Libre propos

Lors de mon séjour au pays, plus précisément à Kinkala, j’ai eu à dédicacer, à l’occasion du 52è anniversaire de notre indépendance, mon livre « Réflexions et démocratie pluraliste au Congo-Brazzaville. Certains universitaires, confondant cérémonie de dédicace et soutenance de mémoire, se sont illustrés par des propos qui n’honorent pas leur grade. Ces mêmes universitaires qui n’avaient pas pu digérer mon coup de gueule intitulé « Université Marien Ngouabi : des mémoires de maîtrise et de C.a.p.e.s aléatoires » paru dans Afrique Éducation n° 125 du 1er au 14 janvier 2003. Dans une université qui peine à mettre en œuvre le système LMD, ce genre d’enseignants, imbus de leur personnalité, devraient se mettre en cause pour la bonne marche de notre université. Et cette réflexion ci-après « L’Afrique centrale absente de la liste des 100 meilleures universités du continent » (http.//www.afrology.com) publiée en 2008 dans l’exercice de mes fonctions est à revisiter car peu de choses ont changé en quatre ans dans notre sous-région en ce qui concerne l’enseignement universitaire.

Sur la liste des 100 meilleurs établissements universitaires que vient de publier le site www.20mai.net, on constate une absence notoire des universités de l’Afrique centrale. Une situation qui devrait interpeller les gouvernants ainsi que les décideurs du monde éducatif de la région dans la mesure où l’université contribue énormément au développement d’un pays par l’intermédiaire de la recherche au niveau des sciences humaines et exactes. Une remarque pertinente sur ce classement : la grande présence des universités anglophones qui pourrait être synonyme de suprématie du système éducatif anglo-saxonne sur celui des Francophones.

Une université se respecte par la notoriété de ses enseignants et la pertinence de ses travaux de recherche. Mais dans certains pays où sont passées la mauvaise gouvernance sur fond de népotisme et les guerres interethniques, l’université a vu ses cadres aller exercer sous d’autres cieux. Dans les universités de l’Afrique centrale où les professeurs titulaires se comptent sur le bout des doigts, et où les travaux de recherche sont en général sous la direction des maîtres-assistants et vacataires, on ne peut pas être étonné de leur classement médiocre sur l’échiquier continental. A l’École normale supérieure de Brazzaville où j’ai exercé, la majorité des départements compte plus de vacataires que d’enseignants titulaires. Et l’on remarque aussi que certains enseignements ne sont pas confiés à leurs spécialistes.

Les conditions de travail dans les universités de l’Afrique centrale

Les universités du Congo-Brazzaville, du Gabon, de la République centrafricaine et du Tchad ont vu le jour après la disparition de la FESAC (Fondation de l’enseignement supérieure en Afrique centrale) mise en œuvre par l’Unesco pour la formation des enseignants du secondaire de la région. Après plusieurs décennies, ces universités restent en général marginalisées dans les programmes de développement socioculturels élaborés par les gouvernements qui se sont succédé dans cette région. Des pays comme le Gabon et le Cameroun devraient profiter de leur quiétude sociale pour revaloriser leurs universités par rapport aux autres qui ont été secoués par des guerres civiles. Mal rémunérés et travaillant dans des conditions aléatoires, les enseignants de ces pays ont eu du mal à s’extérioriser. Les bibliothèques universitaires sont absentes et ne sont pas mises à jour quand elles existent comme au Congo-Brazzaville. Être bien suivi dans ses travaux de recherche pour les étudiants devient une sinécure car leurs professeurs sont souvent partagés entre les classes et les bureaux de certains politiques dont ils sont des conseillers. Dans ces pays où les enseignants ne sont pas généralement bien payés quand on voit le travail qu’ils fournissent ainsi que leur cursus universitaire, l’on constate le départ de certains d’entre eux vers d’autres horizons plus rémunérateurs.

L’enquête faite au niveau des compétences de la diaspora de l’Afrique centrale révèle qu’il y a des universitaires bien formés et capables d’aller rehausser le niveau de formation dans leur pays. Mais se posent les conditions de travail avec des salaires qui ne permettraient pas de mener à bien leurs enseignements et recherches. Dans ces pays, on a parfois des hommes qui n’ont que le niveau du secondaire mais qui gagnent mieux leur vie que des universitaires parce qu’acteurs politiques au pouvoir. Et cette situation n’encourage pas certaines compétences de rentrer à Ndjaména, Brazzaville, Bangui ou Libreville où ils seront plus nécessiteux que dans les pays du Nord où certains se sont donnés à des petits métiers qui leur donnent le minimum vital malgré la « mise au placard » de leurs diplômes.

Revaloriser l’université en Afrique centrale

Aucune université de l’Afrique centrale sur la liste des cent meilleures du continent et cela devrait interpeller nos décideurs politiques car ils doivent comprendre que l’éducation est l’une des conditions fondamentales pour le développement d’un pays en dehors de la santé. Et apparaît chez nos politiques un élan égoïste quand ils préfèrent envoyer leurs enfants aller étudier dans les pays du Nord et où ils vont aussi se faire soigner au moindre mal. Les pays d’Afrique centrale ont des richesses énormes qui devraient leur permettre de reconsidérer leur système éducatif en revalorisant la condition enseignante. Que de compétences de l’Afrique centrale devenues Français, Britanniques, Canadiens et Américains qui voudraient participer au développement de leur pays ! Mais malheureusement ils sont incompris par les dirigeants de leur pays qui ont souvent lié le tribalisme à leur vision monarchique dans la direction de l’État.

Les universités d’Afrique centrale, une catastrophe humanitaire quand on se réfère à la place qu’elles occupent sur le classement continental par rapport à celles de l’Afrique de l’Ouest. Et quand on se rappelle les quelques années post-indépendances quand les étudiants de ces pays venaient se former dans des universités de l’Afrique centrale comme le Centre d’enseignement supérieur de Brazzaville qui s’est transformé en Université de Brazzaville depuis 1972. Et ces établissements de l’Afrique centrale sont maintenant classés loin derrière l’université Cheik Anta Diop (Sénégal) et l’université de Ouagadougou (Burkina Faso) qui occupent respectivement les 14è et 37è places. (…) Si l’Afrique centrale néglige ses universités, elle va droit au mur : triste réalité d’une région riche qui mériterait mieux que ça de ses politiques.

Noël KODIA (Ecrivain et universitaire à Paris).

(Source : Afrique Education n° 355-356 du 1er au 31 octobre 2012