L’une des éminences grises du président Sassou au sortir de la guerre de 1997, Charles Zacharie Bowao qui s’est installé en France depuis plus d’une année décrypte sans langue de bois l’actualité brulante du Congo.
On vous savait déjà en rupture de fait avec le président Sassou. Il y a quelques jours, vous avez à travers un courrier adressé au secrétaire général du PCT, officialisé votre démarcation vis-à-vis du PCT et du président Sassou dont vous avez été un des très proches collaborateurs. Est-ce une prise de position par convenance personnelle afin de ne pas accompagner la dérive dans laquelle s’est lancé le PCT ? Ou une réflexion mûrie de longue date ?
Charles Zacharie Bowao : Je dirais qu’il s’agit d’un aboutissement, j’ai été membre du bureau politique pendant des années. Comme vous le savez, nous avons en son temps initié avec d’autres cadres du parti et avec la compréhension du président Sassou lui-même tout le processus qui devait aboutir à la refondation du PCT pour en faire un parti véritablement moderne, démocratique et qui s’orienterait vers « la social-démocratie ». Ce travail n’a pas pu aboutir. Le dernier congrès qui devait impulser cette « Refondation », s’est contenté d’une ouverture qui n’en est pas une, puisque nous avons renoué avec la pratique du centralisme démocratique sans le proclamer. Ainsi, à partir de là, nous étions en train de constater et de faire constater que le processus de la Refondation était en train d’échouer. Je le faisais remarquer à chaque réunion du comité central ou du bureau politique et nous sommes arrivés à la conclusion que le PCT n’était plus réformable. En faisant remarquer cette incapacité du PCT de se réformer et de s’accommoder à une nouvelle donne démocratique, j’étais en désaccord avec le président Denis Sassou Nguesso. Je souhaitais diriger le pays vers un assainissement de l’espace public et un renouvellement du champ politique congolais de manière à éloigner le jeu politique de l’instrumentalisation ethnique comme ce fut le cas par le passé.
Vous voulez parler de la nouvelle espérance et du chemin d’avenir ?
CZB : Oui, il se trouve que là aussi, vu stratégiquement, le programme du président n’a pas abouti. Que ce soit dans la dynamique de la nouvelle espérance reprise après dans le cadre du chemin d’avenir, cet assainissement de l’espace public n’a pu aboutir. Sur fond de tâtonnement historique et de mélange des genres a surgi brutalement, au sein du parti, le débat du changement de la Constitution. La conclusion était faite hélas ! J’étais désolé de constater que nous étions en train de renouer au fond avec le passé et que nous n’étions pas parvenus à tirer les leçons de notre parcours. Je me suis engagé dans ce débat dès le début – vous avez vu les lettres ouvertes que j’ai adressées au président Sassou – en estimant que si le débat est encore au niveau du parti, le président de la République, garant de la constitution sur laquelle il a prêté serment par deux fois, n’allait pas cautionner cette escroquerie politique et historique. Voilà que le 30 juin il me donne la preuve que c’est lui qui était à la manœuvre. A partir de cet instant, je me suis dit qu’il fallait aller au bout du processus en espérant que le président n’irait pas mettre en œuvre au final ce projet tragique. Nous nous sommes dit qu’il finirait par écouter la voix de la raison et qu’il allait sauver sa qualité d’homme d’Etat.
Peine perdue ! A partir du moment où il a engagé le pays sur la voie du referendum, j’ai considéré qu’il avait trahi son serment et qu’il avait perdu la légitimité historique qui le portait. En fixant enfin la date du referendum, j’ai considéré qu’il perdait alors la légalité et que je n’avais plus rien à faire au sein du PCT.
J’ai tiré les conséquences qui s’imposaient d’autant plus que depuis janvier 2015 j’avais indiqué que s’il empruntait cette voie illégale qui est politiquement désastreuse, je ne pouvais être derrière lui et cautionner un coup d’Etat que nous pourrions qualifier de constitutionnel comme d’anticonstitutionnel.
Le président dans sa vision souhaite faire évoluer les institutions, voilà pourquoi il opte pour le changement de la Constitution. N’est-ce pas ?
CZB : Ce projet illégal de Constitution est un projet mort-né. Je tiens à vous rappeler que je faisais partie du comité de rédaction de la Constitution du 20 janvier 2002. Fort de cette expérience, j’ai parcouru la mouture de la fameuse « Constitution » que le président souhaitait nous servir et le constat est le suivant : le projet est d’une nullité exemplaire. J’avais déjà indiqué que son référendum était illégal ; aucune disposition n’autorisant le président à convoquer un référendum dans le but de changer la Constitution. Dans la démarche actuelle, ce référendum n’a pas de raison d’être.
Revenons au texte qu’il a rédigé à huis clos et à la hussarde, tout ce qui y est prévu comme innovations n’a rien à voir sur le plan qualitatif avec une évolution des institutions. Première indication, on revient vers un régime semi-présidentiel mais dans une certaine confusion historique et même institutionnelle. Par exemple, rien n’indique d’où sort le Premier ministre, chef du gouvernement. Est-il choisi au sein de la majorité présidentielle, parlementaire ? Rien n’est spécifié à ce sujet alors que ce dernier est doublement responsable devant le président de la République qui le nomme et devant le Parlement qui approuve sa politique gouvernementale. C’est une confusion institutionnelle qu’on ne peut pas définir comme une « évolution ».
Deuxièmement, on revient à un mandat de 5 ans renouvelable deux fois, comme l’avait voulu Blaise Compaoré, une requête qui lui a d’ailleurs fait perdre l’initiative historique. Qu’est-ce que cela signifie concrètement ? Si vous suivez le point de vue des chantres de ce projet, un mandat de 5 ans renouvelable deux fois, soit 15 ans au total, serait plus court qu’un mandat de 7 ans renouvelable 1 fois, soit 14 années au total. Cela prête à confusion pour ceux qui savent compter. La vérité c’est que ce projet fait le lit d’un coup d’Etat. En faisant passer un tel projet de Constitution, le président entend remettre les compteurs à zéro afin d’obtenir le droit de se représenter ad vitam æternam (3 fois encore). Ce n’est pas sérieux ! Aucun homme sensé ne peut soutenir une telle escroquerie politique. Le président Sassou nous ressert des arguments plus aberrants les uns que les autres : il est le seul éternellement vivant, il a engagé des projets qu’il doit poursuivre… C’est un peu le schéma de Mamadou Tanja avec le Tazertié « la continuité ». C’est ce que nous avons aussi connu avec le CDP de Compaoré au Burkina. C’est absurde de raisonner ainsi ! C’est une insulte à l’intelligence des Congolais…
Quelle est la situation qui prévaut actuellement à Brazzaville ?
CZB : La situation se résume simplement en un fait démocratique : un peu plus des ¾ de la population Congolaise rejette aujourd’hui le référendum constitutionnel de Denis Sassou Nguesso. Aujourd’hui, politiquement, sociologiquement, il y a une majorité qui s’est constituée et qui est en train de se mobiliser, de s’unifier, de s’organiser à travers le pays, pour montrer la fausseté du processus engagé par le président Sassou Nguesso. Cette nouvelle majorité républicaine se réserve le droit d’aller jusqu’à la désobéissance civile et citoyenne conformément à la Constitution en vigueur.
Le pouvoir rejette cette action de la désobéissance civile en arguant avec grandiloquence que c’est un groupe de voyous qui s’est attaqué aux symboles de la République à Brazzaville et dans certaines localités de l’intérieur. Que répondez-vous ?
CZB : Le voyou c’est celui qui ne respecte pas la loi ! Celui qui est dans la posture de ne pas respecter la loi, c’est bien le président Sassou avec le PCT. On a prouvé que la majorité de la population rejette la démarche du pouvoir. Pouvez-vous accepter dans un contexte comme celui-là où soi-disant nous sommes en campagne, nous soyons dans un Etat de siège qui ne dit pas son nom. Comment expliquez-vous qu’un procureur décide un jour non ouvrable d’empêcher des Congolais, des leaders politiques parmi eux plusieurs députés, de sortir d’une localité du pays ? Bacongo, Makélékélé, Mfilou, Talangai, tous ces quartiers sont assiégés non pas par la force publique mais par les milices au service du directeur général de la police, Jean François Ndengué. Nous, nous avons l’initiative populaire, il ne reste au président que la force, les armes ce qui nous amène à conclure qu’il a renoué avec son passé où le « pouvoir est au bout du fusil » et non au fond des urnes. Je pense que les personnes qui savent décrypter les événements et la subtilité de la situation au Congo savent pertinemment que les Congolais sont capables de s’opposer à l’exercice tyrannique du pouvoir.
Avez-vous été surpris par la réaction des Congolais dernièrement à Pointe-Noire et le mardi 20 octobre dans une bonne partie du pays ?
CZB : Je l’ai annoncé plusieurs fois. J’ai toujours dit qu’il ne fallait pas confondre les Congolais, il ne faut pas penser qu’ils sont résignés, vous seriez surpris ! On y est et ils le prouvent sur le terrain.
On a comme l’impression qu’il y a une instrumentalisation, il n’y a que les quartiers sud de Brazzaville qui sont en ébullition et non les quartiers nord ?
CZB : C’est une malice du président de la République et des chefs des bandes qui dirigent les opérations de répression. Ils ont mis en place un dispositif coupant la ville de Brazzaville en deux. Lorsque ceux qui partaient des quartiers sud pour remonter vers le boulevard Alfred Raoul où le méga-meeting devait avoir lieu, il a fait tiré à balles réelles. Il y a même eu des détonations d’armes lourdes avec des survols d’hélicoptères de combat.
Pendant ce temps, dans les quartiers nord de Brazzaville, ils ont placé des escadrons de l’intimidation. Chaque fois que les gens veulent sortir, ils sont immédiatement contenus. Parallèlement à ce climat, le pouvoir a sécurisé certains accès pour faire passer des partisans du Oui au référendum qui organisent des carnavals à gauche et à droite sous l’escorte policière, des carnavals qui ont d’ailleurs essuyé les huées de la population. C’est la preuve que c’est une manipulation dégoutante. Nous sommes là dans le tragique puisqu’il y a eu des morts. Comment peut-on expliquer en période de campagne pour un scrutin transparent, comme l’affirme le pouvoir en place, qu’il puisse y avoir des morts.
En vérité, ce n’est pas la force publique républicaine qui réprime et qui tire dans Brazzaville Pointe-Noire et ailleurs, ce sont des unités des milices qui sont à la disposition du directeur général de la police Jean François Ndengué. Les unités des milices au service du pouvoir ont été habillées avec les uniformes des forces régulières pour donner l’impression que c’est l’armée nationale qui tire sur les populations venues manifester pacifiquement, les mains nues.
Pour avoir été ministre de la Défense, pensez-vous que l’armée congolaise est une armée républicaine neutre ?
CZB : Oui pour avoir été ministre de la défense, je le dis et je l’affirme. L’armée congolaise est républicaine, neutre et apolitique. Comme vous le dites, je sais de quoi je parle. Ce n’est pas l’armée qui a été déployée dans les rues, ce sont des milices à la disposition du général Ndengué habillés d’uniformes de l’armée. Si cela continue, vous verrez que l’armée va se démarquer d’ailleurs.
On s’achemine vers le 25 octobre date du référendum…
CZB : Il n’y aura pas de référendum
Vous avez quelle certitude pour affirmer cela ? Apparemment, le pouvoir est prêt pour aller aux urnes le 25 octobre ?
CZB : Ils iront certainement aux urnes comme ce fut le cas au Burundi, comme ce fut le cas au Niger avec Tanja, rappelez-vous. Le pouvoir fera tout pour montrer quelques zones où il y a un semblant de vie…. Le résultat est dans ce cas-là connu d’avance. Nous connaissons les pratiques qu’ils vont utiliser d’autant plus que le fichier électoral est obsolète et inutilisable en l’état.
Mais pour cela, il faut encore arriver au 25 et je ne suis pas certain qu’on va y arriver vu le contexte.
Le lundi 19 octobre, le pouvoir a demandé aux Congolais de vaquer normalement à leurs occupations et que l’administration allait fonctionner normalement. Vous avez dû constater que les ¾ du pays étaient paralysés. Les administrations n’ont pas fonctionné le lendemain et avant. Peut-être pas par faute d’administrateurs mais par faute d’administrés. Et d’ailleurs, même les administrateurs eux-mêmes se comptent sur les bouts des doigts. Même au sein du ministère de la Défense, les gens n’ont pas travaillé. Les fonctionnements et les décisions du gouvernement et du président en pareil moment sont tout simplement honteux.
Le Congo est-il dans une situation d’insurrection ou de désobéissance civile ?
CZB : Nous sommes dans une situation de désobéissance civile généralisée. Si maintenant Sassou ne retire pas son projet, cela risque d’aboutir à une insurrection. Depuis le jour où il a fixé la date du référendum, le pays est devenu ingouvernable. Le président Sassou a refusé d’entrer dans l’histoire par le portique républicain en créant une crise dont il n’avait pas besoin.
Qu’attendez-vous du président Sassou, vous la majorité républicaine ?
CZB : Nous attendons deux choses : primo, qu’il retire son projet de référendum illégal. Nous entrons alors dans une phase de négociations des conditions de son départ parce qu’il a perdu la légalité. S’il écoute la voix de la raison, c’est ce qu’il nous reste à faire. S’il n’écoute pas la voix de la raison, nous allons le démettre de ses fonctions.
Secundo, qu’il retire ses milices de la ville et qu’il arrête de faire couler le sang des résistants et des défenseurs de la démocratie. Vous savez, nous avons eu l’information ce mercredi 21 octobre qu’il s’apprêterait à faire descendre à Pointe-Noire, Lekana, Gamboma, Dolisie, Sibiti… sa garde prétorienne basée à Tshiambitchio à quelques kilomètres de son village natal pour mener la répression et reprendre les villes du Sud. Mais nous sommes vigilants.
Vous avez évoqué une probable négociation. Vous comptez-vous comme un opposant pouvant négocier avec Sassou sous l’égide de la communauté internationale ?
CZB : Nous avons sensibilisé l’Union africaine, l’Union européenne, la Francophonie, des initiatives ont été tentées dans la direction du président Sassou. Mais il a choisi de jouer au dilatoire, il n’a voulu accueillir aucune délégation, lui qui s’est réclamé médiateur international. A partir de ce moment-là, que reste-t-il à faire… Il n’y a qu’une seule option, demander et exiger son départ. Nous sommes dans la partie de la fin de son règne. Les signes ne trompent pas.
Pour certains, vous êtes un ingrat car le président Sassou vous a donné une chance dans votre vie et vous le remercier de la manière la plus ingrate. Que répondez-vous ?
CZB : C’est stupide de penser ainsi. Je suis devenu professeur par coup de baguette de Sassou ? J’ai eu un parcours dans ma vie. La première chance m’a été donnée par mes parents. Écoutez, nous avons été proches lui et moi parce que j’ai longtemps pensé qu’il allait être un grand homme d’État, mais au fil des dernières années nous avons compris moi personnellement comme d’autres qu’il avait un plan personnel qui ne cadrait pas avec nos espérances républicaines et démocratiques. Face à la dérive et au totalitarisme, les intellectuels que nous sommes, nous nous devons de dire stop. C’est ce que j’ai fais malgré les pressions et les propositions indécentes. André Okombi Salissa, moi et certains d’autres qui agissent discrètement, avons pu dire « Sassoufit ».
En guise de conclusion, quel message avez-vous à lancer aux Congolais gagnés par la psychose et au reste du monde qui a désormais les yeux braqués sur le Congo ?
CZB : Nous sommes là dans un déterminisme tragique qui a montré ses limites. Les Congolais ont prouvé, je pense, à l’opinion nationale comme internationale qu’ils savaient ce qu’ils voulaient. Nous allons réussir ce pari avec l’avenir en faisant échec à ce référendum anticonstitutionnel. Nous allons arrêter dans les meilleurs délais cette résurgence du refoulé que Dénis Sassou Nguesso a voulu nous servir sans se rendre compte qu’il appartenait au temps d’autrefois et que son style de gouvernance totalitaire ne pourrait lui permettre d’aller de l’avant.
Aux Congolais, je dirais qu’ils doivent rester mobilisés et déterminés jusqu’au triomphe de la démocratie.
Je m’incline devant la mémoire de tous les Congolais tués pour avoir défendu la démocratie ; nous comptons une trentaine de morts. C’est tragique ! Je plains les contradictions à ce sujet entre le ministre de la Communication et le ministre de l’Intérieur, preuve que plus rien n’est au contrôle. Jusqu’à récemment, le président Sassou était dans la tragédie du pouvoir mais en ce moment, il est entré dans le pouvoir de la tragédie et ce n’est pas cela l’avenir du Congo.
L’avenir du Congo, c’est de sortir par une transition maîtrisée de ce processus négatif en préservant les acquis de la Constitution actuelle pour une historicité qui ne nous ramène plus aux démons du passé. Je salue fortement le sens de la résistance citoyenne des Congolais du nord au sud et de l’est à l’ouest. Cette détermination finira par l’emporter face à la forfaiture orchestrée par Dénis Sassou Nguesso et compagnie et qui porte malheureusement le projet d’une constitution « mort-née ».
Propos recueillis par Rodrigue Fenelon, Paris
Source Les Afriques : http://www.lesafriques.com/actualite/interview-charles-zacharie-bowao-le-projet-illegal-de-constitution-est-un-projet-mor.html?Itemid=89?article=45420