À l’avenir, aucun chef d’État africain ne pourra plus s’aviser de refuser le verdict des urnes. Si l’on avait accepté le maintien de Laurent Gbagbo au pouvoir, ce n’était plus la peine d’organiser des élections en Afrique.
* INTERVIEW – Le président sénégalais, Abdoulaye Wade, tire les leçons des événements de Côte d’Ivoire. Et tient à rappeler que les Africains ont joué un rôle de premier plan dans le rétablissement d’Alassane Ouattara à la présidence.
Quelles réflexions vous inspirent la chute de Laurent Gbagbo ?
Abdoulaye WADE. – C’est une très bonne chose. À l’avenir, aucun chef d’État africain ne pourra plus s’aviser de refuser le verdict des urnes. Si l’on avait accepté le maintien de Laurent Gbagbo au pouvoir, ce n’était plus la peine d’organiser des élections en Afrique.
L’action de la France, sous mandat de l’ONU, a été décisive. L’Afrique a-t-elle pleinement assumé son rôle ?
La communauté des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) s’est très tôt emparée de la question. Au début de la crise, nous nous sommes réunis à Abuja, la capitale du Nigeria. Tous les chefs d’État de l’organisation étaient présents, à l’exception du président de la Gambie. À l’unanimité, nous avons demandé à Laurent Gbagbo de partir et décidé d’utiliser éventuellement la force pour l’y obliger. Les chefs d’état-major de nos différents pays se sont réunis pour dresser des plans.
L’Union africaine, pour sa part, a mis longtemps à se décider. Les organisations régionales sont-elles mieux à même de réagir ?
L’Union africaine a entériné notre décision. Chacun d’entre nous, les chefs de l’État de l’Afrique de l’Ouest, avons appelé ceux de nos homologues africains avec lesquels nous avions les meilleures relations, pour les convaincre. Puis l’Union africaine a saisi le Conseil de sécurité de l’ONU, qui a donné mission à la France de détruire les armes lourdes de Gbagbo. La décision vient donc de nous, les Africains. Le président du Bénin, celui du Nigeria et moi-même avons été informés d’heure en heure par les autorités françaises.
Devait-on utiliser les Forces françaises jusqu’au bout ?
Il fallait aller vite. Si on ne l’avait pas fait, il y aurait eu beaucoup plus de dégâts et de morts. À la fin, la situation dégénérait. Les milices de Gbagbo s’attaquaient à tous les Ouest-Africains. Certains ont été brûlés vifs, dont des Sénégalais. Nous avons demandé le soutien de la France pour détruire les canons, tout en demandant à être informés de son action. Mais ce ne sont pas les Français qui ont arrêté Gbagbo, ce sont les Forces républicaines de Côte d’Ivoire d’Alassane Ouattara.
Toutes les voies de la négociation avaient-elles été épuisées ? Était-il vraiment impossible de convaincre Laurent Gbagbo de partir ?
Ce n’est pas faute d’avoir essayé. J’ai essayé dix fois de l’appeler au téléphone pour le décider à quitter le pouvoir. Il n’a jamais voulu me prendre à l’appareil. J’ai pu parler une fois à son aide de camp. J’ai du mal à comprendre son attitude.
Et maintenant, quel doit être son sort ? Doit-il être jugé ?
Je suis en rapport avec Alassane Ouattara, dont j’approuve la décision de présenter Laurent Gbagbo à la justice. Cela me paraît juste. Il va le garder en résidence surveillée pour donner le temps au tribunal de se préparer.
Mais il apparaît que des violences ont été commises par les deux côtés : la justice ne devrait-elle pas s’intéresser à l’ensemble des crimes commis en Côte d’Ivoire ?
Tout cela devra être clarifié. Qui a agressé, qui n’a pas agressé… L’action des troupes d’Alassane Ouattara s’inscrit dans la décision de la Cédéao. Certes, on n’a pas dit «Tuez les gens», mais on a dit «Utilisez la force.» Il a toujours été question d’utiliser les Forces nouvelles, devenues Forces républicaines. Cela ne posait pas de problème.
Allez-vous vous rendre en Côte d’Ivoire ?
Je ne veux pas interférer dans les affaires intérieures de ce pays. Mais j’assisterai certainement à la cérémonie d’investiture d’Alassane Ouattara.
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NOTE :
À Abidjan, la réaction des militants pro-Gbagbo ne s’est pas fait attendre. Certains d’entre eux ont aussitôt attaqué des Sénégalais dans le quartier de Treichville. Mais ce n’est pas la première fois que des civils paient pour les relations houleuses entre Gbagbo et Wade.
La première crise entre les deux pays éclate en janvier 2001, quand Wade déclare lors d’une conférence à Dakar : « Un Burkinabè souffre plus de racisme en Côte d’Ivoire qu’un Noir en Europe. » Puis, quand la tentative de coup d’État contre Gbagbo éclate en septembre 2002, nombre d’Ivoiriens favorables aux Forces nouvelles trouvent asile à Dakar. Le Sénégal octroie même un passeport diplomatique au chef de rebelles, Guillaume Soro. La chasse aux Sénégalais est ouverte à Abidjan, et Wade est obligé de dépêcher un avion pour évacuer ses compatriotes.
Laurent Gbagbo soutenait les rivaux de Abdoulaye Wade
Les confrontations entre Gbagbo et Wade dépassent donc largement le champ idéologique – le premier appartient à l’Internationale socialiste, le second à l’Internationale libérale. Et elles ont des répercussions sur la vie politique de leur pays respectifs.
En novembre 2010, juste avant le deuxième tour de la présidentielle, Wade invite à Dakar Henri Konon Bédié et Alassane Ouattara. Ce dernier affrète le même avion qui avait transporté Wade à Abidjan quelques mois plus tôt, en avril. L’affaire provoque un tollé à Abidjan, et Gbagbo rappelle son ambassadeur au Sénégal.
Selon des sources au sein du Front populaire ivoirien (FPI, ex-parti présidentiel), le clan Gbagbo s’apprêtait à financer Ousmane Tanor Dieng, du Parti socialiste sénégalais, à la présidentielle de 2012. Et Stéphane Kipré, le gendre de Gbagbo, est en étroite relation avec Macky Sall, l’ex Premier ministre sénégalais en rupture de banc. En avril 2009, leurs deux formations politiques, l’Union des générations nouvelles (UNG) de Kipré et l’Alliance pour la République (APR) de Sall ont notamment signé une « plateforme de coopération ».