En Afrique, comme ailleurs dans le monde du reste, le temps passe tout comme les climats changent, de la même façon que des générations de citoyens se suivent. Cependant, si les constitutions et révisions se succèdent et que les discours des dirigeants s’adaptent, de façon quasi générale, leurs comportements, méthodes et culture du pouvoir tardent à suivre. Plus précisément, et en cela en porte-à-faux avec les pratiques d’ailleurs, persistent et dominent la culture de ‘l’irremplaçabilité’ au pouvoir, le ‘syndrome du sauveur’[1] ou, plus communément, et souvent avec peu de scrupules, la prétention de l’homme providentiel[2] ou de ‘l’homme fort’[3], mettant ainsi de temps en temps les chefs d’Etat africains en décalage avec une partie de la communauté internationale et surtout, largement, de leur opinion publique nationale.

Ainsi, au Congo démocratique, au Bénin, au Burkina Faso, au Congo-Brazzaville, au Togo, pour ne parler que de ces pays qui vont dans les deux prochaines années connaître des élections présidentielles (cf. tableau joint), des manifestations géantes se succèdent pour exiger de leur président le respect des règles démocratiques, de l’alternance en l’occurrence. Si, dans les deux premiers pays, et par un discours apparemment sans ambigüité, les dirigeants se sont prononcés pour le respect des principes établis sans toutefois réussir à effacer totalement la suspicion, il n’en est pas le cas pour les autres, avec pour conséquence, on s’en doute, une avalanche de thèses et stratégies dont personne ne pourrait objectivement présumer l’issue. L’un de ces pays particulièrement, le Congo-Brazzaville, en résume parfaitement la situation.

Revenu aux affaires par les armes en 1997[4], après y avoir été éjecté par les urnes en 1992[5] suite à un long et triste règne de treize ans sous le monopartisme, le général Sassou se heurte aujourd’hui — après cinq ans particulièrement sanglants[6] d’exercice du pouvoir sans mandat, suivi d’un double mandat pour le moins controversé[7] de sept ans chacun qui se termine en 2016 — à l’interdiction formelle et hermétique de renouvellement de candidature par la Constitution, octroyée par lui-même en 2002[8].

Comment, dès lors, justifier et permettre une nouvelle candidature du ‘guide’ au pouvoir depuis trente ans[9] ? Telle est la question, ou plutôt l’équation, manifestement cabalistique, devenue leitmotiv de la vie politique congolaise depuis un peu plus d’une année ! Compréhensible et opportun qu’au regard de la pratique du pouvoir en Afrique essentiellement[10], le sujet n’en est pas moins une stratégie indirecte du pouvoir d’éclipser de lancinants problèmes sociaux[11], malgré de fabuleux moyens financiers dus aux recettes pétrolières mais profitant essentiellement à une petite minorité, particulièrement les proches du régime. Mais, la séquence est aussi révélatrice d’une des grandes endémies politiques des sociétés africaines : la focalisation bien souvent de l’énergie politique et des moyens de l’Etat au service de la conservation du pouvoir, et au détriment des missions et objectifs d’intérêt général.

Sans doute le ‘printemps africain’[12] des années quatre-vingt-dix, corollaire du regain démocratique[13], du vent de l’Est et du sommet franco-africain de la Baule principalement, a eu raison du granit monopartite de l’Afrique au sud du Sahara. Sans doute encore, et pour cause,  que celui-ci  a bousculé la vie politique en Afrique. Ses apports, pour le moment, dans les systèmes politiques africains, s’avèrent cependant, somme toute et a posteriori, assez modestes car, comme le souligne un journaliste grand reporter français, écrivain et fin limier des arcanes politiques africaines, « les caïmans du marigot ont appris à manier le lexique du pluralisme, de la transparence et de la ‘bonne gouvernance’… pour mieux s’affranchir de ses effets »[14]

En effet, de façon quasi générale, ni le multipartisme institué, ni le recours aux élections disputées[15], l’adhésion aux multiples conventions internationales relatives aux droits de l’homme et libertés ou à la transparence économique,  n’ont réussi à résister au rouleau compresseur des dictatures aguerries qui, n’hésitant sur aucun moyen, ont réussi à vider tous ces mécanismes a priori démocratiques de toute leur substance.

Ainsi, dans cette panoplie de mécanismes principalement érigés dans les années quatre  vingt-dix pour contrecarrer les dictatures, demeurait un clou sous les talons des autocrates  africains que, depuis quelques années, ceux-ci se sont attelés à extraire du dispositif constitutionnel : la limitation du nombre des mandats.

Ainsi, le 26 mai 2004, les députés tchadiens adoptaient le projet de révision de l’article 61 de la Constitution du 14 avril 1996 qui prévoyait que le président de la République est élu pour un mandat de cinq ans renouvelable une fois. Dans le même sens, avec le même objet, le Togo avait déjà procédé à la révision de l’article 59 de la Constitution du 14 octobre 1992. Ici, les députés récidiveront le 6 février 2005, suite au décès brutal du président Eyadéma, en modifiant deux articles de la Constitution pour empêcher le successeur constitutionnel comme intérim, M. Fambaré Natchaba Ouattara, de le remplacer pour permettre au fils du président défunt, M. Faure Eyadéma, d’assurer la fonction suprême. D’autres et nombreux Etats suivront cette initiative[16]

Le Congo-Brazzaville, le pouvoir, dont l’histoire politique est suffisamment illustrative des principaux ‘féodalismes’ politiques, de la difficile conciliation en Afrique du pouvoir au droit, à la raison et aux libertés, et de séquences frénétiques et macabres de ‘boucherie’ humaine, entame ainsi, présentement et apparemment, après d’autres Etats africains, et après avoir eu raison par la ruse, la force et le sang[17] des différents dispositifs de la brève ère démocratique, le déverrouillage du dernier de ceux-ci. Sans principe ni manière, frisant ainsi le passe-passe constitutionnel car, si en la matière, on l’a dit, le droit est contre la révision, la politique elle, par maints stratagèmes, s’est résolument engagée, comme par le passé d’ailleurs,  contre le droit.

Le droit contre la révision

Comment rompre avec les dérives d’antan — sous le monopartisme africain — de longévité de pouvoir, voire de pouvoir à vie où, en raison de la concentration de l’essentiel du pouvoir politique entre les mains du président, de l’addiction au pouvoir, de l’incertitude de la culture et de la transparence démocratiques, de l’inégalité des moyens matériels et financiers notamment, la réélection automatique du président en place était quasi garantie ? Car, ainsi que le rappelle Augustin Loada, « le phénomène de réélection automatique, qui s’observe dans bien de démocraties, est encore plus manifeste en Afrique. Un président sortant en quête de réélection est rarement battu »[18]. Encore fallait-il que des élections présidentielles disputées aient lieu. En tout cas, l’expérience politique congolaise des trois premières décennies, c’est-à-dire avant « le printemps de l’Afrique », n’en fournit aucun exemple[19]. La difficulté sinon l’impossibilité immédiate de rationalisation des procédures et des comportements électoraux au début des années quatre vingt-dix, les conflits électoraux récurrents et les graves violences qui s’ensuivaient en général, la faiblesse des contrepoids et des oppositions politiques longtemps laminés, la dépendance et l’alignement bien souvent de l’élite sous ses différentes facettes au pouvoir établi, tout cela faisait ainsi de la limitation du nombre de mandats présidentiels une technique majeure de rationalisation du pouvoir et un garde-fou essentiel du nouveau constitutionnalisme encore en rodage ou, selon la conclusion de Babacar Kanté, l’une des pierres angulaires du néo-constitutionnalisme africain[20].

La quasi totalité des constitutions des Etats d’Afrique francophone du début des années quatre vingt-dix ont, pour cela, incorporé, avec la désobéissance civile[21], ce principe dans leur dispositif comme gage du réalisme constitutionnel et démocratique ; mais aussi, dans une certaine mesure, comme l’expression d’une prise de conscience politique du fait que le pouvoir, jeu politique en quelque sorte[22], se gagne et évidemment se perd bien un jour, et que cela devrait être fair-play, digne et non plus une jungle comme autrefois. Ce dispositif de sanctuarisation de la durée du règne présidentiel, sa dynamique et la réalité, résument, un peu plus de vingt ans après,  l’essentiel des comportements et l’état du pouvoir politique en Afrique, et plus précisément au Congo aujourd’hui.

« Le Président de la République est élu pour sept ans au suffrage universel direct. Il est rééligible une fois », énonce l’article 57 de la Constitution congolaise du 20 janvier 2002[23] en vigueur aujourd’hui. Cela signifie qu’il ne dispose que de deux cartouches, et rien que deux après lesquelles il aura vidé son arme[24]. A vrai dire, ce dispositif de limitation de l’exercice du pouvoir à deux mandats, déjà mentionné dans la précédente Constitution du 15 mars 1992 abrogée dans la foulée du coup d’Etat de l’été 1997 du général Sassou, n’est pas nouveau dans le constitutionnalisme africain. Il existait déjà dans nombreuses des constitutions africaines des années soixante, et notamment dans la Constitution congolaise du 8 décembre 1963. La nouveauté, et peu banale, est dans la portée donnée plus loin à cette interdiction.

A l’article 185 alinéa 3 du même texte de 2002[25] en effet (reproduisant en cela l’article 178 alinéa 5 du précédent texte constitutionnel de 1992 unilatéralement abrogé), comme pour anticiper sur les caprices et l’expérience du pouvoir sur le continent, le constituant a tenu à garantir l’article 57 précité en le verrouillant et le mettant ainsi à l’abri de toute manipulation, en disposant que « La forme républicaine, le caractère laïc de l’Etat, le nombre de mandats du président de la République… ne peuvent faire l’objet de révision ».

Dans le même sens, et tirant certainement les leçons de l’expérience française de 1962 par laquelle le général de Gaulle dribla les différents contrôles institutionnels par un recours anticonstitutionnel au référendum, l’article 86 alinéa 2 de la Constitution congolaise anticipe (une fois de plus) et énonce qu’ « avant de soumettre le projet au référendum, le président de la République recueille l’avis de la Cour constitutionnelle sur sa conformité à la Constitution ». Bien que simplement consultatif, l’avis négatif de la juridiction constitutionnelle signifierait néanmoins que la persistance du recours au référendum serait une mesure anticonstitutionnelle. L’on rappellera pour mémoire que, sur le cas français, si la doctrine en général et la juridiction constitutionnelle s’accordèrent à reconnaître l’illégalité du recours au référendum de 1962, le juge constitutionnel, saisi a posteriori, s’avoua cependant incompétent à censurer l’expression de la volonté populaire (C. const., 6 nov. 1962), celle-ci ayant déjà répondu favorablement à la demande du président.

Ainsi, dans le contexte congolais, sauf coup d’Etat de plus, et pas vraiment compliqué au regard des comportements et de la conscience politiques de toujours, ou arrangement avec la juridiction constitutionnelle pas non plus étonnant alors[26], le général-président ne dispose, apparemment et formellement, d’aucune autre cartouche après l’été 2016, date de fin de son deuxième et actuel mandat, et où il aura tout de même gouverné trente deux ans sur cinquante six ans d’existence de l’Etat congolais, et sera âgé de soixante-treize ans alors que la Constitution actuelle (art.58, al 6) fixe la limite d’âge à soixante-dix ans au moment du dépôt de la candidature.

L’on constatera que, sans évidemment interdire la révision constitutionnelle en général, mécanisme ordinaire de régime assez varié mais institué — c’est-à-dire strictement encadré — qui permet, dans tout Etat déjà régi par une constitution, de modifier celle-ci, la Constitution congolaise en vigueur, conformément aux restrictions constitutionnelles habituelles en démocratie relatives à l’objet notamment, mais en y intégrant une spécificité de son histoire politique (la violence comme seule voie d’accès et de pérennisation au pouvoir), a voulu pacifier et ‘civiliser’ cet aspect en le sanctuarisant.

Que signifie et vaut dès lors cette garantie constitutionnelle nouvelle ?

Précisément que la limitation des mandats est désormais de ces questions qui relèvent, comme la nature républicaine de l’Etat, la laïcité, la souveraineté nationale et certaines libertés, de la supra-constitutionnalité, c’est-à-dire ce que certains auteurs (O. Beaud, L. Hamon notamment) appellent ‘noyau dur’ ou ‘noyau sacré’ (R.Badinter[27]) de la constitution et se trouve, pour cela, au-dessus et à l’abri de toute entreprise, quelle qu’elle soit, du constituant. Si, tout au moins, l’on reste dans le cadre d’une lecture positiviste du droit, et d’une ‘civilité’ politique.

Mais, dans l’inconscient politique congolais, et singulièrement de la classe politique, aujourd’hui relayée par une certaine élite, le droit n’est que le droit, relevant de la simple ‘superstructure’, ou de ‘l’occidentalisation’ selon les circonstances, et peut être grillé sans forme, procès ni risque. 

La politique contre le droit

Certes, et c’est une vérité universelle et d’évidence, le ménage entre le droit et la politique n’a jamais été un long fleuve tranquille[28]. Mais, il est une autre évidence, en droit constitutionnel surtout, que la Constitution, loi fondamentale ou ‘Loi des lois’, n’a ou ne conserve de valeur que dans la mesure où elle transcende les gouvernants, précède et/ou survit à ceux-ci, et donc n’est pas sous leur emprise. C’est la raison même de naissance et d’existence du droit conditionnel, que dément cependant ostensiblement l’histoire constitutionnelle congolaise.

En effet, exception faite de la première constitution  du nouvel ère démocratique, celle du 15 mars 1992 issue de la Conférence nationale de 1991 et abrogée en 1997, la mode au Congo jusque-là était l’installation au pouvoir d’abord,  l’abrogation concomitante ou en deuxième temps de la précédente constitution, et enfin l’adoption d’une nouvelle, personnalisée et  cahin-caha appliquée: « L’idée de constitution, corollaire de l’Etat de droit, on le reconnaîtra, n’emballe pas, et n’habite pas une large partie de la classe politique congolaise. Partant, l’histoire politique et constitutionnelle congolaise, depuis l’indépendance, apparaît comme l’aveu d’une Constitution autant indésirable qu’introuvable… Le politique n’est nullement lié par la Constitution, qu’il détermine unilatéralement et s’en délit n’importe comment et quand bon lui semble »[29], constations et écrivions nous il y a quatorze ans, en 2000, à l’analyse du projet constitutionnel congolais qui devrait être adopté en 2002. Les prétexte, contexte et texte définitif de celui-ci, en même temps qu’ils ressuscitaient cet ‘ancien régime’ assorti de ses défauts et ‘valeurs’, dévoilent plus clairement aujourd’hui le véritable enjeu  de la Constitution adoptée, et la perfidie politique des principaux acteurs, sous les couleurs d’un vrai-faux débat constitutionnel[30], dont la préoccupation réelle et essentielle, pour le pouvoir en place, est le déverrouillage de la limitation du nombre de mandats présidentiels, comme du reste ailleurs en Afrique[31] ; tandis que pour l’opposition, c’est l’occasion ou jamais de confondre le pouvoir et d’en finir.

La démarche est en général identique pour les régimes en place: on commence par susciter un débat sur la révision, le changement ou l’adaptation de la constitution, en parlant ou présentant un bouquet de mesures. Et en définitive, l’on se retrouve, après un débat plus ou moins contrôlé, et suite à un référendum à l’issue connue d’avance, toujours avec le même socle mais avec dorénavant un nombre illimité de mandats !

« Le véritable exercice démocratique exclut la limitation des mandats présidentiels…Le peuple est en droit de conserver un dirigeant au pouvoir aussi longtemps qu’il juge bon et utile pour le pays », avertissait déjà Sassou-Nguesso en 2008[32]. Comme si la constitution, elle, n’était pas l’expression de la volonté populaire ! Une année après environ, le débat était lancé à Brazzaville pour atteindre son summum l’été 2010, mais sera brutalement comprimé l’hiver de la même année en raison du « tsunami arabe ».

L’approche de la fin du mandat présidentiel contraint le pouvoir et ses relais traditionnels  à relancer l’initiative, mais avec des arguments pour le moins insolites. En effet, s’étant rendu compte de la clarté, de l’évidence de la garantie de non-révision du dispositif visé, mais aussi et surtout du contexte international assez défavorable à cet égard[33], c’est dans une stratégie extra constitutionnelle que vont par la suite chercher le pouvoir et ses sbires, tandis qu’une large partie de l’opposition, jusque-là critique voire radicale sur la constitution en vigueur, retrouve un ‘exégètisme’ sans précédent.

Désormais, pour les tenants et défenseurs du régime en place, il n’est plus question de révision mais de ‘changement de la constitution’, alors que cette notion de changement n’est nulle part consacrée. C’est l’opinion soutenue notamment par le doyen (jusqu’en mars dernier) de la Faculté de droit de Brazzaville, à l’occasion d’un débat sur le sujet, organisé par RFI à Brazzaville, le 24 mai dernier.

Celui qui trois ans auparavant écrivait que « L’Etat de droit au Congo et ailleurs est mis à mal par des velléités de retour à l’autoritarisme… Les autorités congolaises brillent par l’organisation d’élections truquées dont les résultats sont quasiment connus d’avance. Il en a été ainsi en 2002 et 2009 pour l’élection présidentielle, 1993, 2002 et 2007 pour les élections législatives… »[34], et soulignait par ailleurs, dans la même étude, que « le constituant africain, tout en s’abreuvant aux sources d’un constitutionnalisme libéral dont  les valeurs plus protectrices de l’individu sont devenues pratiquement universelles, a néanmoins le souci de se démarquer de certains choix occidentaux pour proposer des solutions plus ou moins adaptées au contexte local », devenu député du parti au pouvoir aux élections législatives de 2012 qui ont consacré une ‘chambre introuvable’[35], et conseiller d’un pontife du régime, soutient désormais le contraire : « on a pris le constitutionnalisme libéral, occidental qui ne peut être appliqué chez nous parce que ce ne sont pas les mêmes réalités. Dans la réflexion africaine aujourd’hui, …les constitutionnalistes parlent non pas d’un constitutionnalisme libéral mais d’un constitutionnalisme africain ». Et de préciser sa pensée : « Moi je suis…non pas pour une révision mais pour un changement de constitution qui va nous emmener à un nouveau contrat social »[36] ! Un nouveau contrat social dans un contexte de dictature manifeste et décomplexée (cf. note 40) ! D’autres universitaires congolais abonderont par la suite dans le même sens. Autrement dit, il faut recourir à un putsch constitutionnel, et revalider ‘l’obscurantisme politique’ des trois premières décennies de la vie politique du pays et du régime politique en cours !

En clair, selon le professeur, la limitation des mandats n’est pas conforme à la réalité politique africaine et que le constitutionnalisme libéral a perdu son profil universel. Ainsi, galvaudant les faits sur le continent (Bénin, Ghana, Zambie, Mali avant le coup d’Etat,…) et ailleurs où il y a également limitation des mandats (Russie, Chine, Costa Rica, Argentine,…), soutient-il que « tous les Etats qui ont inclut la limitation des mandats dans leurs Etats ont les mêmes problèmes » ! Comme si les problèmes d’application de la constitution en Afrique, ou plus clairement la dictature et ses méfaits, de façon générale, n’étaient pas un phénomène antérieur et quasi constant ! De la même façon qu’on se demanderait en quoi le ‘constitutionalisme africain’, qui n’est pas tout à fait nouveau par ailleurs, servirait d’antidote à ces dérives des gouvernants !

En réalité, ni d’origine occidentale, ni de nulle part ailleurs, la limitation des mandats, d’abord acceptée puis remise en cause aujourd’hui par certains dirigeants africains, mode de mise en œuvre de l’alternance démocratique là où elle est bloquée (cas de la plupart des pays africains) ou a  risqué/risquerait de l’être (USA, France)[37], est tout simplement un principe de bon sens, de raison, empirique et, en définitive, de démocratie qui, elle, est bien libérale.

De même, l’éminent historien local, et ancien ministre, Théophile Obenga, qui avait auparavant décrit les violences et crimes de l’homme d’Etat congolais[38], théorise désormais ‘l’homme d’exception’ et ‘l’homme providentiel’, et argue : « …qui va le remplacer ? Quel leader a une assise nationale pour maîtriser le pays ?…Quelle est cette constitution dans le monde qui n’a jamais été amendée! »[39]

Toujours dans une justification extraconstitutionnelle, pour certains des partisans du ‘chef’, ‘le président Sassou c’est ‘le bâtisseur infatigable’, ‘l’homme de la paix’, ‘l’homme qui doit assurer l’émergence du pays’, quand bien même, après trente ans d’exercice du pouvoir, la situation sociale est des plus désastreuses (supra, note 11) et les inégalités galopantes.

Ainsi, ressort-il clairement de cette argumentation que domine au Congo une conception personnelle, circonstancielle et opportuniste de la constitution, et une inaptitude à caractériser le régime constitutionnel en cours, qui apparaît pourtant, au regard du précédent régulièrement adopté (en 1992), mais aussi des pratiques, comme un régime d’Etat d’exception prolongé, avec toutes les perversions qu’autorise ce genre de régime, principalement la subordination des droits et libertés et surtout de la souveraineté populaire ou nationale à la souveraineté présidentielle sur tous les grands sujets. Longtemps défendu par ses concepteurs comme le régime le plus adapté à l’environnement politique africain[40] et au contraire critiqué (à juste titre) par l’opposition comme présidentialiste et ne méritant que « la poubelle », les rôles se sont soudainement inversés. Désormais c’est le pouvoir et ses défenseurs qui le trouvent inadapté et tiennent à son « changement » pour échapper à la limitation de mandats, tandis que l’opposition tient mordicus, et circonstanciellement, à son maintien pour la disqualification de l’homme en place.  Avec toutes les incertitudes sur l’avenir constitutionnel et politique du pays.

Conclusion

Il n’a pas manqué, dès l’aube du ‘printemps de l’Afrique’ au début des années 90, des observateurs avertis pour émettre des réserves sur l’ordre des enjeux dans la stratégie de mise en place de la démocratie sur le continent. Ainsi, moins que la substitution  prioritaire du multipartisme au monopartisme, parce que celui-ci n’était que « la conséquence de la prise du pouvoir par le chef et non la cause et ce, quel que soit le mode d’accession utilisé »[41], c’est donc bien plus sur ‘le chef’ qu’aurait pu avant tout se focaliser la réforme et non le monopartisme qui n’aura été que son instrument. Parce que, évidemment, «Pour que le multipartisme fonctionne, le combat verbal doit avoir remplacé l’affrontement physique »[42], et que « même lorsqu’ils appartiennent à des partis ennemis, les hommes politiques savent qu’ils jouent sur le même jeu et qu’il convient de ne pas le briser » (idem), soulignait avec vigueur le professeur Meshériakoff.

Arrivé par effraction au pouvoir, après avoir donc ‘brisé’ le jeu, et gérant ledit pouvoir par effraction et de façon patrimoniale[43], c’est, tout naturellement, par effraction, par le biais d’un tour de passe-passe constitutionnel comme en 1977, 1979 et 1997, que le général Sassou entend apparemment continuer à gouverner au-delà de 2016, terme de trente-deux ans de pouvoir et de fin formelle de son dernier double septennat constitutionnel, où il aura au passage collectionné, sous sa houlette, huit textes constitutionnels[44]. Quoi de plus démonstratif du dédain et de l’illusion constitutionnels et, par conséquent, de la perfidie du débat constitutionnel mis en scène! Pas une seule fois, dans l’histoire politique congolaise, à l’exception du mouvement et de la Conférence nationale du début des années quatre-vingt-dix, un débat, un ‘forum’ ou une consultation populaire n’a remis en cause un projet du pouvoir établi[45].

Tout de même, on ne peut ne pas penser que la forte médiatisation de l’idée d’une possible nouvelle candidature est peut-être une nouvelle ruse, une stratégie pour monter les enchères et tenter in fine de brouiller le profil dictatorial de son règne politique[46], et/ou mettre en balance et négocier une sortie honorable et une sécurité post-présidentielle, en contrepartie de lourds et, pour le moins, accablants dossiers (‘biens mal acquis’, ‘disparus du beach’, ‘mallettes de la république’, ‘crimes de sang’,…) qui auront jalonné son règne.

Car, depuis l’indépendance du Congo en 1960, la sortie des présidents de la République est une éternelle histoire de honte, d’humiliation, de barbarie et de sang[47] dont la seule exception, en 1992, et en faveur de Sassou-Nguesso justement, relève de la pédagogie et de l’amorce de la démocratie par la Conférence nationale de 1991, alors que de nombreux participants à celle-ci demandaient un châtiment exemplaire pour ‘crimes économiques et de sang’: le premier président, l’abbé Fulbert Youlou, termine brutalement sa fonction au bout de trois ans, suite à un coup d’Etat civil en 1963[48], par un exil en Espagne  dont il ne reviendra que mort ; le deuxième, Massamba Débat, en sort par un coup d’Etat militaire en 1968 et sera longtemps contraint à ne résider que dans son village et banni de la capitale, avant d’être exécuté neuf ans après; le troisième, Marien Ngouabi, meurt assassiné au pouvoir dans sa résidence de l’Etat major militaire le 18 mars 1977 ; le quatrième, le général Yhombi, prédécesseur du général Sassou, est renversé par celui-ci en 1979 et quasi immédiatement contraint à onze ans successifs de détention préventive dont il ne sortira qu’à l’aube de la fièvre démocratique en 1990 ; tandis que son successeur (de Sassou) élu en 1992, Pascal Lissouba, abandonnera le palais présidentiel en octobre 1997 sous les bombardements des Migs de l’armée angolaise qui assurera dans la foulée le retour et l’installation du général Sassou aux affaires ! Ainsi, et ironie de l’histoire, la seule exception à ce jour, le seul président exempté d’une sortie politique violente au Congo, est celui qui remettra en selle et s’obstinera à entretenir le système politique générateur de l’accès, de l’exercice et de la sortie violents et humiliants du pouvoir !

Par ailleurs, et fondamentalement,  restera toujours posée, on l’aura constaté et souligné,  la question de la pertinence du statut et du  modèle présidentiels en Afrique, dont plus de cinquante ans de mise en oeuvre démontrent pourtant, clairement et globalement, qu’il aura, en raison du présidentialisme assorti, plus desservi que servi ses raisons d’érection et la cause collective[49]. Qu’ainsi, une fois de plus, l’Afrique, ses dirigeants particulièrement, ne réussissent bien souvent qu’à exhiber leur passion pour les débats et questions  biaisés et les boucs émissaires….

La limitation du nombre de mandats présidentiels, dont certains aujourd’hui théorisent et demandent l’effacement au nom de la démocratie et, curieusement, du « constitutionnalisme africain », n’apparaît-elle pas, au contraire, à la lumière de cette histoire dramatique, de la précarité constitutionnelle qui en résulte, de cette spécificité africaine et de diverses autres dérives politiques, comme le corollaire du « droit à la paix » tant évoqué, mais surtout comme un instrument majeur de décrassage et de déblocage de la démocratie, de ‘civilisation’ de la vie politique, de modération et d’amorce d’une République autre qu’incantatoire ? Ne fusse-que parce qu’elle permettrait aux parties en présence de réapprendre et d’assimiler cette magistrale leçon de Cicéron selon laquelle, « celui qui obéit devrait avoir l’espoir qu’il commandera un jour, et celui qui commande devrait se dire que dans un délai court, il aura à obéir »[50]

Paris, 7 août 2014

Félix BANKOUNDA-MPELE

Juriste, diplômé de science politique,

Chercheur,

Membre/Expert, Institut International de Droit d’Expression et d’Inspiration Françaises

Source:  REVUE POLITIQUE ET PARLEMENTAIRE n°1072-1073.

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[1]. Cf. Mary C. Lamia, Marylin J. Krieger, Le syndrome du sauveur, Paris, Ed. Eyrolles, 2012. Notion complexe, le syndrome du sauveur peut autant signifier un authentique altruisme (disposition à rendre service) que d’autres faiblesses et déséquilibres d’une personne, comme son manque de confiance, son égocentrisme et le goût de la puissance, et donc de la dévalorisation, sous-estimation ou domination de l’autre. C’est, en tout état de cause, une pathologie de l’individu où, celui-ci prétendant venir en aide à l’autre, est plus ou moins inconscient de sa dépendance et  de son (dés)équilibre par rapport à l’autre dont le retrait, le refus finit par devenir son malheur, son obsession et susciter des comportements de frustration, d’instabilité, d’agressivité et autres qui, en politique, peuvent se résumer par des penchants à la dictature ou au despotisme. A la vérité, ‘le sauveur’ en Afrique, au regard de l’insuffisance du sens de l’Etat de l’écrasante majorité de ses dirigeants et des pratiques, essentiellement vénales, semble plus relever de la stratégie, d’un véritable mythe.

[2]. Cf. notamment Le Monde diplomatique, juin 1990, pp.18-19 ; « Plaies d’Afrique », in Le Monde, Enquêtes, n°5, 9 juin 1990. Pour une vue générale sur la question, dans le contexte français, on lira Jean Garrigues, Les hommes providentiels. Histoire d’une fascination française, Paris, Seuil, 2012

[3]. A la tête d’un Etat fragile, et dont l’Etat de droit ne va pas donc pas de soi, l’homme fort, en Afrique, sans légitimité, survit par de perpétuels stratagèmes, et notamment par l’Etat policier, la corruption, de soutiens subjectifs internes et externes ne reposant pas sur l’Etat légal et rationnel. Il apparaît ainsi, en réalité, comme un homme faible, au statut précaire, ne survivant politiquement que par ces différents gages susceptibles à tout moment de changer, et non au nom d’un mandat représentatif garanti ou des institutions établies. Cf. notamment G. Conac, portrait du chef d’Etat, in Pouvoirs, n°25, 1983, spécial, « Les pouvoirs africains » ; également, F. Bankounda-Mpélé, Repenser le président africain, Revue politique et parlementaire, n°1058, 1er trimestre 2011, pp.139-155

[4]. Cf. notamment M-R Galloy, M-E Gruenais, « Des dictateurs sortis des urnes », Monde diplomatique, novembre 1997 ; Yitzhak Koula, La démocratie congolaise brûlée au pétrole, Paris, L’harmattan, 1999

[5] De façon sévère, sans émerger au deuxième tour. Cf. Le Monde, 11 août 1992, pp.1 et 5, et surtout F. Weissman, Election présidentielle de 1992 au Congo, CEAN-IEP, 1993, 138p

[6] Cf. notamment « Au Congo-Brazzaville, les douloureuses cicatrices d’un drame humanitaire » et « La quête angoissante des parents des fils des disparus, enlevés ou assassinés par la garde présidentielle » (Le Monde, 26/02/2000, p.2) ; « Brazzaville. Massacres dans l’indifférence… » (Libération, 16/06/1999) ; « Congo-Brazzaville : L’arbitraire de l’Etat, la terreur des milices », Rapport FIDH, juin 1999, 34 p. ; Rapport FIDH, avril 2000, n°291, 23 p. ; Rapport Médecins sans frontières, octobre 1999, 12 p. ; Amnesty international, 25 mars 1999, 36 p.

[7] Ni sa première élection de 2002, ni celle de 2009, n’ont, pour le moins, convaincu les principaux observateurs. Cf. à titre indicatif « Elections en trompe-l’œil au Congo-Brazzaville », Rapport FIDH, du 08 mars 2002. L’une et l’autre ont, en tout état de cause, mobilisé moins de 20% d’électeurs et occasionné de flagrantes irrégularités selon les observateurs. Par ailleurs, elles ont, par le refus de ratification,  ouvertement méprisé ‘La convention de Bamako’ de novembre 2000 relative à la démocratie en francophonie, principalement l’impératif d’une commission électorale indépendante.

[8] F. Bankounda, « Une constitution mort-née : la Constitution congolaise du 20 janvier 2002 », in Politéia, n°3, 2003. Etude rédigée sur la base du projet constitutionnel dont le texte final, pour l’essentiel, n’a changé qu’à propos de l’exception d’inconstitutionnalité constitutionnalisée en définitive. Cette Constitution trouve son  socle dans l’Acte fondamental du 24 octobre 1997 (régime provisoire) octroyé par ‘l’homme fort’ dans la foulée du coup d’Etat de l’été 1997. Pour une analyse essentiellement exégétique de ce texte, et donc a-historique et détachée du contexte, on lira notamment : G.J.C. Mébiama, Le régime politique de la République du Congo après la Constitution du 20 janvier 2002, Paris, L’Harmattan, 2005. On complètera par : V.R. Mananga, Le cas de la République du Congo : un exemple de régime constitutionnel autoritaire, Thèse, Droit, La Rochelle, janvier 2014

[9] Le général Sassou, alors colonel, arrive clairement au pouvoir en février 1979, en renversant le général Yhombi mais, de notoriété publique, il était le véritable homme fort du Congo depuis l’assassinat du président Marien Ngouabi le 18 mars 1977. Pour le cursus politique de Sassou-Nguesso, lire notamment l’ouvrage collectif ‘SassouNguesso. L’irrésistible ascension d’un pion de la françafrique’, Paris, L’harmattan, 2009. Pour ses thuriféraires au contraire, Sassou-Nguesso c’est ‘L’homme des masses’, ‘L’homme des actions concrètes’, ‘Le bâtisseur infatigable’, ‘L’homme d’exception’, et, incroyablement et contre les faits et l’évidence, ‘L’initiateur de la démocratie’ et le pape de la paix….

[10] Si, au nom de la démocratie justement, l’on peut considérer la limitation comme incohérente voire contradictoire, à condition que les principes qui accompagnent celle-ci (transparence, égalité des compétiteurs, contrôles,…) soient effectifs, c’est curieusement par rejet de la démocratie libérale ‘imposée’ que les partisans du pouvoir local justifient l’effacement de la limitation du nombre de mandats. Sur la pratique du pouvoir en Afrique, et à titre indicatif, JF Médard, La spécificité des pouvoirs africains, in Pouvoirs, n°25 spécial « Les pouvoirs africains », 1983 ; M. Kamto, Pouvoir et droit en Afrique noire francophone, Paris, LGDJ, 1988 ; G. Pambou-Tchivounda, Essai sur l’Etat africain postcolonial, Paris, LGDJ, 1982 ; P.F. Gonidec, Les systèmes politiques africains, Paris, LGDJ, 1997 ; « La démocratie en Afrique », Pouvoirs, n°129 spécial, 2009.

[11] Avec moins de quatre millions d’habitants, un budget officiellement déclaré excédentaire depuis dix ans et qui depuis cinq ans tourne entre 5 et 6 milliards d’euros, l’indice de développement au Congo, selon le  Rapport mondial sur le développement humain , le place à la 136ème place sur 180, tandis  qu’il apparaît au 162 rang sur 180, parmi les pays les plus corrompus au monde. Le taux de chômage y était selon l’ONEMO (organe officiel) de 34,2% fin 2011 ; les pénuries d’eau et d’électricité sont chroniques tout en ayant le 2ème plus grand fleuve du monde. 25% d’enfants de moins de cinq souffrent de malnutrition, avec un nombre impressionnant d’enfants de la rue. L’espérance de vie y est de 55 ans. Les principaux grands travaux sont réalisés sur endettement essentiellement chinois et, officiellement, on en est toujours à l’installation des infrastructures de base;… Le dernier rapport du FMI sur le Congo, en date du 4 septembre 2014 confirme la persistance de « la misère et de la pauvreté » du plus grand nombre de la population.

[12] Cf. notamment A. Bourgi, C. Casteran, Le printemps de l’Afrique, Paris, L’harmattan, 1991 ; G. Conac, (dir.),  L’Afrique en transition vers le pluralisme politique, Paris, Economica, 1993

[13] Dans ce sens, J.-F. Revel, Le regain démocratique, Paris, Fayard, 1992 ; J. Semelin (dir.), Quand les dictatures se fissurent. Résistances civiles à l’Est et au Sud, Paris, Desclée de Brouwer, 1995

[14] V. Hugeux, Afrique : le mirage démocratique, Paris, CNRS Editions, 2012. Dans le même sens, André Cabanis et Michel Louis Martin affirment que « L’on en est actuellement à une phase de récupération des procédures démocratiques de dosage des règles de droit de sorte à parvenir au même objectif qu’à l’époque des régimes autoritaires, progressistes ou pas : le maintien aux affaires. Les apparences démocratiques sont plus ou moins sauves », La pérennisation du chef de l’Etat : l’enjeu actuel pour les constitutions d’Afrique francophone, in Mélanges en l’honneur de Slobodan Milacic. Démocratie et liberté : tension, dialogue, confrontation, Bruxelles, Bruylant, 2008, pp.349-380, p.351

[15] De façon générale, et à titre indicatif, lire : « La démocratie en Afrique », Pouvoirs, n°129, spécial, 2009. Et particulièrement,  Dodzi Kokoroko, Les élections disputées : réussites et échecs, in Pouvoirs, n°129 ; J. du Bois de Gaudusson, Les élections à l’épreuve de l’Afrique, in Les Cahiers du Conseil constitutionnel, n°13, 2002, pp.100-105

[16]. Le Burkina Faso, le 27 janvier 1997, avant de rétablir le mécanisme de limitation en avril 2000, et de retenter présentement la suppression de l’article 37 de la Constitution interdisant plus de deux mandats dans la perspective des prochaines présidentielles ; à Madagascar, selon la révision constitutionnelle du 15 mars 1998, le président n’était plus éligible une fois mais deux fois ; cependant la Constitution du 11 décembre 2010, dite de la 4ème République malgache, est revenue à un mandat de cinq ans renouvelable une fois (art. 45, al2) et insusceptible de révision (art.163) ; en Namibie, une modification de la Constitution en décembre 1998 permet au président Sam Nujoma de se présenter une troisième fois ; en Guinée-Conakry, modification le 11 novembre 2001 de la Constitution du 23 décembre 1990 faisant passer le mandat de cinq à sept ans et renouvelable à l’infini, mais la Constitution de 2010 est revenue à un mandat de cinq ans renouvelable une fois et insusceptible de révision ; en Tunisie, avec la révision du 26 mai 2002, mais la dernière Constitution du 26 janvier 2014 revient à un mandat de cinq ans renouvelable une fois et insusceptible de d’amendement (art.75, 1er et dernier alinéa) ; le Gabon avec la modification du 22 avril 1997 allonge le mandat présidentiel de 5 à 7 ans, puis, le 30 juillet 2003, efface la limitation du nombre de mandats ; au Cameroun, si le compromis politique d’un septennat renouvelable une fois avait abouti à la révision constitutionnelle de janvier 1996, en 2008, une nouvelle révision effaça la limitation… Bref, la principale nuance à propos de ces révisions est que si certains pays comme le Burkina Faso se bornent dans leur Constitution à fixer le principe du renouvellement unique, le Congo-Brazzaville et d’autres pays dans les Constitutions récentes (Guinée, Madagascar, Tunisie, Congo-démocratique, Niger notamment) y ajoutent la garantie juridique de non-révision du dit principe.

[17] Cf notamment : Théophile Obenga, L’histoire sanglante du Congo-Brazzaville.(1959-1997). Diagnostic d’une mentalité politique africaine, Paris, Présence africaine, 1998. Yitzhak Koula, Pétrole et violence au Congo-Brazzaville, Paris, L’Harmattan, 1999. Egalement et surtout, supra, note 6

[18] A. Loada, La limitation du nombre de mandats présidentiels en Afrique francophone, in Revue électronique Afrilex, n°3, 2003, pp. 139-174, p.145. L’auteur y rappelle notamment les arguments souvent avancés par les uns et les autres sur le sujet, et notamment la controverse autour de la question démocratique sur le sujet.

[19] S’il y a eu une unique élection présidentielle au suffrage universel direct, c’est celle du 28 mars 1961, avec un candidat unique, Fulbert Youlou, qui recueillit alors un score flambant, 97,53% sur 90,33% de participation. En fait, auparavant, une des quatre lois constitutionnelles adoptées du 18 août au 7 décembre 1959, transformait déjà le Premier ministre en Président de la République.

[20] B. Kanté, Le constitutionnalisme à l’épreuve de la transition démocratique en Afrique, in C.M. Zoethout et al, Constitutionnalism in Africa. A quest for autochtonous principles,  Sanders Institut, Rotterdam, 1996, pp.17 et s.

[21] Essentiellement, mais pas exclusivement, dans les Etats qui étaient dirigés par les militaires. Cf. F. Bankounda, Le droit de résistance à l’oppression, droit fondamental dans les pays d’Afrique noire francophone ?, in Le juge de l’administration et les droits fondamentaux dans l’espace francophone, Bruxelles, Bruylant, 1999, pp. 566-590

[22] F.-G. Bailey, Les règles du jeu politique, Paris, PUF, 1971

[23] Sur cette Constitution, ses incertitudes et conservatismes, voir notre article cité : « Une constitution mort-née, la Constitution congolaise du 20 janvier 2002 »,…

[24] Métaphore d’Ismaïla Madior Fall, citée par A. Loada, La limitation du nombre de mandats…op.cit, p.143

[25] On l’a dit, on trouve l’équivalent de cet article notamment dans les Constitutions en vigueur de la Guinée-Conakry, du Niger, de Madagascar et de la Tunisie (cf, supra, note 16)

[26] En raison du mode de nomination des membres d’abord qui consacre, contrairement au mode de désignation sous la Constitution précédente où ils étaient élus par leurs corporations, l’emprise du Chef de l’Etat, mais aussi à l’observation de sa jurisprudence, notamment celle relative à l’appréciation des candidatures aux présidentielles : « A la lecture de la jurisprudence constitutionnelle congolaise, on peut dire que les membres de la juridiction constitutionnelle congolaise peuvent être qualifiés de ‘délégués du pouvoir’…Depuis sa création en 2002, la Cour constitutionnelle congolaise n’a censuré aucun texte » note P. Moudoudou, p.212,  Etude citée infra, note 34

[27]. In La Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen et la jurisprudence, Paris, PUF, 1989, p.33 : « Il ya dans nos systèmes constitutionnels des libertés intangibles que le constituant ne pourrait supprimer. Seraient seuls modifiables les droits qui n’appartiennent  pas à ce noyau sacré »

[28]. Les études sur le rapport ou la dialectique entre le droit et la politique abondent et la controverse est constante. On rappellera néanmoins, en droit constitutionnel surtout, deux points de vue à cet égard. Louis Favoreu, La politique saisie par le droit, Paris, Economica, 1988; Dmitri-Georges Lavroff, Le droit saisi par la politique, Communication au 2ème Congrès français de droit constitutionnel, Bordeaux, 1993. Le dernier faisant délibérément une réplique au premier à l’occasion de cette rencontre.

[29]. « Une constitution mort-née, la Constitution congolaise du 20 janvier 2002 », op.cit.p.13

[30]. Celui-ci est cristallisé dans un ouvrage récent : Claude-Richard M’Bissa, Débat sur la Constitution du 20 janvier 2002 au Congo. Enjeux sociaux et stratégies politiques, Paris, L’harmattan, juillet 2014

[31]. Cf. A.  Cabanis, M.L. Martin, La pérennisation du chef de l’Etat : l’enjeu actuel pour les constitutions d’Afrique francophone, in Mélanges en l’honneur de Slobodan Milacic, op.cit. ; également, J.-L. Atangana-Amougou, Les révisions des constitutions dans le nouveau constitutionnalisme africain, in Politéia, n°7, 2005, pp.583-622

[32]. Interview, Jeune Afrique, n°2463, du 23 au 29 mars 2008, p27. Depuis, il a plusieurs fois réitéré ses propos. Notamment en août 2010 lors du discours à la nation sur le cinquantième anniversaire de l’indépendance du pays, et en mai 2014, à Sibiti, capitale départementale de la Lékoumou, dans le sud ouest du Congo

[33]. Le 2 juin 2014, une réunion  Internationale des parlementaires francophones à Brazzaville s’oppose ouvertement à l’instrumentalisation des constitutions, tandis que le Secrétaire d’Etat américain John Kerry, en voyage au Congo voisin, au printemps dernier, et son adjointe, responsable des affaires africaines, abondent dans le même sens. Au premier sommet USA-Afrique qui s’est tenu du 5 au 6 août dernier à Washington, le discours américain a été clair : « Nous presserons les dirigeants de ne pas modifier les constitutions pour leurs bénéfices personnels et politiques » (J. Kerry)

[34]. Placide Moudoudou, Deux décennies de renouveau constitutionnel en Afrique noire francophone. L’exemple du Congo-Brazzaville (1990-2010) : bilan et perspectives, in Revue juridique et politique des Etats francophones, 2011, n°2, pp.186 et 205

[35]. Cf. notre réflexion à ce propos : « L’incroyable ‘chambre introuvable’ : au Congo le pouvoir ne s’use jamais », dac-presse.com,  août 2012

[36]. RFI, Le débat africain, 24 mai 2014, à Brazzaville. Pas plus convaincant, il avance, et repris par d’autres membres du parti au pouvoir, que si l’opposition gagne en 2016, «aucun instrument juridique ne permet de faire fonctionner l’Etat congolais dans le cadre de la Constitution » ! Et pourquoi n’avoir pas posé le problème avant les  présidentielles de 2009 puisque la configuration politique et constitutionnelle était globalement la même ! En fait, l’argument cache mal la menace du boycott du travail parlementaire, et exprime l’aveu de l’absence du minimum de sens national dont devrait faire preuve les politiques, les parlementaires surtout pour faire fonctionner l’Etat, la cohabitation étant inévitable à plus ou moins long terme, quel que soit le régime, en démocratie.

[37]. L’on rappellera que les USA n’instaurèrent formellement la limitation du nombre de mandats qu’en 1951, suite au quadruple mandat du président F. Roosevelt et sa mort au cours du dernier mandat ; tandis qu’en France, si la limitation du nombre de mandats, ou précisément l’institution du mandat unique, fut inaugurée sous la Constitution de la deuxième république, en 1848, et aboutit au fameux coup d’Etat du prince-président Napoléon dans la nuit du 1er au 2 décembre 1851 en refus de celui-ci de s’appliquer ledit principe, la cinquième république, qui s’était refusée à son institution restaurée par la Constitution précédente de 1946, ne l’a rétabli que lors de la récente révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 (limitation à deux mandats), déterminée sous cet angle par la révision précédente de 2000 qui réduisait la durée du mandat présidentiel de sept à cinq ans, sans convaincre certains experts qui la considèrent comme inutile, voire dangereuse (cf. notamment H. Roussillon, in La révision de 2008 : une nouvelle Constitution ?, Paris, LGDJ, 2011, pp.37-42 )

[38]. T. Obenga, L’histoire sanglante du Congo-Brazzaville…, cité, principalement pp.133 à 149

[39]. Source : Congoland, in Dacpresse.com, 14 mars 2014

[40]. Cf. Interview Sassou-Nguesso, in Le Figaro, 11 mai 2000, p.10 : «En Afrique, il faut qu’un Chef ait de grands pouvoirs. Sinon les citoyens sont désemparés »

[41] A-S Meschériakoff, Le multipartisme en Afrique francophone, illusion ou solution ?, in G. Conac, (dir),  L’Afrique en transition vers le pluralisme politique, ouvrage cité, pp69-77, p70

[43]. A titre indicatif, supra, note 6 ; X. Harel, Afrique. Pillage à huis clos, Paris, Ed. Fayard, octobre 2006, pp11-110 ; X. Harel, T. Hofnung, Le scandale des biens mal acquis, Paris, La Découverte, 2011, 256p ; « Ces fortunes africaines qui embarrassent la France », La Tribune, 3 et 4 décembre 2008 ; L’Express, n° 3006, du 12 au 18 février 2009 ; F. Bankounda-Mpélé, Biens mal acquis…participent du pouvoir mal acquis, zengamambu.com, novembre 2010 ; F. Bankounda-Mpélé, L’indécence d’Etat ou ‘l’Etat honteux’ validé, mediapart.fr, avril 2013

[44]. Acte fondamental du 5 avril 1977 ; Acte fondamental du 7 février 1979 ; Acte fondamental du 30 mars 1979 ; Constitution du 8 juillet 1979 ; Acte fondamental du 4 juin 1992 ; constitution du 15 mars 1992 ; Acte fondamental du 24 octobre 1997 ; Constitution du 20 janvier 2002. On peut y ajouter les révisions constitutionnelles du 23 août 1984, du 20 février 1990 et celle mort-née de décembre 1990 opérée pour tenter d’empêcher la conférence nationale demandée par l’opposition qui s’ouvrira en février 1991 et noiera la révision de décembre.

[45]. A titre indicatif, parachuté au pouvoir en octobre 1997 par l’armée angolaise avec un Acte fondamental (régime provisoire) en main octroyé aux Congolais le même mois (le 24 octobre précisément), le ‘forum’ organisé au printemps de l’année suivante, soit quelques quatre mois après, ne remettra en cause aucun mot, pas même une virgule de cet Acte qui durera et régira quand même, théoriquement du moins, les pouvoirs publics cinq ans.

[46]. Dans la même situation, le Président zambien Frederick Chiluba, dont les intentions étaient connues, mais se heurtant à une forte réaction politique, prétendra, en mai 2001, qu’il n’avait jamais pensé à un autre mandat : « je respecte toujours ma parole, je vais quitter le pouvoir… »

[47]. Il en est quasiment de même dans beaucoup d’autres Etats africains dont le Congo-Démocratique, le Centrafrique, le Niger, le Burkina Faso, le Togo, Madagascar, la Guinée Conakry, la Gambie, la Cote d’Ivoire post-Boigny, etc… De façon exclusive, et contrairement à certaines idées reçues, en Afrique centrale, jusqu’ici et depuis les indépendances, l’alternance se fait attendre car, si au Congo et en Centrafrique, l’avènement de la démocratie s’est confondu et a eu raison des dictateurs en place, les présidents élus (P. Lissouba et F. Patassé) ont été sortis par coup d’Etat (cf. notamment, JM Essono Nguéma, L’impossible alternance démocratique en Afrique centrale, Paris, L’Harmattan, 2010)

[48]. Cf. notamment R. Boutet, Les trois glorieuses journées ou la chute de Fulbert Youlou, Dakar, Ed. Chaka, 1990

[49]. Notamment : F. Bankounda-Mpélé, Repenser le président africain, Communication au VIIème congrès français de droit constitutionnel sur le ‘Cinquantenaire de la Vème République’, septembre 2008, in Revue Politique et Parlementaire, 113ème année, n°1058, 1er trimestre 2011, pp.139-155 ; F.J. Aivo, Le président de la République en Afrique noire francophone, Paris, L’harmattan, 2009