ANALYSE DE LIBÉRATION: Hollande ferme la porte pour ouvrir le jeu
En renonçant à se représenter, le chef de l’Etat libère potentiellement l’espace en faveur d’une figure plus à même de qualifier la gauche au second tour.Une première dans l’histoire de la Ve République. En annonçant jeudi soir depuis l’Elysée qu’il ne tentera pas de briguer un second mandat, François Hollande a pris de court jusqu’à ses plus proches. Et mis fin à une période d’incertitude dans laquelle on a frôlé la crise de régime au sommet de l’Etat – Manuel Valls ayant manifesté son impatience et s’étant livré ces dernières semaines à une stratégie d’empêchement qui a braqué, à raison, nombre de hollandais. Les vallsistes ont évoqué une «dissuasion nucléaire», elle aura contribué à gréver, depuis Matignon, la capacité même du président sortant à se représenter.
Dans une allocution à la première personne, où il n’a livré sa décision qu’à la toute fin, François Hollande a d’abord listé durant une dizaine de minutes les grandes avancées économiques, sociales et sociétales de son quinquennat, n’évoquant qu’un seul regret: son projet, finalement abandonné, d’inscrire dans la Constitution la déchéance de nationalité pour les terroristes. Sur ce sujet – point de fracture aigue – comme sur tous les autres, si le président sortant assure tout assumer même s’il reconnait des «erreurs», il ne rendra donc pas de comptes devant ses électeurs de 2012 et plus largement devant les Français. Il y aurait pourtant eu du sens à ce qu’il défende, assume, voire amende son bilan. C’était en tout cas l’usage jusque-là même si la contrainte pour le locataire de l’Elysée de passer par la case primaire rendait l’exercice inédit. Une forme d’incongruité institutionnelle qui apparaissait comme la moins mauvaise des solutions mais qui aurait, n’en doutons pas, abaissé la fonction présidentielle. Il va s’en dire qu’une défaite du chef de l’Etat dans ce scrutin aurait ouvert la voie à une fin de mandat encore plus crépusculaire.
Le choix a de quoi surprendre, il a de la noblesse
En décidant de ne pas se soumettre de nouveau au suffrage des citoyens, François Hollande fait le choix de ne pas s’entêter alors qu’il restera notamment – mais pas seulement – comme le président le plus impopulaire de la Ve République. Face au péril de l’extrême droite et au risque de casse sociale incarné par François Fillon, le chef de l’Etat sortant revendique donc un autre sens des responsabilités. Non pas celui qui consiste à se représenter coûte que coûte devant les électeurs, mais celui qui libère potentiellement l’espace en faveur d’une figure plus à même de qualifier la gauche au second tour. François Hollande va en tout cas achever son quinquennat dans une configuration on ne peut plus singulière, restant une figure majeure sur le plan institutionnel mais devenant un personnage secondaire car démonétisé pour l’avenir de la gauche. Le choix a de quoi surprendre, il a aussi une part de noblesse.
Inattendue, cette décision intervient alors que la situation économique du pays, à commencer par la fameuse courbe du chômage, n’apparaissait plus comme un obstacle à une nouvelle candidature. Et dans un contexte où personne dans la famille socialiste – de Valls à Montebourg – ne s’est imposé comme une alternative incontournable pour son camp. Ni même comme capable de se qualifier pour le second tour de la présidentielle. C’est là tout le drame d’une gauche éxplosée, dont les électeurs votent aujourd’hui de Macron à Mélenchon quand ils ne cèdent pas, ici et là, aux sirènes du Front national. Le retrait de Hollande, qui en a appelé jeudi soir «à un sursaut collectif de tous les progressistes», ne règle rien. Ou si peu.
D’autres candidats pourraient sortir du bois
Hollande se mettant lui-même out, le jeu s’ouvre pour la primaire de la Belle alliance populaire qui se tiendra fin janvier. Car outre Manuel Valls, qui a fait savoir ces dernières semaines qu’il serait candidat «à la minute» où Hollande ne le serait pas – et qui a tout fait pour que cela advienne -, on peut imaginer que d’autres candidats sortent du bois en l’absence du président sortant. En premier lieu pour faire barrage à ce Premier ministre si peu rassembleur: de Najat Vallaud-Belkacem à Christiane Taubira en passant par Mathias Fekl, des noms circulent. Difficile de savoir toutefois qui aura l’envie et le courage de se lancer pour troubler un scrutin qui, désormais, s’annonce d’abord comme un duel, à l’issue très incertaine, entre Manuel Valls et Arnaud Montebourg.
Forcément comptable du bilan – notamment la loi Macron et la loi Travail -, le Premier ministre va poursuivre plus que jamais son opération «différentiation». Alors que la Belle alliance populaire (BAP) – qui porte mal son nom – tient un grand meeting samedi à Paris, Valls – qui doit conclure la soirée où de très nombreux ministres sont attendus – pourrait en profiter pour annoncer sa candidature. Se rêvant d’un destin à la Fillon.
Jonathan BOUCHET-PETERSEN
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