«Le vivre ensemble n’est possible que si nous respectons ensemble les règles communes. Au cas contraire, nous ouvrons une boite de pandore qui fera que le pays devienne de plus en plus ingouvernable.»

Le Congrès africain pour le progrès (Cap) s’attend à participer au « vrai dialogue » que convoquera le président de la République et non aux consultations sur la vie de l’Etat et de la nation. Pour son président, les leaders politiques congolais « jouent au dé avec l’avenir du pays ». Dans cette interview accordée à la veille de la reprise des consultations nationales, Jean Itadi dénonce « l’inconscience pure » de la classe politique congolaise et appelle au sens de responsabilité de tous.

Comment se porte le Cap ?

Jean Itadi : Il se porte très bien. Il n’y a aucun problème. Il continue d’avancer.

Que peut dire de plus le Cap au-delà de la déclaration de boycott des consultations du Frocad auquel votre parti appartient ?

J.I : L’invitation du chef du cabinet du président de la République nous était adressée lundi pour des rencontres programmées 48 heures plus tard. Dans de tel délai, il est difficile de réunir tous les décideurs du Cap. Il est donc nécessaire d’expliquer les raisons de notre décision.

Comment des demandeurs de dialogue peuvent-ils refuser l’offre qui leur est faite ?

J.I : Nous sommes demandeurs d’un dialogue sans exclusive que nous avons même appelé états généraux de la nation depuis le 17 août 2012. Nous en sommes demandeurs bien avant 2009. On nous a servi ce que tout le monde sait : le Congo est un pays de dialogue permanent, Brazzaville, Ewo, Dolisie. Nous continuons à demander parce que les problèmes qui se posent sont d’une telle ampleur que les Congolais se doivent de parler. Nous ne sommes pas partis aux consultations parce que nous ne sommes pas appelés au dialogue.

Les consultations ne sont-elles pas un début du processus ?

J.I : Le communiqué de la présidence de la République est clair. La présidence invite la classe politique, les individualités, les associations, la société civile et les confessions religieuses à des consultations sur la vie de l’Etat et de la nation.

Les dirigeants du Cap ne veulent donc pas être consultés par le président de la République sur la vie du pays ?

J.I : Seriez-vous d’accord d’être consulté par un médecin pour une maladie dont vous ne souffrez pas ?

Le Cap n’est-il donc pas préoccupé par la vie de l’Etat et de la nation ?

J.I : La consultation n’est pas un dialogue. Elle vous donne l’occasion d’émettre un avis, mais vous ne décidez de rien. Or, le dialogue implique l’équilibre, l’échange. Il y a d’autres mécanismes pour consulter les gens sur la vie de la nation.

Dans les coulisses il se dit que ces consultations sont préalables à la convocation du dialogue.

J.I : On a déjà tout entendu dans les coulisses du palais. Nous attendons que le président annonce le dialogue. S’il y a un vrai dialogue convoqué par le chef de l’Etat, nous serons présents. Il y a beaucoup de points, mais seule la gouvernance électorale nous parait essentielle pour l’instant. Nous ne pouvons pas nous permettre de brûler ce pays en 2016. Il faut que les questions liées à la gouvernance électorale soient réglées afin que nous ayons un scrutin juste, transparent et équitable en 2016.

N’est-il pas paradoxal que l’opposition radicale refuse d’aller dire tout haut et directement au chef de l’Etat ce qu’elle ne lui transmet qu’à travers lettres ouvertes, meetings et conférences de presse ?

J.I : Le président sait ce que nous pensons.

Comment répondez-vous à Martin Mbéri qui a dit que moderniser la gouvernance électorale sans bousculer la constitution est une hérésie ?

J.I : Il est libre de penser que changer une loi électorale est nécessairement lié à la constitution. C’est justement à l’intérieur d’une constitution que les lois peuvent être faites. C’est la loi des lois.

Que dites-vous à ceux qui estiment que l’opposition radicale est un club de dictateurs qui veulent imposer leur volonté aux dirigeants et au reste des citoyens ?

J.I : Y’a-t-il un dictateur sans pouvoir ? Si un bébé impose ses points de vue, ce n’est pas un dictateur. Nous ne voulons pas imposer notre point de vue. Dans ce pays, il est de moins en moins possible de croire que la force suffit. Un président américain disait qu’il ne suffit pas d’avoir un marteau pour penser que tout problème est une pointe.

Êtes-vous d’avis avec Dzon qui plaide pour une transition après le dialogue ou avec Miérassa qui y voit un acte anticonstitutionnel ?

J.I : Il n’y a pas de dichotomie. Il y en a qui ont cru qu’Ewo et Dolisie allaient changer quelque chose. Ils ont été enfarinés. Si quelqu’un nous dit que voilà ce qu’on devrait faire pour que les décisions prises soient appliquées, nous examinerons.

Ne craignez-vous pas d’être incompris par l’opinion qui suit l’actualité nationale ?

J.I : Je crois que l’opinion est heureuse de notre refus de participer à ce qui n’est pas le dialogue.

Est-ce pour cela que vous êtes une opposition radicale ?

J.I : Il faut en être heureux parce que le radical, c’est ce qui a la racine. Cela veut dire que les autres ne sont pas de l’opposition.

Pour vous, tout ce que fait le pouvoir c’est non ?

J.I : Non est un mot qui a son sens. Il est même parfois un signe de volonté. Jean Paul Sartre disait : « la volonté c’est la nonontivite ».

Comment vivez-vous la fait que l’opposition radicale passe tout son temps à faire l’inventaire des défauts du pouvoir, alors que le président de la République n’a jamais osé réagir à cela ?

J.I : Vous pensez que le président de la République ne parle de l’opposition qu’en bien ? Le silence est en lui-même une façon de parler. Les critiques que nous faisons ne sont pas faites pour nous. Si elles permettent au pays de mieux se porter, tant mieux.

Êtes-vous sûrs que cette fois, votre boycott fera reculer le pouvoir, quand on sait que les mêmes attitudes vis-à-vis des concertations d’Ewo et de Dolisie n’ont pas empêché le pays d’avancer ?

J.I : Il faut plutôt se demander si le pays se porte bien en faisant « le chien aboie, la caravane passe». J’ai l’impression que le pays ne se porte pas bien.

Comment lisez-vous à ce stade l’avenir du pays ?

J.I : Les leaders politiques congolais jouent au dé avec l’avenir du pays. C’est de l’inconscience pure.

Que dites-vous en conclusion ?

J. I : Je souhaite que les dirigeants politiques comprennent que le pays est au-delà de leur personne. Que le vivre ensemble n’est possible que si nous respectons les règles communes. Au cas contraire, nous ouvrons une boite de pandore qui fera que le pays devienne de plus en plus ingouvernable.

Propos suscités par Ernest Otsouanga

Source Le Patriote