« L’héritage »

centre-hospitalier-en-afrique-300x157-1738114Par  Cédric MPINDY  ( (La ballade des idées)

« L’héritage »

L’homme était un cadre de la société des Potasses du Pays de Tous les Possibles, il venait de s’en aller suite à une crise d’asthme au Centre hospitalier scolaire de Back to Roots, par manque de Ventoline et d’oxygène.

Ce qui était assez surprenant pour un si grand centre hospitalier de manquer de Ventoline et surtout d’oxygène, pour une ville qui dépasse en permanence les pics et seuils de pollution ! C’était triste, mais hélas, Thomas Akimy Charghes, n’était pas le seul à subir les affres du dénuement des hôpitaux du Pays de Tous les Possibles.

Chaque jour de la semaine venait dispenser son obole de malheur par un décès dans plusieurs familles. Dans la campagne profonde, la moisson funeste était moins forte, que celle des grandes villes de ce pays de contrastes. Ce n’était pas encore la Peste de Camus, mais presque ou tout comme, au croisement de l’avenue de la désolation médicale et du boulevard de l’hécatombe sanitaire.

Son décès fut hélas presque instantané entre le moment de sa crise et son admission dans ce centre hospitalier, où il avait été installé, étendu sur une natte à même le sol, en l’absence de lit disponible, dans une chambre puante, déjà occupée par quatre malades aux pathologies non diagnostiquées.

Cette chambre, aux murs délabrés sur lesquels se livrait une compétition d’escalade les cancrelats et les araignées amusés par une ampoule à baïonnette, qui subitement s’allumait en plein jour comme un soleil à minuit, pour s’éteindre sept minutes plus tard, signe que l’électricité venait de subir un ajustement et une cure de délestage, était réservée aux malades de haut standing social.

Un ventilateur aux pales métalliques, souriait dans un coin, recouvert de poussière et de toiles d’araignée, un état qui attestait de sa vétusté et de l’insalubrité qui régnait dans cette chambre où une chaleur étouffante assommait le malade par une étreinte langoureuse et éreintante de sudation accélérée.

Dans un angle de la chambre, une fourche d’arbre servant de tige porte perfusions, s’offrait du bon temps, dans l’attente d’une reprise de service avec l’arrivée éventuelle des médicaments prescrits, mais pas toujours accessibles car très onéreux.

Le sol dépoussiéré par les dos des malades à force de se retourner de douleurs, offrait peu d’espace de convivialité aux fourmis, à la quête des miettes d’aliments qui n’avaient pas été correctement nettoyées.

Le service de nettoyage était bien souvent assuré par les membres de famille des malades.

A défaut de noblesse, récession et rupture asymétriques obligent, la société en charge de ce service n’ayant pas été payée pour ses prestations, n’assurait plus qu’épisodiquement son office. Un semblant de propreté qui tenait plus de l’à peu près, que de l’hygiène vraiment attendue en milieu hospitalier. Un endroit où il est courant que les maladies nosocomiales fleurissent au printemps du non-respect des règles simples d’hygiène.

Ah ce Pays de Tous les Possibles ! Ici et maintenant se confirmait chaque jour cette formule souvent citée par tous ses habitants en guise de consolation et de bouée d’espérance, « tout va bien par la grâce de Dieu! ». En effet les conditions de ce grand centre hospitalier scolaire de Back to Roots, pas encore qualifié pour être universitaire, étaient un témoignage éloquent qui laissait plus d’une personne ayant séjourné dans cet hôpital ébahi.

Subir un acte chirurgical dans un tel environnement médical et en ressortir vivant, sans une infection supplémentaire relevait tout simplement du miracle. Mais au Pays de Tous les Possibles, les miracles sont permanents, souvent renouvelés, voire fabriqués et pour finir, éternels comme les diamants.

Et c’est sur cette natte défraîchie, la poitrine comprimée par une respiration hoquetante, par manque d’oxygène, qu’agonisait Thomas, le corps secoué par des spasmes, tel un diable irrité à une aspersion d’eau bénite. C’est donc dans une souffrance lancinante qu’il rendit l’âme, dans un dernier instinct de survie pour se raccrocher à la vie. Le passage vers l’orient éternel n’étant pas toujours hélas un voyage aisé pour certaines âmes !

Une chose était sûre, son âme était enfin libérée de sa prison corporelle, surtout des affres et caprices de ce Pays de tous les Possibles.

La société des Potasses au sein de laquelle il travaillait, compte tenu du temps relativement bref, n’avait pas pu réunir toute la paperasse exigée par le consulat pour obtenir son évacuation sanitaire vers la France. Une évacuation qui lui aurait certainement sauvé la vie.

Thomas Akimy-Charghes, venait de quitter les attachements de la chair et la terre des hommes, laissant une veuve et trois enfants en bas âges.

La veillée mortuaire organisée au domicile du défunt dans le quartier « Fraternités » fut assez tendue, car des non-dits planaient sur ce décès.

Et la famille du de cujus bouillonnait comme une cocotte-minute sous pression, certains membres avaient les aisselles qui suintaient d’exaspération et les yeux complètement rougis par les raisins de la colère.

À suivre…

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Cédric MPINDY  (La ballade des idées)