Le baroud de la honte de l’un des derniers mammouths de la Françafrique

« Les Congolais ont la fortune à portée de main et pourtant, ils restent pauvres ; pardonnez-moi si cela vous choque, mais comment ne pas être attristé par un tel gâchis ? » -Nicolas Sarkozy.

Nous sommes à la croisée des chemins entre une république dérivant dans une opacité bafouant toutes les vertus de l’élégance démocratique et l’ambition de construire une république égalitaire incluant dans sa fonctionnalité la rigueur économique indue à une nation respectueuse des biens publics.

Le Congo-Brazzaville navigue depuis fort longtemps dans des eaux troubles où la limite entre le bien public et le bien privé n’a plus de sens, l’exécution des projets n’obéissant qu’aux caprices des entrepreneurs, la fraude et la corruption ayant pris le dessus sur les consciences des citoyens. Lorsqu’un chef d’Etat vient à défendre l’acquisition des biens obtenus en pillant les deniers publics de son pays, nous sommes là en présence d’une conception faillible de la république. Ce n’est pas seulement le chef de l’Etat qui a failli mais c’est la république qui souffre en cautionnant ces dérives destructrices. Plusieurs observateurs qui nous ont rapprochés témoignent du degré de perdition d’une société qui a baissé les bras devant l’adversité, se livrant à une prostitution morale et financière. Comme nous l’avions constaté dernièrement lors du passage de M. Sassou et sa délégation à Paris. La dépravation a atteint son paroxysme de l’humiliation montrant à quel point les congolais sont tombés si bas. On peut aujourd’hui très honnêtement se poser la question, qui parait d’ailleurs plausible, existe-t-il encore des congolais sains moralement et pouvant se prévaloir d’œuvrer pour une nation exemplaire ?

Il est évident que le clan Sassou est arrivé là où la plupart des congolais ne les attendaient point : La manipulation des consciences par des procédés mercantiles. Ils ont démontré qu’ils sont capables de tout, voler, piller, frauder, tant que les congolais seront aussi peu fiers d’eux-mêmes en acceptant de brader leur dignité. Conscients qu’ils sont rejetés, haïs et surtout impopulaires, mais dès lors qu’ils peuvent contourner cette difficulté en achetant la conscience des congolais, pourquoi voulez-vous qu’ils instaurent une république égalitaire ? En pillant nos richesses, ils ont constitué une manne qui leur permet de mieux nous maintenir dans un statut de mendicité morbide. Que ce soient les congolais de l’intérieur ou ceux de l’extérieur le constat est le même : Vendre sa dignité pour quelques billets de CFA ou euros. Lorsqu’on leur parle d’exemplarité, les réponses les plus surprenantes fusent : « opposition ya nzala », « On va nous aussi gratter », « C’est notre argent », « On va voler les voleurs »…

Cette insouciance frisant manifestement un dégoût de la politique observée chez bon nombre de congolais est  la résultante de l’immoralité qui plane au sein de la classe politique. Sans vouloir pour autant mélanger tous les congolais dans le même panier, force est de constater que même ceux qui se proclament de l’opposition ont eu une attitude des plus ambigüe. Comment comprendre les gens qui sont de l’opposition le jour ( à la manifestation) et se retrouver le soir aux lieux de distribution de ce que nous appelons aujourd’hui : le bakchich de la honte.

Dépourvu de toutes valeurs morales, qu’on se le dise, beaucoup de congolais se sont livrés au dépècement en quartier des fondements même de la république.

Valait-il la peine pour 50, 200, ou 300 euros tenter de crédibiliser une institution qui a comme principe de fonctionnement la division du peuple ? La plupart des média se sont délectés de cette  liesse en trompe l’œil réservé à M. Sassou Nguesso. Voici à titre d’exemple ce qu’écrit Le Pays,. un journal burkinabè dont le journaliste se demande pourquoi le président français « s’obstine à recevoir à la queue leu-leu tous les dinosaures de la Françafrique (…). Après Blaise Compaoré, Idriss Déby, Ali Bongo, Paul Biya, c’est au tour du président congolais (…) de fanfaronner sur le perron de l’Élysée. Pourtant, on sait bien que ce dernier est actuellement dans le collimateur de la justice française pour une affaire de biens mal acquis qui impliquerait du reste tous les proches de sa famille ». « Hollande dit être intraitable sur la date des élections au Mali, rappelle Le Pays. On s’attendait à ce qu’il se montre aussi « intraitable » vis-à-vis de certains chefs d’État africains jugés peu fréquentables »

Une vérité domine les faits, le président de la république du Congo a acheté sa popularité prouvant ainsi qu’il est un homme du passé, désavoué, mal-aimé par tout un peuple. Lequel peuple qu’il n’a pas hésité de traiter « éboueurs ». Quel estime peut-on avoir d’un responsable qui prétend avoir construit des hôpitaux, créer des emplois et que les congolais s’obstineraient à faire des petits boulot en France ? Ce qui est un gros mensonge !

Faut-il rappeler à M. Sassou Nguesso qu’il est celui qui a favorisé l’exode de plus 12.000 congolais à l’extérieur de leur contrée en 2000 (source HCR) ? Que c’est à cause de sa politique répressive et policière semant la terreur au sein des populations qui pour préserver leurs vies, certains choisissent de partir. Que c’est sa politique sociale discriminatoire laissant suffoquer le peuple sous le poids d’une misère indescriptible qui favorise l’exil. Que c’est l’absence d’une éducation moderne qui pousse les congolais à envoyer leurs enfants dans les universités nanties d’ailleurs. Que c’est l’accaparement de tous les leviers économiques du pays par son clan laissant au peuple le seul choix d’aller tenter leur chance loin de leur patrie. Que c’est l’absence des infrastructures sanitaires qui poussent la population de partir se faire soigner là où les conditions sont viables. Que dire des chiffres officiels du BIT (bureau international du travail) dans son rapport de 2012 rapportant que 61% de la population vivent au dessous du seuil de la pauvreté et seraient employés dans les métiers précaires.

Ce baroud d’honneur de l’un des derniers mammouths de la Françafrique usant du bakchich de la honte est loin de l’exemplarité d’une république égalitaire. Le bal des hypocrites réunis au sein du pompeux slogan « chemins d’avenir » venant exhiber leur pas de danse macabre à Paris avec leurs lots de snippers, miliciens et autres malfrats ont buté sur la volonté populaire de certains congolais encore immunisés du virus de la corruption.

Sur la piste de danse ou les seuls danseurs sont contraint de s’appuyer sur un parti politique avec une vraie doctrine qui a monopolisé le pouvoir au nom du clan contre la mise en place d’une nation juste refusant de se réformer et d’ouvrir le jeu à une saine concurrence dans les plus brefs délais.

Le diable est rentré à Brazza sans avoir réussi à sucer une seule âme et serait très en colère. Il y a de quoi, car la seule raison de cette visite était l’obtention de la cessation des poursuites judiciaires des BMA, or la France a  dit niet. Va-t-il s’entêter à vouloir modifier la constitution ? L’histoire nous le dira…..

Seulement le peuple n’est pas dupe et le ballet humiliant des défenseurs d’une politique qui a confisqué les richesses du pays au profit d’une famille et de ses clients sera clos tôt ou tard. Ce même peuple déjouera le piège de la violence que ne manqueront pas de lui tendre les fossoyeurs de la république.

JC BERI, Cette adresse e-mail est protégée contre les robots des spammeurs, vous devez activer Javascript pour la voir.

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LE PLUS. Le président congolais a été reçu par François Hollande. Au programme : une discussion sur la sécurité du continent africain. Tout cela pourrait être normal si Denis Sassou Nguesso ne faisait pas l’objet d’une enquête pour abus de biens sociaux. Eh oui, que sont ces fameux « biens mal acquis » ? Pourquoi Hollande aurait dû s’abstenir ? On en parle avec Dominique Bochel Guégan.

Le président Sassou Nguesso, en visite à l’Élysée le 8 avril 2013 (WITT/SIPA).

FRANÇAFRIQUE. Dans la famille des dictateurs, celui-là présente plutôt mieux que certains, moins sanguinaire paraît-il, moins de crimes, encore qu’il est difficile d’établir une échelle des dictateurs fréquentables ou non, du plus au moins sanguinaire.

Une visite controversée

Toujours est-il que Sassou Nguesso, « président » de la République du Congo a été reçu à l’Elysée ce lundi par François Hollande pour discuter de questions de sécurité sur le continent et des relations bilatérales entre nos deux pays.

Et là de me demander, fallait-il l’inviter ?

Question purement rhétorique puisque je suis bien convaincue que non et qu’entretenir des relations politiques, économiques ou stratégiques n’implique pas qu’on déroule le tapis rouge du Palais de l’Elysée.

Denis Sassou Nguesso pour ceux qui l’ignoreraient, c’est cet homme arrivé au pouvoir à la faveur d’un coup d’état, au pouvoir de 1979 à 1992 soit, 13 ans, et de retour au pouvoir depuis 1997, soit 16 ans. Faites le compte.

Sassou Nguesso, ce sont les cobras, ces milices privées sanguinaires, coupables d’exactions et de crimes, qui avaient défilé sous les yeux de Nicolas Sarkozy le 14 juillet 2010, sur la plus belle avenue de Paris. Nicolas Sarkozy qui n’avait pas hésité à se rendre au Congo pour soutenir la candidature de Nguesso en 2009 en s’interrogeant (sans rire) :

« Les Congolais ont la fortune à portée de main et pourtant, ils restent pauvres ; pardonnez-moi si cela vous choque, mais comment ne pas être attristé par un tel gâchis ? »

C’est vrai, on se demande bien pourquoi…

En toile de fond, le scandale des biens mal acquis

Sassou Nguesso, ce sont les scandales de corruption pour l’ex beau-père de feu Omar Bongo, tous deux chantres de la Françafrique. « France à fric », crimes économiques, abus de biens sociaux… un cocktail déjà explosif.

Une liste longue comme une semaine de famine, énumération scandaleuse d’appartements, de maisons bourgeoises, d’hôtels particuliers dans les plus beaux quartiers Parisiens et de voitures de luxe. Richesses indécentes amassées tout au long d’un régime favorisant un clan, une famille, celle de Sassou Nguesso

Un dirigeant tellement aimé de ses concitoyens qu’il est obligé de payer la claque à l’aéroport pour son petit bain de foule rafraîchissant.
Un chic type,  vous l’aurez compris.

Enfin, Sassou Nguesso c’est le scandale des biens mal acquis pour lequel Transparency International s’est porté partie civile, avec bien des bâtons dans les roues et même quelques représailles.

Autant dire, un homme simple, honnête, travaillant au bien de son peuple, dans une République exemplaire, transparente et totalement irréprochable.

Cette enquête des biens mal acquis vise non seulement Denis Sassou Nguesso, mais également Teodoro Obiang Nguema (Guinée équatoriale), le défunt Omar Bongo (Gabon) et leur entourage. Une enquête en filigrane de la visite faite à l’Elysée par Denis Sassou Nguesso, et que lui et François Hollande auraient évoquée selon le dirigeant Congolais, pas selon le communiqué de l’Elysée qui n’en pipait mot.

Oh bien sûr, Sassou Nguesso ce n’est ni Kadhafi, ni al-Assad, enfin il paraît.

François Hollande, dans la lignée de Nicolas Sarkozy

Les dictateurs, c’est surtout quand ils sont partis qu’on apprend réellement ce qu’ils étaient, mais que n’a t’on entendu sur la tente berbère du dirigeant libyen, ou sur la présence du Syrien sur les Champs-Elysées malgré les promesses de Sarkozy de « ne pas sacrifier l’homme à la mondialisation ».

Lors de la visite de ce si décrié dirigeant congolais en février 2012 à l’Élysée, le parti socialiste avait alors vigoureusement critiqué cette réception, il faut croire que les choses n’ont pas changé.

Realpolitik diront certains, qui mérite qu’on sacrifie sur l’autel de nos valeurs républicaines et démocratiques, un peu de notre naïveté et de notre idéal de démocratie.

Il n’empêche, en recevant à son tour Denis Sassou Nguesso, François Hollande envoie un signal une fois de plus brouillé. Il s’inscrit dans l’exacte continuité de son prédécesseur là où il nous avait promis la rupture (ah ce fameux changement). Après avoir fait défiler sa milice sur les Champs, la France reçoit Denis Sassou Nguesso, logique.

Une attitude de défiance

Recevoir cet homme corrompu, exemple parfait de ce qu’illusion démocratique et accaparement des richesses d’un pays peuvent produire de plus pourri, de plus vil, cela alors même qu’on vante au même moment le « choc de moralisation », c’est quand même extrêmement ironique.

François Hollande avait déjà refusé de se mêler des affaires de justice concernant Sassou Nguesso, à ce sujet il avait d’ailleurs déclaré que c’était l’affaire de la Justice et s’était bien gardé de s’en occuper. Mais cela aussi n’est plus tolérable, on ne peut plus continuer à accepter au nom d’intérêts économiques de laisser des dirigeants corrompus planquer les fruits de leurs pillages dans notre pays tout en détournant le regard.

Contrairement à l’avocat de Transparency International, je suis convaincue qu’accepter une telle visite n’envoie pas de signal d’indépendance de la justice à Denis Sassou Nguesso, mais plutôt celui d’une coupable indulgence de notre République face à ses exactions.

D’ailleurs, qu’a donc fait Denis Sassou Nguesso à la sortie de l’Elysée ? S’empresser de dénigrer cette même justice française en lui déniant « le droit d’enquêter » affirmant même qu’il s’agissait d’une entorse au droit de non ingérence. Merci de bien vouloir le laisser entasser ses richesses volées dans notre pays en fermant les yeux.

Venir jusqu’à l’Elysée serrer la main du président de la République française pour se payer notre tête et celle de notre justice, il fallait oser, il l’a fait et il a bien raison puisqu’on a même déroulé le tapis rouge français sur lequel venir s’essuyer ses pieds.

Question signal d’une « politique exemplaire » et d’un « choc de moralisation », on a vu mieux et surtout plus crédible.

Par Dominique Bochel Guégan.

Chroniqueuse société – Le Nouvel Observateur

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Les Biens Mal acquis par la famille Sassou

      • La découverte la plus spectaculaire se situe entre les Champs-Elysées et la plaine Monceau, dans le 8earrondissement de la capitale. Là, un hôtel particulier a été acquis le 15 juin 2007 pour la somme de 38,875 millions d’euros par une société civile immobilière (SCI). La même qui gère la luxueuse propriété du Président Sassou Nguesso à Marbella en Espagne, la fameuse Villa Compania, pour plus de 40,15 Millions d’euros, une villa rachetée au près de proche de Bolloré, la Villa Suzette du Vésinet (Yvelines).
      • Cette coquette demeure de 485 m2 était juridiquement la propriété de son frère Valentin, jusqu’à ce que, quelques semaines avant le décès de ce dernier à la fin 2004, elle soit cédée à une société de droit luxembourgeois aux actionnaires anonymes, reprise en 2006 par le Président Sassou Nguesso après avoir versé plus de 2 millions d’euros, le coût de ce magnifique château est de plus de 20 millions d’euros.
      • Les enquêteurs ont également répertorié un appartement de 9 pièces acheté à Paris (17e) en 2007 pour 7 millions d’euros par l’épouse du président congolais Antoinette Sassou Nguesso. Ils mentionnent aussi le logement de 10 pièces à 8 600 000 euros acquis en 2005 à Paris par leur fils Denis Christel, ainsi que l’hôtel particulier de 7 pièces avec piscine intérieure à Neuilly-sur-Seine acheté 8,15 millions d’euros en 2006 par Julienne, leur fille cadette.
      • En Janvier 2008, le président Sassou Nguesso a acquis à Madère au Portugal, une propriété luxueuse pour plus de 37 Millions d’euros, de même, notent les policiers, Wilfrid Nguesso, neveu du président congolais, règle le solde d’achat de 3 véhicules Aston Martin type DB9, une Lincoln Navigator, et une Escalade QX56, par un virement émis par Matsip Consulting (un chèque de 6 millions €), une société de droit luxembourgeois aux associés inconnus qui apparaît également comme propriétaire de la Villa Sardena, propriété du président Sassou Nguesso à Nice. En Novembre 2007, le président Sassou a acquis une Rolls Royce Phantom Bva année 2007, pour plus de 300 000 €.Dans leur élan, visiblement ébahis par leurs découvertes, les policiers ont étendu leurs investigations au domaine des voitures de luxe, qui n’était pas explicitement visé par la plainte. Chez les concessionnaires Mercedes, Bugatti ou Aston Martin, ils ont retrouvé ce qu’ils n’avaient pas forcément obtenu pour les Villas : les chèques et les virements ayant servi aux paiements.
      • La même enquête stipule, que les avoirs du président Denis Sassou Nguesso et de son clan, seraient estimés à un peu plus de 9,195 Milliards d’euros, pourtant Le salaire mensuel officiellement versé par l’Etat au président Sassou Nguesso n’est-il pas de 30 000 euros, comme l’indiquent d’autres sources?
      • Des investigations plus approfondies auraient dépassé le cadre de l’enquête préliminaire de police. Elles supposeraient l’ouverture d’une information judiciaire et la désignation d’un juge d’instruction. Une telle perspective a été écartée par la décision de classement, notifiée le 15 novembre par le parquet de Paris. Mais le dossier pourrait être rouvert si les associations parvenaient à déposer une nouvelle plainte, assortie cette fois d’une constitution de partie civile, comme elles en nourrissent le projet. Cette formule conduit automatiquement à la désignation d’un juge d’instruction.