P A U L   K A M B A: Un grand précurseur de la musique congolaise moderne

paul-kamba-238x300-7135964 Paul KAMBA grand musicien congolais 1912-1950

 Par :  Clément OSSINONDE

– Après la dénomination en 1953 par la Municipalité de Brazzaville d’une rue Paul Kamba (sur la demande de François GANDOU, syndicaliste CATC) dans l’arrondissement n°3 Poto-Poto.

– L’exhumation en Mars 1974 par l’UNEAC (Union nationale des écrivains et artistes congolais) de la dépouille de Paul KAMBA de l’ancien cimetière de Moukounzi-Ngouaka à Bacongo, pour le cimetière du Centre ville.

– L’appellation le 19 Avril 1981 par le Ministère de la culture et des arts  de : l’Ecole Nationale des Beaux-arts, Paul KAMBA.

 Le mois d’octobre 2000 a vu l’organisation, par le Ministère de la culture  et des arts chargé du tourisme, de la première Edition Challenge Paul Kamba 2000. Cette activité musicale d’une grande compétition avait regroupé 45 orchestres amateurs dont trois ont été retenus en finale comme étant à cette époque les meilleurs : 1°- LEKOLI Universel (genre tradi-moderne) – 2° SUCCES Vendôme (Genre Ndombolo) – 3° MAGESTIC Bamba (Genre Afro-cubain) – 4° Prix spécial pour l’orchestre O.P.H. Lokito (orchestres des handicapés) . Tant d’autres challenges se sont organisés en mémoire de Paul KAMBA au fil des années.

Ces initiatives très significatives ont été saluées avec satisfaction par la jeunesse et les musiciens congolais et  ont permis effectivement à mieux connaître le précurseur de notre musique moderne, dont nous présentons ci-après la vitalité et la richesse  de ce qu’a été son œuvre.

Le phénomène de  « Musicien Individuel » Précurseur de la musique moderne

C’est dans les années 30 que s’est hissé sur la scène congolaise des « musiciens  individuels » et précurseurs de la musique congolaise moderne. Il s’agit ici, des chanteurs, accordéonistes, guitaristes, etc., doués de qualités de bon musicien, artiste talentueux, ayant certaines dispositions innées ou acquises leur permettant de se produire individuellement.

Dans cette catégorie, il faut noter les compositeurs des chansons élaborées sur diverses scènes de la vie ; comme Albert LOBOKO, Paul KAMBA, Bernard MASSAMBA « Lebel »…. pour la rive droite du Congo, et Antoine KOLOSOY « Wendo », Adou ELENGA, MANOKA Souleymane « De Saio »…pour la rive gauche

La structure de leur musique comportait déjà les quatre éléments essentiels de toute musique : l’harmonie, la sonorité, la mélodie et le rythme. Les instruments marquant le rythme avaient une grande importance.

L’influence de Pau KAMBA à cette époque fut très grande et on peut dire que c’est lui qui introduisit à Brazzaville et même à Léopoldville (Kinshasa), la musique vocale basée sur les nouvelles techniques modernes.

Paul KAMBA, en effet, a façonné à son image, un groupe qui est considéré à juste titre comme celui qui a donné le ton à un genre de création collective où chaque musicien s’exprime selon son talent et selon l’instrument avec lequel il joue. Un genre de musique qui, grâce à sa nouvelle forme instrumentale et vocale s’est libérée de la catégorie des « musiciens individuels » ; entendu au sens d’une reproduction fidèle des formes modernes (qualité de l’harmonisation, diversité dans l’instrumentation)

Paul KAMBA : Une vie pleine de force expressive.

Né à Mpouya,  (Congo Brazzaville) le 12 Décembre 1912, Paul KAMBA a fait ses études à  l’Ecole Jeanne d’Arc de Brazzaville, à l’issu desquelles il tente sa chance à Léopoldville où il commence à travailler en qualité de commis des P.T.T. C’est là que s’affirment en même temps ses connaissances en musique, particulièrement à la guitare où il s’était intéressé à jouer très jeune à l’Ecole Jeanne d’Arc.

De retour à Brazzaville en 1932, alors qu’il n’avait que vingt ans, il occupe successivement des emplois au Service des Mines et des Affaires Economiques. Il donne le meilleur de lui-même dans toutes les tâches que lui confère l’administration coloniale. Sa passion pour la musique ne l’empêche pas pour autant à aimer le football où il fut un excellent arbitre central de l’époque où le Stade Eboué de Brazzaville constituait le grand sanctuaire du football congolais.

En 1935, naît le groupe musical « Bonne Espérance » que l’organiste Albert LOBOKO (collègue de classe de Paul KAMBA à l’Ecole Jeanne d’Arc de Brazzaville) porte sur les fonts baptismaux, avec Raymond NGUEMA, Joseph BOTOKOUA et Bernardin YOKA. C’est pour LOBOKO, l’occasion de découvrir le

banjo.

Le groupe se produit « Chez Mamadou Moro » et au Cercle culturel catholique de Poto-Poto (Brazzaville) ; c’est la consécration pour son chef LOBOKO. Paul KAMBA arrive dans « Bonne Espérance », en 1935, de retour de Mindouli où il travaillait. Il apporte son savoir faire, en créant un langage neuf et expressif dans ce qui constituait à cette époque là, l’un des premiers groupes avec instruments à cordes et à clavier. Hélas ! L’affectation d’Albert LOBOKO à Pointe-Noire, peu après l’éclatement de la seconde guerre mondiale,  provoque la mort de « Bonne Espérance ».

1941 –  Création du groupe « Victoria Brazza » :

Le premier orchestre de musique moderne au Congo

Ce que voyant, en Août 1941, Paul KAMBA, qu’entouraient les musiciens Henri PALI « Baudoin »Jacques ELENGA « Eboma », Jean ODDET « Ekwaka », François LIKUNDU, Moïse DINGA Philippe MOUKOUAMI, Paul MONGUELE, François LOKWA, Paul WONGA, Joseph BAKALE, Auguste BOUKAKA,

assurent la relève en formant : VICTORIA BRAZZA dont la section rythmique était équipée d’une grosse caisse, d’un « patengué » (tambourin avec cadre rectangulaire en bois), d’un « likembe »(ou « sanza »), d’un accordéon, d’une guitare, d’une mandoline, d’un banjo, d’une raclette et des grelots.

Outre les cofondateurs, le Victoria Brazza a connu plusieurs musiciens qui se sont relayés au fil des années ; parmi lesquels : Samuel VEMBA Hyppolite ITA, Australien ITOUA, ATENGANA, EBALE BONGE, Raphaël LOULENDO, Auguste NGAPELA, Albert IBELA, Bertin KOUTOUPOT, Jean OBA, Dominique OKONGO, Gabriel MALANDA, Charles MVOULA, et tant d’autres.

Doté d’une faculté de création extraordinaire, Paul KAMBA a créé avec son groupe, un genre typique plein de charme dans lequel il s’était imposé auprès du public et des musiciens, comme un virtuose du solo. Il connaissait le chant sous toutes ses formes et était capable de s’en servir pour divers thèmes. Il a d’ailleurs publié plusieurs partitions musicales dans la revue culturelle « Liaison » paraissant à Brazzaville.

Heureux d’avoir rencontré deux associations féminines : « Anonyme » et « Bonne Espérance », celles-ci accompagnaient  désormais le VICTORIA BRAZZA. Trois chanteuses ténor étaient particulièrement appréciées dans les deux associations : Gabrielle MALEKA, l’épouse de Paul KAMBA, (mariée religieusement en 1949) Anne MBASSOU et IBEA qui ont longtemps impressionné des nombreux mélomanes. Le groupe  VICTORIA BRAZZA passe beaucoup de temps à affiner sa musique, ce qui ne l’empêche pas de se produire régulièrement  à Léopoldville (Kinshasa) et de s’imposer dans cette ville qui regorgeait d’excellents musiciens.

Paul KAMBA a particulièrement connu un immense succès bien avant  ses illustres cadets  Antoine KOLOSOY WENDO et ADOU ELENGA, surtout dans ce qui a été le climat sonore de sa musique, la rythmique et le timbre des voix ; deux choses qui atteignaient le grand public, le touchait, l’envoûtait et le bouleversait

1943 – Signe d’amitié et d’amour du métier : Paul KAMBA et Antoine WENDO 

1943 – Le renforcement des liens d’amitié que s’étaient tissés Paul KAMBA et Antoine KOLOSOY WENDO, va amener ce dernier  en signe de solidarité, à créer à Kinshasa sur le modèle de Victoria Brazza, son groupe répondant au nom de « VICTORIA KIN ». Doué d’une vive sensibilité musicale WENDO se révéla comme un pédagogue populaire. On retiendra de lui le sens de la morale, mais surtout le lyrisme chaleureux plein d’élégance dont il a fait preuve dans plusieurs chansons et particulièrement dans la plus belle composition de la discographie d’Henri  BOWANE : « Marie Louise »  chantée par un dialogue alterné de voix avec Henri BOWANE en 1948.

Néanmoins, il faut noter que les deux groupes, à savoir : VICTORIA BRAZZA et VICTORIA KIN eurent plusieurs occasions de se produire ensemble à Brazzaville comme à Kinshasa – à la grande satisfaction des congolais des deux capitales – après plusieurs tentatives fructueuses et enrichissantes, dans le contexte en pleine mutation à l’époque : l’Instrumentation et le Rythme.

1948 – La rencontre Paul KAMBA et l’Editeur grec des Editions « Ngoma »    Nico JERONIMIDIS

1948 – Paul KAMBA rencontre à Léopoldville (Kinshasa) l’un des premiers éditeurs du Congo Belge, auprès de qui il fera l’une des expériences les plus décisives de sa carrière ; l’enregistrement aux Editions « Ngoma » de quelques disques caractéristiques du style vocal et instrumental du groupe, en compagnie d’excellents musiciens dont le génial Jacques ELENGA « Eboma » qui, en 1952 deux ans après la mort de Paul KAMBA est admis aux Editions  « OPIKA » des  Frères BANATAR, comme chanteur et réalise avec les musiciens GOBI, BALOJI « Tino Baroza », Albert TAUMANI, Fud CANDRIX, Isaac MUSEKIWA, Joseph KABASELLE , etc., des œuvres qui constituent une exceptionnelle réussite, telles « O mboka Faignond» et « Dit Ebo »

Enfin, on a pu savourer avant cette époque, précisément entre 1948 et 1950 l’essentielle de la discographie de Paul KAMBA aux Editions Ngoma :

  • Disque n° 271 : « Victoria » – « Marie Thérèse » –
  • Disque n°272 : « Catherine » – « Victoria ya Maria »
  • Disque n°273 : « Obela Mpoko » – « Liwele ya Paulo
  • Disque n°275 : « Djiguida » – « Masanga fala »

1950 –  Page noire : La mort  de Paul KAMBA

La nouvelle qui frappa d’affection profonde l’Afrique Centrale entière fut annoncée par Radio Brazzaville le 19 Mars 1950, date à laquelle le grand chanteur Paul KAMBA quitta ce monde à l’âge de 38 ans. Juste quelques mois avant son départ en France où il était attendu pour une formation  musicale dans un conservatoire français.

Brazzaville et Léopoldville lui réservèrent des obsèques grandioses auxquels prirent part de nombreux grands musiciens kinois et brazzavillois. Les musiciens Zacharie ELENGA « Jhimmy », Antoine WENDO et  Antoine MOUNDANDA chantèrent à la mémoire du disparu des œuvres qui sont restées mémorables comme : « Paulo Kamba atiki biso na mawa » de WENDO KOLOSOY, « Mabele ya Paulo » d’Antoine MOUNDANDA, enregistrées sur disque  Ngoma, puis « Liwa ya Paulo » de Zacharie ELENGA « Jhimmy » aux éditions  Opika.

Compositeur et chef d’orchestre émérite, parolier de génie, Paul KAMBA fut un musicien élégant, fin et spirituel, Il montrait de la grâce, un charme désinvolte, il avait connu un immense succès tout à fait remarquable à Brazzaville et à Kinshasa. Son œuvre considérable  lui a valu la décoration de « Chevalier de l’Etoile du Bénin » de la République Française. En définitive, Paulo KAMBA est incontestablement  « le père » de la musique congolaise moderne. Il a été un grand maître, un modèle et un pionnier de la musique moderne. Il aura ouvert la voie à toute la lignée des grands noms qui ont dominé le monde de la musique dans le grand bassin du Congo.

Clément Ossinondé