Débat sur la Constitution: les masques tombent

Après avoir longtemps prétendu que la modification de la Constitution était une invention de l’opposition et que la question de savoir si le président Denis Sassou Nguesso était candidat à l’élection présidentielle de 2016 n’était pas à l’ordre du jour, le pouvoir congolais vient de se démasquer et avance, désormais, à visage découvert.

En effet, sur instructions personnelles du président de la République, il vient de lancer officiellement le débat sur la révision des articles 57, 58 et 185, alinéa 3 de la Constitution du 20 janvier 2002 qui empêchent le président Denis Sassou Nguesso de briguer un troisième mandat.

Tout a commencé il y a près d’un mois, lorsque le président de la République a réuni la direction du P.c.t et lui a ordonné, ainsi qu’à ses satellites, de lancer officiellement ce débat. En application de cette directive, des agents de l’Etat ont été déployés dans les douze départements du Congo, avec pour mission officielle, d’entreprendre un sondage d’opinion sur l’image du chef de l’Etat auprès des populations, mais en réalité, pour manipuler et corrompre dans chaque département, quelques personnes âgées, pompeusement baptisées «sages», afin qu’elles déclarent publiquement sur les antennes de la radio et de la télévision nationales que «leur département demande au président Denis Sassou Nguesso de briguer un troisième mandat», aux fins de permettre au chef de l’Etat de se prévaloir d’une légitimité populaire.

Pour traduire en actes cette stratégie, le président de la République a programmé une tournée de conférences dans tous les départements du Congo, à l’effet de faire valider son plan de maintien au pouvoir au-delà de 2016. L’opération a commencé par le département de la Likouala où le préfet a mouillé la barbe à quelques personnes nécessiteuses du troisième âge, qui se sont arrogés le droit de parler au nom de tout le département, et ce, sans en avoir reçu mandat. Ces soi-disant sages ont déclaré à la télévision congolaise que «le département de la Likouala demande au président Denis Sassou Nguesso de solliciter un troisième mandat». Cette manœuvre du pouvoir a suscité de nombreuses protestations sur toute l’étendue du territoire de la Likouala, à telle enseigne que les auteurs de la déclaration d’Impfondo se cachent, pour éviter la vindicte populaire.

De la Likouala, le lobbying du pouvoir s’est étendu aux départements du Niari et de Pointe-Noire. A Dolisie, chef-lieu du département du Niari où le président de la République effectuait une visite de travail, le préfet a, comme son collègue de la Likouala, tenté d’exercer des pressions sur le «comité des sages» du département, afin qu’il exige, au nom du département, la révision de la Constitution, pour permettre au président Denis Sassou Nguesso de rempiler. La manœuvre du préfet s’est soldée par un cinglant échec, car elle s’est heurtée à une fin de non-recevoir du «comité des sages». C’est alors que, contre toute attente, Monsieur Justin Koumba, président de l’Assemblée  nationale, cette institution qui est censée voter les lois de la République, Monsieur Koumba disais-je, a prétendu, dans son mot de bienvenue au chef de l’Etat, que «le Niari, unanimement, a pensé que nous pouvons vous demander de ne pas hésiter à envisager le changement de la Constitution» sic.(1)

Le président de l’Assemblée nationale a été complété par Monsieur Pierre Mabiala, ministre des affaires foncières et du domaine public, qui a déclaré, à son tour: «Le Niari, rassemblé dans toute sa diversité, pose le problème réel et objectif du changement de la Constitution… Cette Constitution pose deux verrous: l’âge et le nombre de mandats. Entre les deux verrous, il y a le devoir républicain de continuité».

Ces déclarations par lesquelles les deux orateurs engagent tout le département, mais qui ne reflètent pas l’opinion de la majorité des populations du Niari, ont suscité aussitôt une vive protestation du «comité des sages du Niari» qui a tenté, en vain, de faire passer un démenti sur les antennes des médias publics. Dans la même veine, les cadres et ressortissants du Niari résidant à Brazzaville ont publié, dans le journal La Semaine Africaine (du 2 avril 2014), un communiqué dans lequel ils indiquent que les allégations mensongères de Messieurs Justin Koumba et Pierre Mabiala n’engagent que leur petite personne et nullement les populations du Niari qui disent non à un troisième mandat du président Denis Sassou Nguesso.(2)

A Pointe-Noire, le pouvoir a essuyé le même échec qu’à Dolisie, auprès du «comité des sages du Kouilou» que le préfet et le maire de Pointe-Noire ont tenté vainement de rallier aux positions du pouvoir. Devant cet échec, comme Justin Koumba et Pierre Mabiala à Dolisie, Isidore Mvouba, ancien Premier ministre, actuel ministre d’Etat en charge de l’industrie et membre du Bureau politique du Parti congolais du travail (parti au pouvoir) a déclaré, de façon inattendue, dans son discours à l’occasion de la pose de la première pierre de la cimenterie de Hinda par le président de la République: «La révision de la Constitution doit cesser d’être un sujet tabou. Il faut laisser le débat sur cette question se faire librement».

Ainsi, les masques tombent. Le projet du pouvoir de modifier la Constitution est, désormais, un fait officiel. Le président Denis Sassou Nguesso a choisi de recourir au passage en force. A cette fin, violant les articles 57, 58 et 185, alinéa 3 de la Constitution, il a décidé d’organiser un referendum constitutionnel sur la base des résultats manipulés et faux du récent recensement administratif spécial et avec la complicité de la commission électorale nationale à ses ordres, pour s’accrocher au pouvoir. Tel est le plan concocté par le chef de l’Etat.(3)

Ce plan appelle, de ma part, quatre observations:

– Primo, le débat sur la modification de la Constitution est un faux débat et n’a pas lieu d’être, car la Constitution du 20 janvier 2002 prévoit, en son titre XVIII et dans ses articles 185, 186 et 187, les conditions dans lesquelles cette Constitution peut être révisée. En effet, l’article 185, alinéa 3 dispose: «La forme républicaine, le caractère laïc de l’Etat, le nombre de mandats du président de la République, ainsi que les droits énoncés aux titres I et II ne peuvent faire l’objet de révision». Comme on peut le constater, cet article indique très clairement qu’on peut tout modifier dans cette Constitution, sauf entre autres, le nombre de mandats du président de la République. Or à ce sujet, l’article 57 de la Constitution du 20 janvier 2002 stipule: «Le président de la République est élu pour sept ans au suffrage universel direct. Il est rééligible une fois». Le mandat actuel du président  Denis Sassou Sassou Nguesso, inauguré le 14 août 2009, est son deuxième et dernier  mandat. Il prend fin le 14 août 2016 à 14h. Le président de la République en fonction n’a plus le droit de briguer un autre mandat. La Constitution le lui interdit strictement. La loi fondamentale est impérative. Elle s’impose à tous, y compris au président de la République. Personne n’est au-dessus de la loi.

– Secundo, lors de son entrée en fonction, le 14 août 2009, le président Denis Sassou Nguesso a pris l’engagement solennel de respecter et de défendre la Constitution. Cet engagement est consigné dans l’article 169 de la Constitution qui dispose: «Devant la nation et le peuple congolais, seul détenteur de la souveraineté, moi, Denis Sassou Nguesso, président de la République, je jure solennellement de respecter et de défendre la Constitution et la forme républicaine de l’Etat…».

Le chef de l’Etat, qui est, de surcroît, général d’armée, a l’ardente obligation d’honorer la parole donnée et de respecter l’engagement pris. Dans l’avant-propos de son ouvrage «Un homme d’honneur, le destin exceptionnel d’un enfant de la brousse», André Soussan, un de ses amis  passé à l’orient  éternel, écrit à propos du président Denis Sassou Nguesso: «Journaliste et écrivain, j’ai toujours été intéressé par les hommes pour qui l’honneur est la vertu cardinale, une espèce en voie de disparition: Ben Gourion, Sadate, De Klerk, Reagan, Mandela… Le destin m’a permis de rencontrer, il y a plusieurs années, un homme de cette trempe, un homme peu ordinaire, Denis Sassou Nguesso».

Si le président de la République est cet homme d’honneur que décrit son ami André Soussan, il a alors le devoir de respecter le serment qu’il a prêté le 14 août 2009 devant la nation entière. En conséquence, il doit renoncer à modifier la Constitution et travailler à promouvoir les conditions d’une sortie honorable pour lui-même et les conditions d’une alternance démocratique et pacifique.

– Tercio, la Constitution actuelle a été taillée sur mesure par le président Denis Sassou Nguesso. Elle lui confère tous les pouvoirs. Elle ne l’empêche nullement d’exercer son mandat jusqu’à son terme, le 14 août 2016. Pourquoi veut-il donc la modifier? Pour tenter de justifier la modification illégale des articles 57, 58 et 185 de la Constitution, le P.c.t et ses satellites donnent à entendre «qu’aucun Congolais n’est apte à exercer la charge de président de la République à l’exception du président Denis Sassou Nguesso, homme providentiel sans lequel le Congo sombrerait dans le chaos. C’est lui ou le chaos. Après lui, le déluge».

En développant cet argumentaire d’une pauvreté affligeante, le P.c.t fait montre d’un aveuglement incompréhensible et fait injure au peuple congolais en général et à la classe politique congolaise en particulier, qui regorgent d’hommes de grande compétence politique et technique, de patriotes sincères, de vrais démocrates et républicains, d’intellectuels de haut niveau, politiquement formés et techniquement experts.

Par ailleurs, en démocratie, personne n’est propriétaire de sa charge et il n’y a pas de présidence à vie. Une république démocratique se caractérise, entre autres, par sa capacité à générer des alternances démocratiques et pacifiques. En outre, la Constitution du 20 janvier 2002 ne contient aucune disposition qui confère aux «sages des départements» le droit de parler au nom et à la place des populations et de les engager. Le Congo est un Etat moderne et non une monarchie traditionnelle. La procédure utilisée par le pouvoir pour tenter de modifier les articles de la Constitution  qui le gênent, relève des méthodes moyenâgeuses et antidémocratiques pratiquées sous le régime du monopartisme.

Quarto, le pouvoir claironne sur tous les toits que le Congo se porte bien, et même très bien ; certains de ses dignitaires prétendent même qu’il n’y a aucune crise  au Congo, que tout baigne dans l’huile, que le pays vit en paix, progresse et se dirige inexorablement vers l’émergence en 2025. Si tout va si bien, pourquoi alors chercher à modifier ou à changer de Constitution? Pourquoi le président Denis Sassou Nguesso achète-t-il tant  d’armes  et de munitions de guerre de destruction massive qui sont gardées non pas dans les garnisons militaires, mais dans des lieux privés connus seulement de lui-même  et de ses proches. Plus grave, ces armes et munitions ne sont pas achetées pour le compte des Forces armées congolaises (F.a.c), mais pour celui des milices privées du président de la République et des nombreux mercenaires étrangers qu’il recrute à tour de bras. En vérité, le président Denis Sassou Nguesso prépare une nouvelle guerre contre le peuple congolais. La paix dont il parle à longueur de journée, n’est rien d’autre que l’arbre qui cache la forêt.

Que faire devant la volonté du pouvoir de passer en force?

Dans le dessein de se maintenir au pouvoir au-delà de 2016, le président Denis Sassou Nguesso a entrepris de se fabriquer un fichier électoral manipulé et d’organiser des élections locales et un référendum constitutionnel frauduleux. Or, l’histoire récente de l’Afrique montre que les élections mal organisées et truquées sont devenues la cause principale des conflits socio-politiques qui déchirent l’Afrique en général, le Congo en particulier. Dans ce contexte, l’une des démarches fondamentales pour prévenir les conflits, consiste à construire un consensus national en vue de créer les conditions d’organisation d’élections libres, transparentes et justes. Pour remettre le processus électoral sur les rails, le président de la République doit accepter de s’assoir avec toutes les forces vives de la Nation, en vue de rechercher un compromis national acceptable par tous.

Dans cette perspective, il est urgent et impératif que le chef de l’Etat convoque un vrai dialogue politique national entre le pouvoir et toutes les forces vives de la Nation, pour élaborer, ensemble et de façon consensuelle, les nouvelles règles de la gouvernance électorale. Le dialogue politique national est une exigence de survie collective. Il est un passage obligé.

En préalable à ce dialogue, il est indispensable de mettre en place, dans les meilleurs délais, un comité préparatoire composé de façon paritaire, de représentants de la mouvance présidentielle, de l’opposition et de la société civile. Ce comité aura pour missions de:

– délimiter le champ du dialogue national, c’est-à-dire, définir ses domaines de compétence;

– définir l’objectif général et les objectifs spécifiques poursuivis;

– élaborer le projet d’ordre du jour;

– élaborer le projet de règlement intérieur;

– proposer le nombre, le statut et la liste des participants;

– proposer la composition du présidium, du secrétariat des travaux, de la police des travaux et du protocole;

– élaborer un avant-projet d’accord-cadre;

– proposer le cadre institutionnel de mise en œuvre des actes du dialogue national;

– proposer le cadre institutionnel de suivi, de contrôle et d’évaluation de l’exécution des Actes du dialogue national;

– proposer le cadre institutionnel régissant la Transition.

Dans un esprit d’équité, d’apaisement et de responsabilité citoyenne, la parité doit être de mise dans la représentation des acteurs politiques entre la mouvance présidentielle et l’opposition. Le dialogue politique national débouchera sur quatre décisions majeures:

1- la signature par toutes les parties prenantes, d’un accord-cadre,  synthèse de toutes les décisions consensuellement adoptées au cours des travaux du dialogue national et d’un engagement solennel à respecter la parole donnée;

2- La mise en place d’un cadre institutionnel de mise en œuvre des Actes du dialogue national;

3- La mise en place d’un cadre institutionnel de suivi, de contrôle et d‘évaluation de l’exécution des Actes du dialogue national ;

4- L’élaboration d’un cadre institutionnel devant régir la période de transition.

De fait, le dialogue national ouvrira une période de Transition jusqu’à la fin du mandat de l’actuel président de la République, le 14 août 2016. Pendant cette période, le président de la République restera en poste. Un gouvernement de large consensus sera formé, pour appliquer les Actes du dialogue national et préparer les élections locales de 2014 et l’élection présidentielle de 2016. Ce gouvernement sera dirigé par un Premier ministre proposé par l’opposition.

On l’aura compris, le dialogue politique national est et demeure l’unique voie pour sortir le Congo de la crise multidimensionnelle qui le plombe aujourd’hui et pour éviter au peuple congolais de nouvelles épreuves.

Pour ramener le pouvoir à la raison et à la sagesse, j’appelle les populations des douze départements du Congo, à se mobiliser massivement et pacifiquement et à dire non à la guerre, non à la modification de la Constitution, non au troisième mandat du président Denis Sassou Nguesso, non à des élections truquées, oui au vrai dialogue politique national, oui à la paix, à l’unité et à la concorde nationales, oui à l’alternance pacifique.

J’appelle également les patriotes, les démocrates, les républicains, les cadres respectueux de la loi, la société civile, les partis politiques soucieux de préserver la paix et la démocratie dans notre pays, à se rassembler  dans un large Front de refus, pour faire échec au coup d’état constitutionnel que projette le pouvoir.

Mathias DZON

Membre du Collège des Présidents du Collectif des Partis de l’Opposition Congolaise,

Président de l’Alliance pour la République et la Démocratie (A.R.D),

Premier Secrétaire de l’Union Patriotique pour le Renouveau National (UPRN).

(1)- Le « Conseil des Sages » au Congo-Brazzaville: une nouvelle institution ou une quenelle de Sassou Nguesso pour endormir le peuple congolais

(2)- Département du Niari: Des cadres et natifs résidents à Brazzaville se désolidarisent de l’initiative énoncée à Dolisie

(3)- Congo-Brazzaville: Recensement truqué pour élections faussées, une tragicomédie électorale

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Mathias Dzon, sur rfi, le président Sassou, de par son âge et les deux mandats passés à la tête de l’Etat, est disqualifié pour 2016

«Le président Sassou, de par son âge et les deux mandats passés à la tête de l’Etat, est disqualifié pour 2016. Malheureusement, il a engagé une démarche pour un passage en force pour avoir un 3ème mandat, nous lui demandons de venir au dialogue pour lui permettre de sortir dans la paix.»

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Au Congo-Brazzaville, au gouvernement et à l’Assemblée nationale, plusieurs voix s’élèvent en faveur d’une révision de la constitution. Est-ce le signe que le président Sassou Nguesso est tenté de briguer un troisième mandat en 2016, ce que la loi fondamentale lui interdit pour l’instant?

De 1997 à 2002, Mathias Dzon a été ministre de l’Economie et des Finances. Aujourd’hui, il est dans l’opposition et préside l’ARD, l’Alliance pour la république et la démocratie. En ligne de Brazzaville, il répond aux questions de Christophe Boisbouvier.

Source RFI