Le Qatar entre au capital de Total au Congo

La compagnie nationale qatarie Qatar Petroleum va prendre 15% de la filiale d’exploration-production de Total au Congo-Brazzaville, a annoncé le groupe pétrolier français mercredi.

Après les hôtels de luxe et le PSG, la coopération franco-qatarie s’étend au pétrole. La compagnie pétrolière nationale qatarie Qatar Petroleum (QP) va prendre 15% de la filiale d’exploration-production de Total au Congo-Brazzaville, a annoncé mercredi le groupe français. Cette prise de participation, qui se fait via une augmentation de capital (1) de Total E&P Congo, permettra au géant pétrolier français de faciliter ses financements dans le pays africain, notamment son grand investissement de 10 milliards de dollars pour développer le gisement Moho Nord.

«Cet investissement traduit la volonté du Congo d’accueillir le Qatar comme nouveau partenaire et illustre par ailleurs l’engagement du Qatar à investir en Afrique», souligne Total dans un communiqué, mais sans donner de détail financier sur l’opération. La prise de participation de QP se fera via Qatar Petroleum International, sa filiale à 100% spécialisée dans les investissements stratégiques hors du riche émirat pétrolier et gazier.

Megaprojet

Total a lancé fin mars le projet offshore Moho Nord, à 75 kilomètres au large de la capitale pétrolière congolaise, Pointe-Noire. Il s’agit d’un mégaprojet: la production qui démarrera en 2015 devrait atteindre 140.000 barils par jour en 2017 pour un investissement de 10 milliards de dollars(2). Il vise à extraire le pétrole de gisements supplémentaires au sein du permis d’exploitation de Moho-Bilondo, où Total extrait déjà de l’or noir depuis 2008. Ce projet va renforcer encore les activités de Total au Congo-Brazzaville, où il est déjà le premier producteur d’or noir (avec une production de 113.000 barils équivalent pétrole par jour (bp/j) en moyenne en 2012). Total opère 10 des 22 gisements en production dans le pays, ce qui représente 60% de la production nationale.

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(1) – Augmentation de capital

L’augmentation de capital est, d’un point de vue financier, une vente d’actions dont le produit revient à l’entreprise, et qui va entraîner un partage des différents paramètres de l’entreprise : droit au dividende, au bénéfice, au boni de liquidation, aux capitaux propres, aux droits de vote entre les différents apporteurs de capitaux. Elle peut suivre différentes modalités : être en numéraire ou par apport d’actifs, consécutive à l’exercice de bons ou à la conversion de dette, être réservée ou non, avec ou sans droit préférentiel de souscription.

(2) – Un investissement de 10 milliards de dollars.

La part de l’Afrique dans la production du groupe devrait continuer à croître.

Total a annoncé vendredi le lancement de Moho Nord, un projet de 10 milliards de dollars à 75 kilomètres au large des côtes de Pointe-Noire, en République du Congo. « La mise en production est attendue en 2015 et la production devrait atteindre 140.000 barils équivalent pétrole par jour (bep/j) en 2017 », a indiqué Total dans un communiqué. Des puits « d’appréciation » et d’exploration, forés en 2008 et 2009, avaient confirmé à Total le potentiel de cette zone.

Si Total opère depuis déjà plusieurs décennies en République du Congo (il est le premier opérateur pétrolier du pays, avec 10 des 22 champs en production), les volumes annoncés sur le projet de Moho Nord représenteront pour lui, en rythme de croisière, deux tiers de barils de plus que sa production actuelle : 75.000 bep/j à l’horizon 2017, contre 113.000 barils/jour pour la quote-part globale du groupe français dans le pays l’an dernier. Total détiendra ainsi 53,5 % du projet Moho Nord, au côté de Chevron (31,5 %) et de la Société Nationale des Pétroles du Congo (15 %). Compte tenu de ce projet, les réserves additionnelles de pétrole sont estimées à 485 millions de barils équivalent pétrole, indique le pétrolier.

Offshore profond

« Avec ce lancement, la visibilité sur l’objectif de croissance des productions du groupe est à nouveau renforcée », a estimé, dans le communiqué, Yves-Louis Darricarrère, président de la branche exploration-production de Total. Le groupe pétrolier, qui a vu sa production d’hydrocarbures reculer de 2 % l’an dernier (à 2,3 millions bep/jour), espère renouer avec une croissance de sa production, de 2 à 3 %, dès cette année (« Les Echos » du 14 février). L’Afrique reste à cet égard la zone la plus dynamique pour l’exploration pétrolière de Total : en 2012, la production d’hydrocarbures y a crû de 8 %. La part de l’Afrique (31 % l’an dernier) devrait d’ailleurs continuer à croître : en 2011, le groupe misait sur une croissance annuelle moyenne proche de 5 % d’ici à 2015.

Parmi les 34 grands projets de la branche amont du groupe qui doivent être lancés d’ici à 2017, celui de Moho Nord fait partie des 5 projets en offshore profond – les autres sont au Nigeria, en Angola et au Royaume-Uni. A 2,8 milliards de dollars cette année, le budget du groupe consacré à l’exploration est en hausse de 10 %, après, déjà, une progression de 20 % sur l’année précédente.

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Pétrole: le grand retour des fusions-acquisitions


Les compagnies pétrolières ont toujours besoin de grossir, d’afficher de la croissance et cherchent à se positionner sur les gisements les plus prometteurs. Racheter un concurrent est souvent le meilleur moyen d’y parvenir.

Les banquiers d’affaires spécialisés dans l’énergie se frottent les mains. S’il est un secteur à sortir du lot dans un marché des fusions-acquisitions globalement morose, c’est bien le pétrole : la valse des milliards y a battu en 2012 tous les records. Le montant des transactions a atteint 402 milliards de dollars, selon l’étude annuelle réalisée par Ernst & Young, soit davantage que les 337 milliards de 2011 et que le précédent record de 393 milliards de 2010. Au total, 1.616 deals ont été annoncés l’an dernier. Parmi eux, les spectaculaires acquisitions de TNK-BP par Rosneft, en Russie, pour près de 60 milliards de dollars, ou du canadien Nexen par le chinois CNOOC, pour 15 milliards de dollars. Le rythme s’est certes un peu ralenti au début de 2013, essentiellement marqué par l’achat, par Shell, des activités de GNL (gaz naturel liquéfié) de Repsol, pour 4,9 milliards de dollars, ou de l’américain Berry Petroleum par son compatriote LINN Energy, pour 4,2 milliards de dollars. Les moteurs fondamentaux du marché n’en restent pas moins suffisamment puissants pour que les deals continuent à se multiplier. Les compagnies ont toujours besoin de grossir, d’afficher de la croissance, de se positionner sur les « thèmes porteurs ». Et le recul du cours du brent ces dernières semaines, tombé de 112 dollars le baril en 2012, à 104 dollars hier, pourrait peser sur la valeur des cibles potentielles et fournir des occasions en or.

Non que l’heure soit au retour des mégafusions. Les majors pétrolières, ExxonMobil, Chevron, Shell, BP ou Total, ont une taille suffisante pour supporter les lourds investissements nécessaires dans le secteur. Elles sont aussi réticentes à engager des opérations difficiles à digérer. Affaibli après la marée noire dans le golfe du Mexique, BP a vu sa valorisation fondre de moitié en 2010 : les marchés ont retenu leur souffle, mais aucune des autres n’a finalement lancé l’assaut. L’épée de Damoclès des amendes et indemnités remplace, il est vrai, la plus efficace des pilules empoisonnées…

Seules les compagnies nationales de pays émergents, soucieux de sécuriser leurs ressources en hydrocarbures, seraient susceptibles de lancer des opérations à plusieurs dizaines de milliards de dollars : ce sont bien à des sociétés russes et chinoises que l’on doit les deux plus grosses transactions de 2012. Après avoir dépensé 34 milliards de dollars en acquisitions l’an dernier, selon Dealogic, les trois grandes compagnies chinoises, CNPC (qui détient PetroChina), CNOOC et Sinopec pourraient cependant marquer le pas. Selon Neil Beveridge, analyste chez Bernstein Research à Hong Kong, elles ont levé des milliards de dollars sur les marchés obligataires ces dernières semaines : leur taux d’endettement atteindra un niveau de 50 % cette année, bien supérieur aux 20-30 % affichés par les majors occidentales (1). Leur appétit pourrait en outre être freiné par les réticences occidentales. Lorsqu’il a accepté, après d’intenses débats, que CNOOC achète Nexen, le gouvernement canadien a été très clair : ce type d’investissement restera sous contrôle. L’échec du même CNOOC à reprendre l’américain Unocal en 2005, suite au refus du Congrès, reste dans les mémoires.

Ce sont donc des transactions de taille plus modeste – à plusieurs milliards tout de même – qui devraient constituer l’essentiel du marché. Les majors sont à l’affût. Leurs politiques d’exploration plus audacieuses n’ont pas encore porté leurs fruits : elles ont toujours du mal à inverser le déclin de leur production et à renouveler leurs réserves. « Toutes les petites compagnies agiles, qui ont fait d’importantes découvertes récentes grâce à des géologues géniaux, constituent des cibles potentielles », estime Denis Florin, associé chez Lavoisier Conseil. Et ce, d’autant que les coûts d’exploration et de production recommencent à battre des records. Plusieurs de ces sociétés font l’objet de rumeurs récurrentes. Les analystes de la Deutsche Bank ont rappelé la semaine dernière que le turc Genel Energy ou les britanniques Premier Oil et Cairn Energy constituaient des cibles crédibles, fortes de leurs succès au Kurdistan irakien, en Asie ou encore en mer du Nord. En particulier, l’indien Vedanta s’intéresserait à Cairn Energy, dit-on, après avoir déjà acheté sa filiale indienne en 2011. Le français Maurel & Prom, actif en Afrique et en Amérique latine, est aussi régulièrement l’objet de rumeurs. Les britanniques Afren, Tullow Oil ou BG Group, les américains Anadarko ou Noble Energy, ou encore l’australien Santos, font de même partie de ces compagnies convoitées, pour avoir découvert des gisements prometteurs au large du Nigeria, du Ghana, du Brésil, du Mozambique, d’Israël ou encore de l’Australie. « La logique de ces petites sociétés d’exploration est le plus souvent de se faire racheter. Car elles cherchent à valoriser leurs mérites, et n’ont pas les compétences ou le financement pour le développement, rappelle Anne Pumir, analyste chez Natixis. Ce phénomène a repris de l’ampleur avec les découvertes récentes dans des zones nouvelles. »

Les gaz de schiste en Amérique du Nord, les sables bitumineux au Canada, les champs présalifères du Brésil, les « marges abruptes » du Ghana, ou encore l’Afrique de l’Est et la Méditerranée suscitent ainsi désormais les convoitises. Le GNL provoque aussi beaucoup d’intérêt. On a même pu voir des batailles acharnées s’engager sur certaines pépites, comme l’an dernier sur le britannique Cove Energy et sa participation convoitée dans un champ au large du Mozambique. En concurrence avec Shell, c’est finalement le thaïlandais PTTEP qui a emporté l’affaire, pour près de 2 milliards de dollars.

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Journaliste au sein du service Industrie des « Echos »

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Les points à retenir

Plus de 1.600 deals ont été annoncés l’an dernier dans le secteur pétrolier. Le montant cumulé de ces transactions s’élève à 402 milliards de dollars. Un record.

L’époque n’est plus aux mégafusions qui avaient rythmé la fin des années 1990 et le début des années 2000.

Ce qui n’empêche les majors pétrolières de s’intéresser à de petites compagnies comme Premier Oil, Cairn Energy, Tullow Oil ou BG, qui ont fait d’importantes découvertes récentes.

(1) « Higher debt at China oil giants could slow M&A activity », Yvonne Lee, WSJ.com, 6 may 2013.