Sony Labou Tansi, le roman d’une vie

L’œuvre de l’auteur congolais Sony Labou Tansi est enfin sauvée, grâce à la ténacité de ses amis français, soutenus par la famille de l’écrivain.

Flashback. Nous sommes en 1997, le Congo replonge dans la guerre civile. Comme tous les Français, Nicolas Martin-Granel doit quitter le pays sous 24 heures, avec un petit baluchon pour seul bagage. Plutôt que des effets personnels, il y glisse quelques cahiers d’écolier remplis d’une écriture ronde, régulière et sans ratures. Des manuscrits de Sony Labou Tansi.

«J’ai emporté ce que j’avais chez moi, toutes les photocopies et quelques cahiers originaux, car je redoutais qu’ils soient détruits par la guerre. Au moins en France seraient-ils à l’abri!», raconte le chercheur français.

La même année, celui-ci fait paraître, avec le journaliste Bruno Tilliette, un premier volume d’inédits de Sony Labou Tansi, L’autre monde (Revue Noire, 1997). C’est le début d’une aventure. Nicolas Martin-Granel, coopérant à Brazzaville, s’était lié d’amitié avec l’écrivain congolais jusqu’à ce que celui-ci meure du sida en 1995.

«C’était une personnalité avide de nouveaux contacts et politiquement engagée dans la démocratisation du pays. Nous avions longuement parlé de l’anthologie que je venais de finir, Rires noirs (Sépia, 1991, épuisé) poursuit ce connaisseur de l’Afrique, très tôt convaincu que celui qui signait ses manuscrits «SLT» était un écrivain «d’une envergure comparable à celles de Rimbaud, Hugo et Artaud auxquels il se référait volontiers».

Mais Martin-Granel devra patienter jusqu’en 2003 pour retourner au Congo, en compagnie d’une autre passionnée, Greta Rodriguez-Antoniotti, qui prépare une thèse sur le théâtre de Sony et Bernard-Marie Koltès. Entretemps, les archives que possédait le mentor congolais de «SLT», Sylvain Bemba, ont brûlé dans l’incendie de sa maison. Il y a donc urgence. Greta se rend dans l’ancienne demeure de Sony, occupée par des locataires. C’est le choc: la cantine qui contenait les manuscrits a été volée.

«Tout était sens dessus dessous, les cahiers jetés en vrac, certains étaient mangés par les bestioles, d’autres décousus, les morceaux de papier éparpillés dans la maison», se souvient-elle.

En 2005, dixième anniversaire de la mort de Sony, les deux acolytes réalisent un magnifique coffret rassemblant quelques-unes de leurs trouvailles. Trois volumes édités par la Revue noire afin de présenter la diversité des écrits de «SLT». Correspondance, poésies et romans, ainsi que la version originale de L’Etat honteux (Seuil, 1981) auquel ils restituent le titre préféré de l’auteur, Machin la Hernie. Aucune institution chargée de promouvoir la francophonie n’aide au financement de cette publication. Nicolas Martin-Granel casse sa tirelire pour produire ce coffret. L’idée n’est pas de proposer une édition savante, mais de faire sentir le texte au plus près.

«Sony a inventé une nouvelle écriture qui ne se résume pas au réalisme magique. Il y mêle franc-parler, insolence, pensée prophétique, amour des mots, satire et surtout humour», résume-t-il.

C’est alors qu’en France, l’Institut des textes & manuscrits modernes (Item), un laboratoire du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), constitue une équipe «Manuscrits francophones». Nicolas Martin-Granel, inquiet qu’une nouvelle guerre détruise les manuscrits de Sony, obtient un billet d’avion pour se rendre au Congo. Il en est revenu début avril 2011, après un mois de travail durant lequel il a découvert de nouveaux textes, terminé l’inventaire, et scanné les manuscrits. L’œuvre de SLT est désormais sauvée.

«C’est la première fois que nous avons libre accès aux textes originaux d’un écrivain africain. Nous allons enfin pouvoir entreprendre un travail sur la genèse de son œuvre. Et peut-être faire taire les rumeurs à propos des prétendus « nègres » qui auraient écrit à la place de Sony», se réjouit-il.

Il suffit d’ailleurs de feuilleter la correspondance (1973-80) de l’écrivain congolais avec les producteurs de radio José Pivin et Francoise Ligier, qui furent les premiers à saisir la singularité du jeune Sony, pour voir combien Sony Labou Tansi «boxe» avec l’écriture et parfois se décourage.

Mais l’homme sentait le soufre. Il s’était engagé dans la guerre civile, mais du mauvais côté. Ses positions de plus en plus radicales l’ont isolé durant les dernières années de sa vie. Son œuvre littéraire peut choquer, sa pensée apocalyptique déranger, et c’est justement ce qui fait son originalité. Son écriture rompt avec «la palabre sous les baobabs», la négritude de Senghor, la sagesse africaine d’Hampâté Bâ… Et pour Nicolas Martin-Granel, il est grand temps de «mieux faire connaître « SLT » aux Africains eux-mêmes, ainsi qu’aux lecteurs du monde entier pour qu’il soit enfin lu non pas seulement comme un intellectuel, mais comme un auteur moderne et universel». D’ailleurs n’est-ce pas Sony Labou Tansi qui a inventé le terme, très actuel, de «cosmocide»?

© Ariane Bonzon

Bibliographie

Textes variés: L’autre monde, écrits inédits (Revue Noire, 1997)

Roman: L’anté-peuple (Points Seuil, 2010)

Theâtre: La parenthèse de sang (Hatier, Monde noir poche, 2002)

Poésie: 930 mots dans un aquarium (Volume 2, in l’Atelier de Sony Labou Tansi, Revue noire, 2005)