A la tête de cette formation musicale, Franco montrera de grandes qualités de meneur d’hommes, s’imposant par ailleurs à tous comme le plus grand patron de la musique congolaise, le TF OK Jazz étant perçu comme le plus grand orchestre du pays.
Luambo Makiadi parviendra à ce résultat grâce, notamment, à des qualités de visionnaire éprouvées.
On ne connaît la vraie valeur d’une chose que quand on l’a perdue, dit-on. 22 ans après la disparition de Luambo Makiadi Franco décédé le 12 octobre 1989 à Namur, en Belgique, les mélomanes congolais appréhendent à sa juste mesure la grosse perte subie par la musique congolaise.
Certes, affirme-t-on, chaque homme ici sur terre est une pièce unique et, à ce titre, irremplaçable. Mais, dans le domaine de l’art, par exemple, un artiste peut en faire oublier un autre. On ne saura le dire du Grand Maître Franco plus regretté aujourd’hui que jamais. Qui saurait, autant que lui, peindre les vices et autres travers de ses semblables en Rd Congo et, au passage, nous dérider, nous dilater à rate ?
Meneur d’hommes et visionnaire
Quand, le 6 juin 1956, chez OK Bar, le sanctuaire d’Oscar Kashama. Luambo François alors âgé de 17 ans crée le groupe OK Jazz avec les Longomba Vicky, Lubelo de la Lune, Bosuma Dessoin, Kouka Célestin, Edo Nganga et autres Pandy Saturnin, nul ne sait imaginer que le natif de Sona-Bata, dans le Bas-Congo, trônera quelques années plus tard sur le toit de la musique congolaise. Et pourtant. Par la force des choses et de l’histoire, Franco restera le seul patron de l’0K Jazz qu’il appellera le « Tout-Puissant » OK Jazz.
A la tête de cette formation musicale, Franco montrera de grandes qualités de meneur d’hommes, s’imposant par ailleurs à tous comme le plus grand patron de la musique congolaise, le TP OK Jazz étant perçu comme le plus grand orchestre du pays.
Luambo Makiadi parviendra à ce résultat grâce, notamment, à des qualités de visionnaire éprouvées. Il le montrera surtout quand, pour donner un nouveau tournant à sa musique et à son orchestre, il fait recours à du sang Fiesta c’est-à-dire, à l’école African Jazz à travers des musiciens comme Mavatiku Michelino, Ntesa Dalienst, Josky Kiambukuta, Sam Mangwana, Ndombe Opetum… qui ont indéniablement donné un nouveau souffle au TP OK Jazz.
Contrairement à nombre de musiciens de sa génération envoyés à la trappe par le temps, Franco de 1956 à sa mort en 1989, est demeuré actuel, inusable.
Molière à sa manière
A la manière de la comédie qui corrige les moeurs par la rue, Luambo Makiadi a régulièrement usé de son humour sarcastique pour peindre la société congolaise. D’aucuns l’ont dit mysogine ? « De Mi Amor a mis les hommes également – et de manière tout aussi impitoyable – dans son collimateur.
Il est vrai qu’avant de s’ériger en peintre impitoyable de ses semblables, Luambo Makiadi a commencé par chanter l’amour à l’instar du commun des disciples d’Orphée en Rdc et sous d’autres cieux. Et avec bonheur, à l’image de son « Bolingo wa ngai Beatrice », pour ne citer que ce titre de son début de carrière. Mais, à cette époque déjà, il s’intéresse à la société congolaise. Aussi dans sa chanson intitulée Lopango ya bana na ngai, Luambo évoque-t-il le droit pour les enfants d’hériter des biens de leur père décédé.
Le guitariste auteur compositeur met aussi en exergue son attachement à la terre de ses ancêtres « Likambo ya mabelé ». Autant qu’il stigmatise la sorcellerie « Kindoki kisangamene », comme son frère cadet, Siongo Bavon Marie-Marie, avait eu à le faire à travers la chanson « Libanga na libumu » sortie avec le groupe Negro Succès. Sans doute que L’Okanga Lwa Dju Pene Luambo Makiadi s’inspirait de la situation au sein de sa propre famille élargie pour fustiger la sorcellerie. Mais, passons.
Chantre de l’amour entre autres sujets à l’image de ses pairs de la scène musicale au pays, Franco alias Oncle Yorgho a prévenu l’opinion dans le disque réalisé avec Tabu Ley Rochereau dans le cadre de ce que les deux ont appelé « Lisanga ya Banganga », Monoko eboya koyemba lamulu, monoko elingaka kaka vérité », dit-il dans la chanson « La lettre au DG » Sa bouche renonce donc à chanter l’amour au profit de la vérité. C’est-à-dire, aux faits, rien qu’aux de société aux comportements de ses semblables.
Dans la foulée, Luambo Makiadi passe au crible les travers et toute mauvaise conduite observée chez la femme et l’homme.
Surpris de voir une femme repousser ses avances, il compose la chanson intitulée « Non », l’occasion de dénoncer ces femmes moins belles qui se constituent en barrière face aux hommes qui courtisent leurs amies les plus jolies.
Dans « Mamou », c’est la femme mariée infidèle qui est clouée au pilori. Quant au titre « Makambo ezali minene » c’est un véritable tableau où Franco donne l’impression de passer du coq à l’âne à chaque couplet. Que non.
L’œuvre est, en réalité, un ensemble de tableaux juxtaposés où peint des situations diverses. En commençant par une femme abandonnée par son man parti à l’étranger « Tu envoies l’argent certes, ce qui importe » moi c’est la présence, lance à son époux cette femme qui, dans un lieu mortuaire, pleure non pas le mort mais, la longue absence, plutôt, de son mari.
Plus loin dans la même chanson, il s’agit tour à tour de la femme qui participe à une ristourne mais, qui rechigne à honorer ses engagements vis-à-vis de ses partenaires. Il y a aussi cette femme-là qui détourne l’argent lui confié par des amies pour acheter pour leur compte des tissus wax en Hollande.
D’autres situations non moins caustiques complètent le tableau, faisant de « Makambo ezali minene » une oeuvre unique en son genre et caractéristique du peintre Luambo Makiadi Franco.
Les hommes ont aussi eu leur tarte. La chanson « Mario » parle d’un jeune homme bardé de diplômes mais, qui préfère faire le gigolo. A l’inverse du titre « Très fâché » où il est dénoncé l’infidélité de l’épouse qui entretient des « petits poussins » (amants trop jeunes), dissipant au profit de ces derniers le budget du ménage…
Dans «La vie des hommes», c’est une épouse qui se la monte. Son mari s’est offert une maîtresse qu’il soigne aux petits oignons au détriment de son propre foyer. Quand il pleut, par exemple, l’homme choisit d’aller chercher en voiture les enfants de sa maîtresse en ignorant les siens propres qui étudient dans la même école.
Que dire de « Très impoli » où Luambo décrit une panoplie de comportements en porte-à-faux avec le savoir-vivre en société ? Ce n’est là qu’un petit échantillon de chansons qui traduisent le génie du Grand Maître Franco et qui l’ont consacré comme un grand peintre de la société congolaise.
Franco a chanté aussi la vie en couple et ses problèmes à travers «Matata ya muasi na mobali». Il s’est attaqué à l’homme qui, devenu riche, s’obstine à chercher pour maîtresses les enfants mineures de ses amis (muana moninga aleka, kamata bonbon).
On ne saurait ici décliner tout le répertoire. C’est pour cela que nous le pleurerons toujours, notre Molière congolais. Pour tout le bonheur et la bonne humeur qu’il nous a procurés, nous ne cesserons de lui dire « merci ». En essuyant un filet de larme au coin de l’œil…
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