Réflexions sur le pouvoir et la violence politiques au Congo

violence-1-300x110-9728598Par : Edgard Kiganga Siroko

Au Congo, la période de mars à avril donne l’occasion de se souvenir des violences extrêmes  liées au meurtre d’un chef d’Etat en exercice, à l’assassinat d’un ancien chef d’Etat et du Cardinal Emile Biayenda en 1977.

 Mais nous ne saurons oublier les morts survenues dès les débuts de la jeune République, en novembre 1958 à Pointe Noire, lors du transfert contesté de la capitale vers son lieu actuel, les victimes  des affrontements inter-ethniques de février 1959, ainsi que les assassinats, en février 1965, de Joseph Pouabou, Lazare Matsocota et de Anselme Massouémé, personnalités unanimement saluées comme remarquables.

Nous pensées vont aussi en direction des nombreuses familles éprouvées du fait des exécutions criminelles par une sinistre cour martiale et autre  crapuleuse cour révolutionnaire d’exception, des accusés envoyés à la mort le 7 février 1978, après d’affreuses  tortures destinées  à leur extorquer des aveux imaginaires.

Nous pensons aux familles de Jean-Pierre Ndoudi-Ganga, Etienne Kinkouba, Samba-Dia-Koumbi, Grégoire Kouba, Daniel Kianguila, Germain Mizélé , Albert Konda, Pierre Diazenza, Simon Sissoulou, Daniel Kanza, et de Barthélémy Kikadidi qui sera exécuté le 13 février 1978.

Mais l’histoire retient aussi que le 23 mars 1970,  des citoyens Congolais avaient courageusement pris les armes, certains le payant finalement de leur vie, pour porter le fer  contre cette calamité du tribalisme, astucieusement cachée  sous un soi-disant langage révolutionnaire, qui se déclarait socialiste scientifique, que les anciens hérauts  ont lâchement remisé dès les premières mises en cause à la Conférence nationale de février 1991, sans aucun réel acte de contrition pour tout le mal fait  aux compatriotes  qui avaient eu le malheur de penser différemment…

C’est l’occasion  pour nous  de saluer à nouveau la mémoire  du Commandant Michel Kiyindou, du Capitaine Albert Miawama, du Capitaine Augustin Poignet, du Lieutenant Pierre Kiganga Siroko, de l’Adjudant-chef André Nkoutou, du Maréchal des logis Jean-Marie Mengo, du  Sergent-chef  Accablant Kouka et de bien d’autres civils, exécutés  pour s’être  simplement trouvés  aux abords de l’ancienne Maison de la Radio, alors sous contrôle des Résistants.

En février 1972, d’autres Congolais, membres du parti totalitaire, qui a continué les tortures, enlèvements, exécutions sommaires et bâillonnements des libertés fondamentales  de la très redoutée Jeunesse du Mouvement National de la Révolution (JMNR), avaient aussi tenté de contester en interne, l’organisation d’une armée aux postes –clé confiés aux Officiers supérieurs de la région  du Chef de l’Etat de l’époque et apparentés.

Ils l’ont également payé de leur vie dans des conditions dont la barbarie est d’autant plus restée dans les mémoires que la dépouille suppliciée du «  Camarade » Ange Diawara fut trimbalée et exhibée au stade omnisports construit pour les 1er jeux africains, avec retransmission en direct à la radio et la télévision, en méconnaissance du respect dû aux morts dans la culture des Bantous !

Même si leur vision politique, de la dictature  violente, au besoin sanglante, d’un prétendu prolétariat congolais, exercée par des représentants auto-désignés d’un parti dit d’avant-garde, en réalité des nouveaux oppresseurs, n’est pas  la mienne, Jean-Pierre Olouka, Jean-Baptiste Ikoko, Prosper Mantoumpa-Mpolo, Elie  Théophile Itsouhou et le talentueux musicien Franklin Boukaka ne méritaient pas  le sort tragique que la monstrueuse tyrannie leur a fait subir.

Ces violences continuent malheureusement d’émailler la vie politique du Congo, au point que le pays présente  une  des vies politiques les plus violentes et les plus sanglantes du continent africain…

Qu’on en juge !

Prise de pouvoir par les armes avec l’aide de mercenaires et d’armées étrangères au prix d’un nombre considérable de victimes innocentes ; véritables expéditions punitives récurrentes à visées génocidaires dans les régions sud du pays avec des armes de guerre ; tueries de masse des réfugiés regagnant  le pays par le port fluvial de la capitale ; tirs à balles réelles à la moindre manifestation publique ; refus d’enregistrer des formations politiques considérées comme hostiles; refus d’accès pluraliste aux médias d’Etat; modifications anticonstitutionnelles des institutions et des processus électoraux pour se maintenir indéfiniment au pouvoir ; népotisme pour transmettre le pouvoir politique aux progénitures etc…

De sorte que au Congo les dénominations politiques les plus classiques posent des difficultés !

Comment par exemple affubler la police et  l’armée du Congo du qualificatif de «  nationale » quand elles me paraissent plus s’apparenter  à des milices ethniques déguisées, tant leurs structures de commandement sont quasi exclusivement aux mains de responsables issus de la même extraction ethno-régionale que le chef de l’Etat actuel ?

Que dire de l’Assemblée dite « nationale » quand elle résulte de parodies d’élections sans véritable choix, et de découpages électoraux iniques destinés à octroyer des majorités extorquées, excluant  de fait  de la vie parlementaire des populations en réalité majoritaires ?

Nous ne pouvons laisser faire les choses, au risque d’un naufrage collectif  tiré de la succession des cycles de violences  et des réactions aux violences initiales, similaire à la situation des Hutus et Tutsis au Rwanda.

Que faire ? Une mise en perspective du bien-fondé  d’un pouvoir politique  s’impose.  En effet, le pouvoir politique  pour gouverner un Etat doit être un  pouvoir géré en commun, propre  à une communauté de personnes dont les membres sont capables d’agir les uns avec les autres pour le bien commun.

Le pouvoir politique doit reposer sur la légitimité  qui est celle reconnue à brèves échéances électorales régulières  par des citoyens libres et égaux.   Il s’oppose au pouvoir personnel  caractérisé par l’emploi de la force  de contrainte  qu’un individu ou groupe d’individus exercent en situation de monopole, s’appropriant  les leviers de violence pour l’imposer illégitimement  aux autres citoyens.

En réalité,  les violences politiques  exposées renvoient  souvent à des tensions liées à l’âpreté   du combat  entre groupes ethniques pour l’accès aux ressources financières publiques  afin d’en disposer de manière hégémonique, voire exclusive.

A ces tueries, tortures, détentions arbitraires au coût humain apocalyptique, s’ajoutent des violences insidieuses qui relèvent de l’incurie à gérer le pays efficacement,  de l’incompétence faire fonctionner et à  entretenir  les services et biens publics, hôpitaux, établissements d’enseignement, routes, distributions d’électricité et d’eau, de manière efficiente, avec des conséquences terribles sur les conditions de vie des populations, maintenues dans un état de misère indicible.

Comment passer sous silence et qui pourra chiffrer les innombrables pertes en vies humaines  journalières  des Congolais  dans les établissements de santé des plus grands centres urbains, par manque des  soins de première nécessité ?

Dans un contexte de prédation des ressources nationales protégée par la nomination des parents du chef de l’Etat aux commandes des principales entités économiques du pays et par la privatisation des appareils de production de violence, l’armée et le service dit de surveillance du territoire devraient à terme être supprimés dans la mesure où ils ne servent qu’à espionner et à persécuter les opposants et les résistants politiques.

A l’instar du Costa Rica, Panama, l’Islande et autre l’Ile Maurice qui n’ont pas d’armée, ont conclu des accords de défense qu’on peut progressivement mettre en œuvre  dans le cadre d’un système de défense collective au niveau sous régional en Afrique du centre, qui devrait en outre être doté de pouvoirs similaires à ceux de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest.

Chacun se souvient qu’ils  ont servi en janvier 2017 à envoyer des troupes militaires africaines communes en Gambie pour chasser M. Yahya Jammeh qui refusait de quitter le pouvoir au terme de son mandat constitutionnel.

C’est à la restauration de ce pouvoir en commun que nous devons nous atteler, qui  doit se caractériser par sa légitimité, utilisée à bon escient, pour ne plus permettre aux dictateurs infatigables de revenir par la force, car la tyrannie fait toujours le pari de la résignation des populations anéanties dans leurs facultés d’agir en commun.

Tel est me paraît être le chantier impératif à mette en œuvre au Congo en particulier et plus généralement dans la plupart des Etats Africains.

Edgard Kiganga Siroko