Pourquoi le départ de Sassou en 2016 est-il non négociable ?

La quête du pouvoir est le substrat de l’être humain, la comprendre permet au peuple d’imaginer des solutions appropriées à ses préoccupations. Si le propre du genre humain est d’évoluer  vers un avenir meilleur, l’égoïsme naturel de l’homme le pousse souvent vers l’accaparement de tous les pouvoirs entre ses mains en vue de soumettre et d’oppresser ses  semblables.

De fait, l’ivresse que procure l’image de soi que lui renvoient chaque jour, les médias ; la sensation d’être Dieu parce qu’il détient entre ses mains, le pouvoir de défaire des vies, d’en fabriquer, d’ordonnancer même la mort et de l’administrer ; la crainte, l’envie, la soumission et la terreur qu’il suscite autour de soi. Dès lors, la pérennisation de ce statu quo devient une véritable obsession.

Depuis un certain temps, les marchands de la peur et d’illusions d’un des régimes les plus corrompus d’Afrique, montent au créneau  pour justifier l’injustifiable. Ces constitutionnalistes en herbe rivalisent des mâles propos, en arguant avec emphase que toute œuvre humaine pouvait être modifiée, dès lors que les procédures étaient  respectées et que la révision s’effectuait  dans les formes républicaines. En réalité, l’axe central de ce funeste projet  reste soutenu par les deux faces du miroir aux alouettes qui sont : la consolidation des moyens de toutes sortes pour le  contrôle de l’Etat,  ad vitam aeternam et la crainte de la perte des avantages liés à l’accaparement de celui-ci.

Mais de quoi parle-t-on ? En faisant table rase sur les acquis de la CNS, les dirigeants actuels se sont dotés en 2002 d’une nouvelle constitution, taillée sur mesure. Cependant, les rédacteurs de ladite constitution étaient beaucoup guidés par l’obsession de la stabilité politique qu’incarnerait un « Homme fort », en rejetant tout bonnement aux calendes grecques, la mise en place des institutions fortes, expression de la vitalité d’une démocratie.

Assurément, dans les mois à venir, les laudateurs du «  Chemin d’Avenir » vont pinailler jusqu’à satiété sur  trois séries d’arguments;  les uns plus fantaisistes et plus fielleux  que les autres. Pour conjurer la catastrophe  et aider notre pays à s’arrimer dans la modernité ;  toute réflexion devrait s’interdire de distribuer l’aménité ni de séduire inutilement, elle doit armer. Comprendre pour s’armer contre les basses stratégies de ceux qui tirent doctement les ficelles dans le clair-obscur, exige un éclaircissement de l’approche conflictuelle de l’interprétation de la constitution de Janvier 2002.

Pourfendre les deux ou trois subterfuges sur lesquels s’appuiera  leur campagne, exige une certaine rigueur intellectuelle qui fait appel  tout autant à l’argument juridique qu’à la réflexion pure.

Une révision constitutionnelle,  serait elle légale et/ou légitime ?

C’est un truisme de le dire. Ce pouvoir  né dans le sang  voulait à tout prix se donner bonne conscience en flanquant leur nouvelle constitution des articles qui avaient scellé sa rigidité dans le marbre. Mettons sur la table les trois articles les plus emblématiques :

-Art 57 : Le Président de la République est élu pour sept ans au suffrage universel direct. Il est rééligible une fois.

-Art 58 : Nul ne peut être candidat aux fonctions de Président de la République

– s’il  n’est âgé de quarante ans au moins et soixante dix ans au plus à la date du dépôt de sa candidature ;

-Art 185 : La forme républicaine,  le caractère laïc de l’État, le nombre de mandats duPrésident de la République ainsi que les droits énoncés aux titres I et II ne peuvent

f aire l’objet de révision.

En dépit de toute vraisemblance, le piège qu’ils avaient tendu au peuple congolais s’était insidieusement refermé sur  eux. Grâce à son  statut spécifique  et à sa primauté par rapport aux autres règles de droit, une  constitution  se hisse au rang de «  pacte fondamental » de la Nation.  Elle devient   à la fois le concentré de l’histoire du peuple congolais  et la plate-forme de ses espérances.

Comme on peut s’y attendre, la spéciosité de leur argumentaire tournera autour de la légalité d’une révision constitutionnelle. Or, toute action relevant de la légalité n’est pas forcément légitime. Toute légitimité ne peut être que  la conformité à la conscience du moment.

La refonte du texte fondamental ne peut être opportune que lorsqu’elle vise une modification structurelle, sans arrières pensés politiques. Le climat actuel est pollué  par les velléités monarchiques de Sassou, ce qui ne fait que compliquer davantage  les choses. Le contexte dans lequel a été conçu ce texte, était particulier, dans l’euphorie de la victoire militaire d’Octobre 1997,  puisqu’il a permis de s’attaquer à la limitation des mandats présidentiels, à la limitation d’âge, mais surtout d’y appliquer une certaine rigidité des articles 57 et 58, aux seules fins de permettre une alternance politique.

Il importe de préciser que, ces interdictions ne sont pas une spécificité congolaise. Dans bien des constitutions dans le monde, ces interdictions existent bel et bien. En Allemagne par exemple, en réaction au totalitarisme hitlérien, la loi fondamentale de 1948 interdit toute révision portée sur la préservation de l’ordre démocratique et libéral : de même, en France, depuis la révision de 1884, aucune révision constitutionnelle n’est permise sur la forme républicaine de pouvoir et, enfin, aux Etats-Unis, depuis l’expérience fâcheuse d’exercice du pouvoir de Roosevelt, la recherche de l’efficacité a postulé à ce que le mandat présidentiel ne soit successivement exercé que pour tout au plus deux mandats.

–  Faut –il encore accorder du temps au «  bâtisseur infatigable » pour parachever son oeuvre ?

Ben voyons ! Sans circonlocutions, disons-le : un Président qui n’a pu réaliser ses ambitions pour le pays en trente ans  de pouvoir sans partage ne saurait les réaliser en sept ans, voire plus. Ce faisant, il serait sage de laisser sa place à une nouvelle équipe plus inspirée et mieux aguerrie.

Pendant tout son long règne,  Sassou n’a poursuivi  que ses intérêts personnels, de son clan, de son ethnie. Rien ou presque n’a été   entrepris pour  redonner à la politique ses lettres de noblesse qui devaient en faire,  le lieu d’expression des attentes différentes quant à l’avenir de la cité. Malheureusement, il a tout mis  en œuvre  pour considérer  l’Etat comme un réseau de relations et non pas comme un ensemble de fonctions devant être remplies de manière neutre et objective.

Le Congo doit tourner  la page de trente ans de gabegie financière, qui ont fait du  Congo le lieu commun du partage de ses biens entre gens d’un système mafieux, sans commune mesure. « Le bâtisseur infatigable » et  son clan  s’affranchissent allègrement des notions de scrupule et de sacralité de l’argent public.

La récente virée azuréenne de celle que Collinet Makosso appelle par   «  Trésor vivant de la Nation » ( sic), à plus d’un million d’Euros, est restée en travers de la gorge des congolais. Le vice élevé au rang de vertu.  Il y a  comme corollaire l’enrichissement facile par montages financiers interposés ; offres de marchés publics, de gré à gré, notamment lors des couteuses et improductives campagnes de «  municipalisation accélérée ». C’est l’oubli d’un environnement social marqué par une descente des populations aux abysses de l’absolue pauvreté. Bref,  sous couvert de projets infrastructurels non prioritaires, financés en grande partie par les emprunts chinois aux contours flous,  notre pays est devenu un vaste champ de nébuleuses.

La perte du contact avec la réalité obstrue toute lucidité, et le pouvoir moribond de Sassou refuse de comprendre qu’il faut bien plus que la maîtrise logomachique et l’habileté manœuvrière, pour gravir l’ultime marche du panthéon politique. Il faut  plus, même qu’au bout de longues années de pouvoir sans partage, être en paix avec sa conscience, serein au soir tombant du destin, persuadé que l’action menée est sa meilleure plaidoirie. Détaché des événements, détaché de soi, c’est parce qu’il n’attend plus rien que le politique obtient alors ce luxe suprême d’être un grand homme, au moment précis où cela lui est devenu indifférent. Ce n’est pas le cas de notre grand timonier, obsédé par la gloutonnerie du pouvoir.

3°  La paix par  les armes, est-elle une paix  viable?

Les congolais ont tendance à voir la stabilité comme personnalisée. Une stabilité  garante d’une paix véritable  n’est viable que lorsqu’elle tire sa force des institutions fortes.  Nous avons vu que tout le long de son règne, Sassou s’est attelé à vampiriser toutes les institutions en les mettant tout bonnement  au service  de son pouvoir.

Hisser  Sassou  au statut d’un homme de paix, ressemble à s’y méprendre à  appliquer un cautère sur une jambe de bois. Depuis plus de trente ans,  Sassou  a toujours été mêlé à toutes les turpitudes politiques, qui,  de façon récurrente, ont fait bégayer l’histoire de notre pays. Résultat des courses : chaque fois qu’il était en dehors du pouvoir, la paix était plus que jamais menacée.

La seule paix qu’il a instaurée au Congo est la paix par  les armes. Machiavel l’a écrit, Sassou s’en inspire. Afin de maintenir la population sous une pression d’une puissance insoupçonnée, il achète de façon ostensible,  des quantités impressionnantes d’armes de guerre. En paix avec tous ses pays voisins, le Congo n’est menacé par aucun péril extérieur. Il sait que les Congolais, traumatisés par des décennies de guerres civiles, ne pouvaient aucunement occulter cette peur. Un de ses prodigieux exploits, est d’avoir réussi à implanter de façon insidieuse cette peur dans le code génétique du congolais lambda. Une paix saine se ressent au quotidien, elle ne se décrète point.

Tout compte fait, il est toujours souhaitable d’avoir une représentation parfaite des conséquences politiques qui peuvent résulter d’une révision constitutionnelle avant de l’amorcer. On peut soutenir à l’envi le contraire, mais tout indique indiscutablement que la révision de ces trois articles,  sera un véritable affront que ce système poserait au peuple congolais, un véritable passage en force doublé d’une méprisante arrogance.

Alors, le départ de Sassou en 2016 est-il définitivement acquis ?  Pétri d’une dextérité méphistophélique, Sassou fera sans conteste,  son baroud d’honneur. Il reviendra  au peuple d’exhumer cette défiance qui pousse à la révolte.  La maturité politique du peuple congolais sera jugée à l’aune de sa capacité à relever ce défi, véritable obstacle à l’instauration d’une véritable démocratie au Congo.

Djess dia moungouansi : « La plume du Congo libre »