constitution à la poubelle. Pour promouvoir une nouvelle Constitution, il faut d’abord abroger celle de 2002 et l’abrogation de cette Constitution entraîne immédiatement la dissolution de toutes les institutions constitutionnelles, y compris l’institution «Présidence de la République». La suppression de la Constitution de 2002 induit, donc, entre autres, la déchéance immédiate du président de la République en exercice. A la suite de cette nouvelle donne politique, une Assemblée constituante, composée de représentants de toutes les forces vives de la nation (partis politiques, société civile, personnalités indépendantes, diaspora congolaise) sera mise en place, pour élaborer le projet de la nouvelle Constitution à soumettre au référendum et conduire à son terme, le processus de mise en place des dispositifs de l’alternance démocratique dont l’élection du nouveau président de la République qui devra succéder au président Denis Sassou Nguesso. Telle est la procédure juridique à l’œuvre dans tous les pays démocratiques, préalablement à tout changement de Constitution. La seule volonté du président de la République ne suffit pas. Elle n’est pas la loi.
Plus grave, les personnes du troisième âge affiliées au P.c.t dans les différents départements du Congo, et que le pouvoir affuble du qualificatif pompeux de «sages», n’ont jamais lu une seule ligne de la Constitution dont le pouvoir leur demande d’exiger le changement. Elles ne savent donc pas de quoi elles parlent. Bien plus, elles ne rassemblent pas l’ensemble du peuple congolais et ne peuvent pas prétendre le représenter. Elles n’ont aucune légitimité constitutionnelle. Faut-il le rappeler: l’article 3 de la Constitution en vigueur dispose: «La Souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce au moyen du suffrage universel par ses représentants élus ou par voie de référendum. L’exercice de la Souveraineté ne peut être l’œuvre ni d’un citoyen, ni d’une fraction du peuple». Le pouvoir ne peut donc pas s’appuyer sur les prises de positions des membres du P.c.t ou des partis apparentés qui ne constituent qu’une fraction du peuple, pour attenter à l’ordre constitutionnel.
Du reste, l’évolution de la situation montre que cette fraction du peuple est très minoritaire, car le projet du pouvoir rencontre une grande désapprobation des populations, à telle enseigne que le pouvoir est obligé de recourir à la corruption des acteurs politiques et des leaders d’opinion et que des obligés du pouvoir n’hésitent plus à embarquer, à partir de Brazzaville, en direction des localités de l’intérieur du pays, de nombreuses personnes nécessiteuses, moyennant une rétribution de 20 mille à 50 mille francs Cfa, pour aller faire nombre dans les réunions organisées par le pouvoir à l’effet de demander le changement de la Constitution.
C’est le cas des localités de Djambala, Mpouya, Ngo, Lekana, Gamboma où des bus de marque Coaster ont déversé de nombreux Brazzavillois dépêchés par le pouvoir. Dans le district de Gamboma par exemple, chaque responsable de la mouvance présidentielle avait l’obligation de faire descendre, dans le chef-lieu du district, un carré de cent personnes minimum. A Gamboma, malgré le déblocage d’un budget de corruption de cent millions de francs Cfa, les résidents de la ville sont restés chez eux, parce que totalement opposés à tout changement de la Constitution. Ceux d’entre eux qui ont été contactés pour lire le message du pouvoir, moyennant trois millions de francs Cfa, ont décliné l’offre. Les participants au meeting étaient essentiellement des gens venus de Brazzaville, de Pointe-Noire, d’Ongogni, d’Ollombo, d’Aballa et d’Oyo. Le message du pouvoir a été lu en trois séquences, par une dame venue de Brazzaville, un enseignant d’Ollombo et un membre du P.c.t résidant à Gamboma. Quelle est, dans ces conditions, la crédibilité du prétendu soutien des populations de Gamboma au projet de changement de la Constitution?
II- Les motifs du changement de la Constitution selon le pouvoir.
Le pouvoir allègue le bilan élogieux de la gouvernance sous le président Denis Sassou-Nguesso et l’inadaptation de la Constitution du 20 janvier 2002 au contexte politique actuel et aux exigences du développement du Congo, pour tenter de maquiller ses échecs économiques et sociaux et le triste record du président congolais qui est l’initiateur, au gré de ses intérêts, de huit changements de lois fondamentales sur 13, depuis l’accession du Congo à l’indépendance.
2.1: Du bilan du pouvoir
La propagande du pouvoir clame haut et fort «que le bilan de la gouvernance politique, économique, sociale et culturelle du Congo, sous le président Denis Sassou Nguesso, est élogieux et qu’en conséquence, il faut changer la Constitution en vigueur qui empêche l’actuel chef de l’Etat de se succéder à lui-même, pour lui donner un troisième mandat, aux fins de lui permettre de poursuivre son œuvre de modernisation et de développement du pays» sic. Pure propagande. Ces déclarations sont simplement mensongères, car le bilan de 30 ans de règne du président Denis Sassou Nguesso est très largement négatif dans tous les secteurs de la vie nationale. Il suffit, pour s’en convaincre, de regarder autour de soi.
a) Sur le plan politique
La gouvernance est marquée par les violations répétées de la Constitution, des lois et règlements de la République, les atteintes aux libertés individuelles et collectives, les arrestations et emprisonnements arbitraires, les entraves au droit des citoyens d’aller et de venir, les complots imaginaires, les procès fabriqués, l’intolérance, l’interdiction des activités de l’opposition réelle, la censure de la presse indépendante, la «familiarisation» de l’Etat, le népotisme, la préférence ethno-régionale, le noyautage clanique des postes de responsabilité au sommet de l’Etat, la concussion, la corruption, l’impunité, le culte de la personnalité, etc.
Vingt-trois ans après la Conférence nationale souveraine, le Congo est revenu, de fait, au système du parti unique, avec son cortège de maux qui ont pour noms: police politique, pensée unique, unanimisme social, délation, censure, violation des droits humains, procès politiques, bref, glaciation totalitaire. Il donne l’image d’un pays en guerre permanente, en raison de l’omniprésence d’hommes en armes et en tenues de combat dans les rues des principales villes et tout particulièrement à Brazzaville. Notre pays est en passe de devenir un des plus grands lieux d’accueil des mercenaires de diverses nationalités et un gigantesque dépôt d’armes et de munitions de guerre de destruction massive, signes avant-coureurs de nouveaux drames pour le peuple congolais.
Sur le plan institutionnel, sous le règne du président Denis Sassou Nguesso, le parlement est un parlement godillot dont la plupart des membres n’ont pas été élus, mais nommés. Il n’est qu’une simple courroie de transmission des décisions de l’exécutif. Les votes sont mécaniques et sans surprise: tout ce que l’exécutif décide passe à l’Assemblée et au Sénat comme une lettre à la poste.
Le pouvoir judiciaire est également totalement soumis au pouvoir exécutif et obéit servilement aux ordres du président de la République, président du Conseil supérieur de la magistrature. Les magistrats du parquet dépendent du Ministère de la justice et sont nommés en conseil des ministres. L’indépendance de la justice est une fiction. Les parodies de procès sur les affaires du beach et des explosions d’armes de guerre le 4 mars 2012 à Brazzaville en sont une illustration.
La corruption est pratiquée à grande échelle à tous les échelons politiques, administratifs et économiques. Elle s’opère sous divers moyens et voies parmi lesquels: l’auto-attribution des marchés publics, les adjudications faussées, les commissions occultes et les pots-de-vin, les dons et présents, la fraude fiscale et douanière, les factures fausses ou majorées, les frais d’études fictives, le financement officieux des partis et associations politiques proches du pouvoir, l’utilisation électoraliste des services et moyens techniques de l’Etat, la fraude électorale et l’achat des consciences.
L’impunité est érigée en méthode de gouvernement.
La République n’est pas gouvernée par la vertu. Le pays traverse une crise morale sans précédent. Partout, l’argent est devenu le moteur de l’action. Cet argent-roi a détruit les repères moraux et engendré de nombreux comportements déviants. La délinquance en col blanc fait des ravages dans les milieux politiques, administratifs et économiques, mais les délinquants sont assurés d’une totale impunité. Chaque détenteur d’une position de pouvoir fait ce qu’il veut, comme il veut, quand il veut sans être le moins du monde inquiété. C’est la gestion en «mbeba», c’est-à-dire hors des normes et des règles.
b) Sur le plan social
Le Congo dispose d’énormes moyens financiers, mais les populations n’en profitent pas. Les revenus pétroliers sont accaparés par une infime minorité de nantis qui se sont enrichis au détriment du peuple. Alors que le budget de l’Etat est évalué à plus de 4 mille milliards de francs Cfa (soit 6 milliards d’euros) ces dernières années, pour une population de 4 millions d’habitants seulement, 70% des Congolais vivent dans une extrême pauvreté. Pendant qu’en bas les populations ploient sous une misère sans nom, en haut, les dirigeants se construisent des fortunes colossales à coup de détournements massifs de deniers publics. Les inégalités sociales s’approfondissent chaque jour davantage entre eux et les populations. A titre d’illustration, le Smig est fixé à 90.000 F Cfa (150 euros), tandis que le salaire mensuel d’un ministre d’Etat est de 15 millions de francs Cfa (23.000 euros).
Par ailleurs, le budget de l’Etat dégage régulièrement, depuis 2003, des excédents de plus de mille milliards de francs Cfa (1,5 milliards d’euros) par an. Malgré cette embellie financière, il manque cruellement des produits et services de première nécessité dans le pays, notamment l’eau potable, l’électricité et les services de voirie. Le chômage en général, le chômage des jeunes en particulier est endémique.
Sur toute l’étendue du territoire national, les formations sanitaires manquent de personnels qualifiés, d’équipements modernes et de médicaments essentiels. Des maladies nouvelles sont apparues et certaines maladies naguère vaincues ont ressuscité et frappent tragiquement les couches populaires. Pendant que les populations meurent quotidiennement par milliers, par manque de moyens pour se soigner, les dignitaires du pouvoir sont transportés par avions médicalisés vers des pays étrangers au moindre petit malaise. Le Congo ne dispose pas toujours d’une assurance-maladie universelle, outil essentiel permettant aux populations d’accéder réellement aux soins de santé de qualité. L’école publique s’est effondrée. Le niveau d’enseignement s’est considérablement dégradé.
Les formations scolaires et universitaires sont dans un état de délabrement et de dénuement quasi-total. Dans beaucoup d’écoles, les enfants sont assis à même le sol dans des salles de classes surpeuplées, alors que 60% du territoire national sont occupés par la forêt dense et que le pays exporte 900.000 m3 de grumes par an. Dans de nombreux lycées, il n’y a pas de séries C, faute d’enseignants de mathématiques, de sciences physiques et de chimie
L’Université Marien Ngouabi, avec 20.000 étudiants, occupe les mêmes salles qu’en 1977, époque où elle comptait 2000 à 3000 étudiants. Aujourd’hui, dans les Facultés de droit et de sciences économiques, les étudiants prennent les cours soit debout, soit assis à même le sol.
Par ailleurs, sans avoir au préalable créé les conditions de sa faisabilité, le pouvoir a imposé à l’Université d’introduire, dans tous les établissements, le système L.m.d (Licence, master, doctorat) à la rentrée 2011-2012. On le sait, la gestion rationnelle de ce système requiert la construction de nombreuses nouvelles salles de cours, de T.p (Travaux pratiques), de T.d (Travaux dirigés) et d’informatique, la construction et l’équipement de laboratoires, le recrutement de nombreux enseignants, l’équipement des établissements en matériels pédagogiques, techniques et scientifiques. La recherche scientifique et technologique, moteur d’une économie fondée sur le savoir, occupe une place négligeable dans le budget de l’Etat, tandis que les dépenses d’apparat atteignent des niveaux scandaleux. Le Congo est riche, mais les Congolais sont pauvres.
c) Sur le plan économique
Après 54 ans d’indépendance, le Congo demeure un pays sous-développé. De nombreuses entreprises héritées de la colonisation et des années Massamba-Débat, ont, pour l’essentiel, disparu. Les quelques unités qui subsistent, particulièrement dans le domaine des services publics sont quasiment en faillite, en raison d’une gestion calamiteuse (S.n.e, S.n.d.e, C.f.c.o, Congo-Telecom, la Poste, les voies navigables). Celles créées en rapport avec le pétrole sont quasiment la propriété de la famille régnante (S.n.p.c, A.o.g.c, H.d, Socotram).
Les secteurs traditionnels de l’économie congolaise, la forêt et l’agriculture végètent et périclitent. La situation actuelle du secteur forestier n’autorise aucune croissance réelle de ce secteur naguère très porteur. Malgré les deux kolkhozes construits à Nkouo et Imvoumba, autour desquels le pouvoir fait beaucoup de battage, l’agriculture congolaise reste une agriculture familiale et artisanale: 2% seulement de la surface cultivable sont exploités; les paysans congolais utilisent des outils rudimentaires: haches, machettes, houes. La production est faible et couvre moins de 30% des besoins alimentaires du pays. Elle repose essentiellement sur les petites exploitations d’autosubsistance. Les cultures commerciales d’exportation (café, cacao, coton, tabac) ont disparu. L’élevage est dominé par le système traditionnel extensif. L’offre en produits animaux sur le marché national provient principalement des importations qui représentent plus de 75%. Cette proportion est de 100% pour les produits laitiers. La pêche est largement dominée par la pêche artisanale et traditionnelle qui dispose d’unités rudimentaires. Il n’y a pas d’infrastructures de conservation et de transformation des produits.
Dans le domaine industriel, les activités se réduisent à quelques produits: pétrole, bois, minerais, sucre, bière, eau, jus de fruit. Malgré l’importance des investissements du secteur privé expatrié dans l’exploitation pétrolière, les effets d’entraînement sur les autres secteurs sont quasiment nuls. Le Congo importe l’ensemble des biens d’équipement et des produits agro-alimentaires qu’il consomme.
Chaque année, il importe pour près de 115 à 140 milliards de francs Cfa pour les produits agro-alimentaires, preuve éclatante que tout le tintamarre sur la diversification de l’économie et la croissance à deux chiffres n’est rien d’autre que de la propagande. Alors que chaque année le budget de l’Etat inscrit des sommes colossales pour l’investissement, les quelques infrastructures réalisées le sont sur des prêts chinois comme on peut en juger:
– aérogare Maya-Maya: 45 milliards de F Cfa;
– aérogare d’Ollombo: 16 milliards de F Cfa;
– barrage d’Imboulou: 87 milliards de F Cfa;
– transport des lignes Imboulou: 167 milliards de F Cfa;
– route Pointe-Noire Dolisie: 65 milliards de F Cfa;
– route Obouya-Boundji-Okoyo: 26 milliards de F Cfa;
– route Makoua-Mambili: 61 milliards de F Cfa;
– deuxième usine d’eau de Djiri: 9 milliards de F Cfa;
– hôpital d’Oyo: 5 milliards de F Cfa;
– logements du camp 15 août: 3 milliards de F Cfa;
– achat des avions MA 60: 16 milliards de F Cfa, etc.
J’estime que cet endettement explosif ne se justifie vraiment pas au regard de l’aisance financière qui caractérise le Congo depuis 2003. A ce jour, les réserves accumulées grâce aux excédents budgétaires extériorisés depuis 2003, devraient atteindre la rondelette somme de 12 mille milliards de F Cfa. Dans ces conditions, pourquoi recourir à l’endettement, alors qu’il paraît plus simple et plus logique de rapatrier les énormes sommes déposées à la Banque de Chine et dans les paradis fiscaux. Cet endettement auprès de la Chine est d’autant plus incompréhensible que dans le même temps, l’Etat congolais prête de l’argent à de nombreux pays africains (Guinée-Conakry, Côte-d’Ivoire, Niger, Centrafrique, Mali). Le gouvernement doit dire au peuple congolais ce qu’il a fait des excédents budgétaires engrangés depuis 2003 dont le montant avoisine les 12 mille milliards de francs Cfa, puisque les projets réalisés l’ont été sur prêts chinois gagés sur le pétrole.
La «municipalisation accélérée» dont le pouvoir nous rabat les oreilles chaque jour est un moyen imaginé par la famille régnante pour s’auto-attribuer des marchés publics à des fins d’enrichissement personnel. Les bénéficiaires des marchés de la «municipalisation accélérée» appartiennent principalement à la famille régnante ou à des proches du pouvoir. Il s’agit presque toujours, soit des entreprises appartenant au clan présidentiel, soit des entreprises privées dans lesquelles la famille régnante est actionnaire, soit des sociétés amies contrôlées par des proches des autorités congolaises. La séquence de la «municipalisation accélérée» de Brazzaville a duré 3 ans: 170 projets étaient programmés. Au bout de trois années, moins de 30 projets sur les 170 ont connu un début d’exécution.
Comme on peut le constater, le bilan du pouvoir actuel est globalement négatif. Depuis l’indépendance, jamais le Congo n’a engrangé autant d’argent que sous les mandats du président Denis Sassou Nguesso. Jamais un président n’a fait autant de promesses de bonheur aux Congolais et décliné autant de slogans enchanteurs que le président Sassou. En voici quelques-uns: «Vivre durement aujourd’hui pour mieux vivre demain; Agriculture priorité des priorités; Auto-suffisance alimentaire; Industrie industrialisante; Santé pour tous d’ici à l’an 2000; Il ne faut pas que pendant qu’on se serre la ceinture ici, parce qu’on n’a pas mangé, on la desserre là-bas, parce qu’on a trop mangé, etc». Au final, le bilan est extraordinairement décevant. Au regard des moyens financiers colossaux disponibles depuis 2003, le pouvoir aurait pu et dû faire mille fois ce qu’il a fait aujourd’hui et sur lequel il fait beaucoup de bruit.
Sur le plan des standards internationaux, le Congo occupe le 136ème rang sur 182 pays à l’indice de développement humain et le 162ème rang sur 182 pays les plus corrompus. En matière de climat des affaires, le Congo occupe le 183ème rang sur 185 pays. Telle est la réalité sans addition étrangère.
Une autre raison invoquée par les partisans du changement de la Constitution pour justifier leur projet est l’inadaptation de la Constitution du 20 janvier 2002 au contexte politique actuel.
2.2- Les défauts de la Constitution de 2002 selon le pouvoir et ses partisans
Pour les tenants du pouvoir, la Constitution de 2002 ne répond plus à la situation politique actuelle et aux exigences de développement du Congo, notamment dans ses dispositions limitant le nombre des mandats du président de la République à deux et l’âge maximum pour être candidat à l’élection présidentielle à 70 ans, et surtout, l’article 185 alinéa 3 qui interdit strictement de réviser la Constitution sur le nombre de mandats du chef de l’Etat.
Selon eux, limiter le nombre des mandats du président de la République est anti-démocratique. Dans leur logique, la souveraineté nationale appartenant au peuple, ce dernier peut, quand il l’estime nécessaire, décider souverainement de faire fi des verrous de la Constitution et permettre au président de la République de se succéder à lui-même, d’autant que pour eux, «le président Denis Sassou-Nguesso est aujourd’hui le seul Congolais capable de garantir la paix et la stabilité au Congo et de conduire le pays vers l’émergence en 2025» sic.
Je rappelle que le Congo se veut une République. Or, quels que soient le lieu et le temps, une République se caractérise par cinq traits fondamentaux:
– l’éligibilité des dirigeants au moyen d’élections libres, transparentes et justes;
– l’alternance démocratique ou le renouvellement à échéances des mandats, car la durée excessive de l’exercice du pouvoir pose problème;
– l’égalité des citoyens devant la loi;
-la primauté de l’intérêt général;
– le devoir de vertu.
Dans une République, il n’y a pas de président à vie ou ce que les politologues désignent par l’expression de «gouvernement perpétuel». Tout mandat à vie ou tout gouvernement perpétuel est antirépublicain. La limitation des mandats est aujourd’hui un acquis des démocraties modernes. Aux Etats-Unis d’Amérique, en France, en Allemagne, en Belgique, en Angleterre, en Italie, en Espagne, etc, le nombre des mandats du chef de l’Etat est limité à deux. Même en République Populaire de Chine où la pluralité politique n’est pas de mise, le président de la République ne peut exercer que deux mandats de 4 ans chacun. Il en va de même de la Russie où le président de la République est élu pour un mandat de 5 ans et rééligible une seule fois. A la fin de son deuxième et dernier mandat, le président Poutine a quitté sagement le pouvoir et ne s’est représenté à l’élection présidentielle qu’à la fin du premier mandat de son successeur.
Dans le même esprit, dans une République, il n’y a pas d’hommes providentiels. Un grand homme d’Etat français, le général De Gaulle, libérateur du peuple français du fascisme hitlérien, a quitté le pouvoir sans que la France ne sombre dans le chaos. En Afrique, Nelson Mandela, icône de la lutte anti-apartheid, ne se considérait pas comme un homme providentiel et a quitté le pouvoir après seulement un mandat de 5 ans, sans que l’Afrique du Sud ne s’effondre. Comme l’affirmait le président Barack Obama dans son discours d’Accra: «L’Afrique n’a pas besoin d’hommes forts, mais des institutions fortes».
A propos du concept de «peuple» que le pouvoir instrumentalise pour tenter de faire accepter son hold up constitutionnel par l’opinion nationale et l’opinion internationale, je souligne, avec force, que le peuple congolais comprend l’ensemble des populations de notre pays, toutes appartenances ethniques ou régionales confondues et ne se confond pas avec les militants et les partisans d’un parti ou d’un groupement de partis politiques, comme s’emploient à le prétendre le pouvoir et ses partisans.
Dans chacun de nos 12 départements, chaque parti politique (du moins les plus représentatifs) a des militants et des sympathisants. Ces militants et sympathisants, pris isolément, n’incarnent pas à eux seuls, le peuple congolais. Pourquoi le P.c.t s’acharne-t-il à faire croire que ses militants et partisans à qui le pouvoir fait demander le changement de la Constitution, constituent le peuple congolais? D’ailleurs, sur toute l’étendue du territoire national, la majorité de la population rejette le P.c.t. Cela est si vrai que ce parti est obligé de recouvrir à la tricherie électorale et à la corruption des acteurs politiques et des leadeurs d’opinion, dans le dessein machiavélique de se maintenir au pouvoir envers et contre tous.
Depuis l’historique Conférence nationale souveraine de 1991, le Congo est sorti du système totalitaire du monopartisme. Le peuple congolais, contraint hier de soutenir, sous l’emprise de la peur, le parti unique, a retrouvé sa liberté d’opinion et chaque Congolais a adhéré, selon son cœur ou sa raison, à telle ou telle formation politique. Il y a, aujourd’hui, un pouvoir et une opposition et chaque entité a ses militants et partisans. Dès lors, une entité n’a pas le droit de prétendre que ses militants et partisans constituent le peuple congolais. C’est assez montrer que l’entreprise du pouvoir tendant à présenter les prises de position manipulées de ses partisans comme la volonté du peuple congolais est tout simplement une arnaque politique.
Au demeurant, il convient de rappeler que c’est le président Denis Sassou-Nguesso lui-même qui, pour empêcher ses adversaires politiques les plus dangereux de l’époque (Pascal Lissouba, Bernard Bakana Kolélas, Jean-Pierre Thystère-Tchicaya, Jacques-Joachin Yombi-Opango, David-Charles Ganao) de se porter candidat à l’élection présidentielle de 2002, avait fixé l’âge maximum à 70 ans. C’est encore le chef de l’Etat actuel lui-même qui, pour respecter l’engagement qu’il avait pris vis-à-vis de ses amis extérieurs qui l’avaient aidé à revenir au pouvoir, avait limité le nombre de mandats du président de la République à deux. Il est donc rattrapé par ses propres décisions. Il ne peut s’en prendre qu’à lui-même. Par ailleurs, pourquoi a-t-il attendu la veille de la fin de son dernier mandat pour chercher à modifier ou à changer de Constitution? En la matière, il y a une règle d’or: «On ne change pas les règles du jeu au cours de la partie».
Le fait de chercher à changer de Constitution cache mal ce que tous les Congolais savent, à savoir, la volonté du chef de l’Etat congolais de se maintenir au pouvoir au-delà de la fin de son deuxième et dernier mandat.
En définitive, il n’y a aucune raison majeure et objective tenant à l’intérêt général de la nation et à la paix civile qui justifie, aujourd’hui, un éventuel changement de Constitution. Les raisons invoquées par le pouvoir et ses partisans ne tiennent pas la route.
En tout état de cause, le pouvoir et ses démembrements ne peuvent, ni à titre collectif, ni à titre individuel, en piétinant le droit et en violant les procédures juridiques en la matière, procéder à un changement de Constitution. C’est le lieu de le redire, dans la situation de blocage politique actuel, il n’y a qu’une unique et vraie solution pour sortir le Congo du marasme: un véritable dialogue politique national inclusif, rassemblant les représentants de la classe politique, de la société civile, de la diaspora congolaise et les personnalités indépendantes. L’entêtement du pouvoir à vouloir passer en force est une source de conflits inutiles et de nouveaux drames pour le peuple congolais, alors qu’il pleure encore ses fils et filles, victimes des drames récents: l’attentat contre le DC10 de la compagnie française U.T.A; les guerres civiles et fratricides de 1993-1994, 1997, 1998, 1999; les 353 disparus de Beach; les explosions d’armes de guerre le 4 mars 2012 à Brazzaville.
Mathias DZON
Membre du Collège des Présidents du Collectif des Partis de l’Opposition Congolaise; Président de l’Alliance pour la République et la Démocratie (ARD);
Premier Secrétaire de l’Union Patriotique pour le Renouveau National (UPRN).
Tribune publiée dans la Semaine Africaine du vendredi 11 juillet 2014