Joseph Kabasele, sa voix qui nous a tous exaltés et qui a magnifié l’amour s’est tue il y a 34 ans. Décédé à 53 ans le 11 février 1983 à Kinshasa, Kabasele est avant tout, pour nous, un mythe, un chanteur et chef de groupe. Le beau gosse à l’exceptionnelle voix veloutée de deux octaves et demie, est l’un des pères de la musique congolaise moderne.
Il y a 34 ans le Club Kalé de Brazzaville, sous la plume de Sylvain Bemba, lui a rendu un vibrant hommage. Ci-après quelques extraits :
« Kabasele-Tshamala : la mort d’Orphée. Lettre à un ami mort qui a vécu en chantant et chantait pour vivre.
Mon cher Kallé-Jeff. Il parait que les artistes, jamais, ne meurent. Alors, pourquoi ne pas t’écrire cette dernière lettre? A l’heure où la revendication de l’identité culturelle est à l’ordre du jour qui se lève à l’horizon, il est permis de rester fidèle à une certaine conception de la mort africaine. Celle-ci, on le sait, est vécue non pas comme une fin, mais comme un passage vers une autre forme de vie. Je te savais malade, très malade même, mais de là à imaginer que tu nous quitterais comme un contrebandier, à cette date fatidique du 11 février… Tu es passé de l’autre côté, et je n’ai même pas vu le passeur t’emporter sur l’autre rive. Ton oncle, le Cardinal Malula était venu annoncer personnellement ton départ sur les antennes de Télé-Zaïre, et moi je suivais sur l’autre chaîne, celle de Télé-Congo, un programme scientifique, « La planète bleue ». Pouvais-je me douter qu’à cette heure-là, tu t’envolais déjà vers ce « silence des espaces infinis » qui effrayait le philosophe, vers ces espaces à partir desquels l’intuition géniale d’Eluard a décelé en notre planète une belle « orange bleue ».
A propos d’intuition, quelque chose devait démanger la caboche de Clément Massengo, quand il s’est mis en tête de raconter à la radio l’histoire du « Club Kallé » dans l’émission hebdomadaire « Escale à Brazza ». L’histoire d’une amitié pure, désintéressée entre toi et nous, nous qui ne t’avons jamais demandé de nous citer dans une seule de tes chansons, nous qui ne t’avons jamais trahi. Entre toi et nous, la clef (de sol) était sur la porte, et cette dernière restait ouverte nuit et jour pour la fête des cœurs et la joie de l’esprit…
Je n’aurai probablement pas l’occasion de lire la presse écrite zaïroise, mais je peux te dire qu’en ce qui concerne les médias audio-visuels c’est un hommage unanime qui, de Brazzaville à Kinshasa est monté vers toi. Le mot qui est revenu le plus sur les lèvres des journalistes , c’est sans aucun doute le mot « monument ».
Pour mes confrères, tu es un monument de notre musique zaïro-congolaise, une figure de proue. Par-delà le style ampoulé des éloges funèbres, il y a du vrai dans cette image . S’il fallait s’en tenir au seul critère de la beauté du timbre de voix, la tienne est de la famille de celles qui font d’un chanteur un enchanteur…
Tes études terminées, tu entres dans la carrière prestigieuse des « kalaka » (clercs de l’époque). Tu n’y resteras pas longtemps.
A vingt ans, tu enregistres « Coco wa ngai » et « Valérie Regina ». Tu te découvres et on te reconnait une voix exceptionnelle. Et c’est-là que tout a commencé. Les concerts. Les enregistrements, Les voyages. La gloire. La légende d’Orphée, le chanteur qui charme tous ceux qui l’écoutent. La richesse aussi, car tes disques te rapportent beaucoup d’argent, il te file entre les doigts. Tu as le cœur gros comme le Pool-Malebo, et tu ne sais rien refuser à personne. Tes titres de gloire ne se comptent pas.
Tu as fondé le premier orchestre moderne dans ton pays. Tu es le premier à avoir introduit des tam-tams traditionnels dans la musique de variétés, le premier à avoir fait entrer le piano dans le cha cha cha congolais, le premier à avoir donné à l’indépendance politique de son pays une préface musicale. Tu as chanté l’épopée de Lumumba , puis sa mort.
En 1967, tu profites du sommet de l’O.U.A. à Léopoldville (Kinshasa) pour offrir à chaque chef d’Etats présent un 45 tours refermant une chanson-hommage à son pays. Soit, pour plus d’une trentaine d’Etats indépendants, autant d’airs qui ont des musiques différentes et des arrangements distincts. Ce qui donne toute la mesure de ton savoir-faire.
Lâché par tes musiciens, tu laisses tout tomber. On te croit fini. Ta réponse s’appelle l’African team avec Gonzalo et Dibango en 1970. Mais tu te dispense dans plusieurs projets, ce qui fait que tu ne peux en réaliser aucun. Une sorte de malchance qui ne te quittera pas jusqu’au bout de ton chemin terrestre. Même si tu as conservé intacts tous les trésors de ta gorge enchantée.
Cultivateur de sons, tu as tracé des milliers de sillons sur disques. Ces traces ne s’effaceront pas. Par elles, tu resteras vivant dans les mémoires. Tu as bien mérité de ta société et de ton époque quand on sait, selon un éminent sociologue, que la fin supérieure de l’art est de réconcilier, de calmer, d’harmoniser. Tu ne nous a quittés que pour être encore plus près de nos souvenirs. »
Clément Ossinondé