Lorsqu’à la manifestation populaire du 12 mars 2016 où culmine la campagne pour les présidentielles de Jean-Marie Michel Mokoko (J3M), les citoyens de Pointe-Noire scandent: «Ya beto ya mbongo ve, ya beto ya mpamba» (Nous, ce n’est pas pour l’argent, nous, notre soutien est gratuit), outre le sens de leur ralliement au général, ils veulent signifier deux choses
1- leur ras-le-bol des candidats qui prétendent acheter leurs votes avec quelques milliers de francs;
2- leur besoin d’une démocratie réelle, débarrassée des préoccupations mercantiles.
Le raz-de-marée électoral pro-Mokoko qui s’en est suivi à Pointe-Noire et dans le Kouilou illustre, s’il en était besoin, leur détermination inébranlable. Et chacun sait qu’ils ne furent pas les seuls Congolais à exprimer ce besoin d’une démocratie réelle, où les mêmes chances seraient garanties à tous les Congolais et non pas seulement à ceux qui peuvent payer pour la santé de leurs enfants, leurs études, leur droit au travail ou tout simplement, leur survie au quotidien.
Bref, ce rêve d’une démocratie réelle, comme chacun sait, fut vite étouffé par une administration aux ordres et une justice corrompue, au grand dam de citoyens congolais médusés, mais impuissants à apporter la preuve de leur victoire. C’est donc la nouvelle Constitution, décrétée le 25 octobre 2015, qui s’applique aujourd’hui. Dans ce contexte, la nouvelle loi électorale n°1-2016 modifiant celles du 25 mai 2007, du 23 mai 2012 et du 1er septembre 2014, a été adoptée le 23 janvier 2016. Elle concerne les élections du Président de la République, de l’assemblée nationale et du sénat, et les locales. Cette loi peut-elle répondre aux attentes de ceux qui, à Pointe-Noire, comme dans tout le Congo, réclament plus de démocratie? Trois points retiennent l’attention dans ces nouvelles dispositions: – le cautionnement exigé des candidats; – l’âge d’accès aux élections à l’assemblée nationale et aux locales;
– la place faite aux femmes.
Le cautionnement, en ce qui concerne l’élection présidentielle, n’est pas nouveau. On peut toutefois regretter que son montant de 25 millions de francs Cfa non-remboursable, augmenté de 5 millions à la veille des élections anticipées de mars 2016, sans doute pour faire barrage aux nombreux candidats de l’opposition, n’ait pas été revu à la baisse. Dans un pays où le salaire minimum interprofessionnel garanti (Smig) est à 50.000 F Cfa et où seule une minorité de Congolais peut accéder à un salaire mensuel d’un million de francs Cfa, le cautionnement exigé représente, pour la majorité de l’intelligentsia, plus de deux ans de salaire. Autrement dit, dans l’état actuel du pays, seuls les cadres de la Société nationale des pétroles du Congo (S.n.p.c), les ministres récents ou actuels et les parlementaires récents ou actuels sont en mesure de prétendre à cette élection. Tout cela est-il bien démocratique, quand on sait de quelle couardise et de quel égoïsme sont capables les prétendus élus et serviteurs du peuple? Qu’un tel texte ait pu réunir la majorité des votes des parlementaires, n’est-ce pas la preuve qu’ils ne pensent qu’à eux? Et à favoriser la création de dynasties de Congolais fondées ni sur la naissance, ni sur le mérite, mais sur une fortune aux origines douteuses?
Le cautionnement de 1.500.000 F Cfa pour les élections à l’assemblée nationale et au sénat est un peu moins prohibitif pour la bourgeoisie congolaise où se recrutent la plupart des cadres, c’est-à-dire des citoyens susceptibles d’orienter et de conduire la politique du pays. Cette somme représente cependant, pour la plupart d’entre eux, plus d’un mois de salaire. Dans ces conditions, combien pourraient se lancer dans cette aventure? Et pour quelle motivation?
Quant aux Congolais âgés de 18 ans, combien peuvent se payer ce luxe, hormis les fils à papa, qui disposent d’argent de poche pouvant leur permettre de s’offrir des 4×4 à 80 millions de francs Cfa? N’est-ce pas là un nouveau pas vers la ploutocratie, le pouvoir des riches, contre la démocratie prônée par la nouvelle Constitution? Le cautionnement de 500.000 F Cfa pour les locales constitue, sans doute, un «cadeau» fait aux femmes dont la représentativité «à raison de 30% au moins pour chaque liste de candidats», n’est prise en compte que dans ce seul cas. Pourquoi n’est-elle pas exigée pour les élections législatives et sénatoriales? Surtout quand on sait que les femmes sont plus nombreuses que les hommes (51% des Congolais) et vivent plus longtemps qu’eux: 56 ans contre 54. Sans doute, parce qu’il s’agit là d’un scrutin de liste.
Mais, les candidats à l’assemblée et au sénat ne sont-ils pas, comme pour les locales, présentés par les partis ou groupements? Qu’est ce qui empêche de sanctionner ces partis, en cas de manquement, comme en France, par exemple?
Ici encore, comme pour les législatives, les jeunes âgés de 18 ans au moins peuvent être candidats. Aux frais de qui, quand la caution exigée n’est déjà pas à la portée de la grande majorité des travailleurs congolais? N’est-ce pas là encore un cadeau offert aux fils à papa? Ou, pure démagogie?
A 18 ans, rares sont les jeunes Congolais titulaires du baccalauréat. La plupart d’entre eux triment encore pour décrocher le fameux sésame. En 2015-2016, 21% seulement y ont réussi. Et avec quelles lacunes?
Nombre de bacheliers de plus de 18 ans ignorent quels pays constituaient l’Afrique équatoriale française (A.e.f), capitale Brazzaville, et sont incapables de citer les pays membres de la Banque des Etats d’Afrique centrale (B.e.a.c) -et je parle ici d’expérience-. Est-il bien raisonnable de leur confier notre avenir politique dans ces conditions? Ne vaudrait-il pas mieux, au préalable, se pencher sur les raisons de telles lacunes et s’attacher à y remédier? Quelle contribution serait la leur, sinon le suivisme que nous reprochons aujourd’hui à leurs parents et aînés? Et à qui profiterait ce mimétisme, si ce n’est à ceux qui leur proposent ces cadeaux empoisonnés, pour précisément perpétuer à jamais leur main-mise sur le pays?
Dans un pays où l’éducation civique fait l’objet de perpétuelles recommandations, sans jamais être véritablement enseignée, où il est interdit de critiquer ou même seulement de débattre librement, que peuvent apporter des jeunes sans expérience, ni culture d’aucune sorte? Ne ferait-on pas mieux de les aider à se consacrer à leurs études pour se forger un avenir moins aléatoire? Car, que deviendraient-ils, sans diplôme, sans savoir-faire, si jamais, après avoir goûté à l’argent facile, ils venaient à perdre les élections suivantes? Des politicards aigris, condamnés à vivre aux dépens des bonimenteurs des régimes en place? Cette mesure, alléchante en apparence, qui leur est proposée, n’est-elle pas en fin de compte, un miroir aux alouettes? A moins qu’elle ne soit une manière déguisée d’imposer au peuple un pouvoir monarchique qui ne dit pas son nom? Car, les fils à papa, eux, même ignorants et incultes, disposent toujours d’un pactole qui leur ouvre les portes de l’avenir. Ce qui est loin d’être le cas de la majorité des Congolais.
Prudence donc! Et attendons peut-être jusqu’à 21 ans, le temps de consolider quelques acquis… Ce qui implique, bien entendu, que ces autorités, qui veulent du bien aux jeunes, organisent, à leur intention, des formations appropriées aux besoins du pays et s’efforcent de créer des entreprises qui leur permettraient d’intégrer valablement le monde du travail.
Les femmes, elles, reçoivent, comme d’habitude, la portion congrue: les locales où l’on ne brasse pas les millions promis aux députés et aux sénateurs, mais où la proximité des électeurs vous maintient constamment sous pression.
Le quota de 30% de représentativité des femmes, décidé à la conférence de Beijing en 1995, et jamais mis en œuvre depuis lors au Congo, va donc s’appliquer enfin, mais pour les seules élections locales et avec un temps de retard sur la nouvelle constitution qui, elle, garantit la parité, Article 17: «La femme a les mêmes droits que l’homme. La loi garantit la parité et assure la promotion ainsi que la représentativité de la femme à toutes les fonctions politiques, électives et administratives».
Je m’étonne que les Congolaises, si promptes à apporter leur soutien au régime en place, n’aient pas relevé ce manquement! Sans doute n’ont-elles pas connaissance de la nouvelle Constitution, pour laquelle elles ont voté! Quoiqu’il en soit, force est de constater que les femmes sont, une fois de plus, considérées comme quantité négligeable, même si la caution prévue pour accéder à cette élection est de deux tiers inférieure à celle exigée pour les législatives et les sénatoriales. Est-ce pour tenir compte de ce que la majorité des femmes relèvent essentiellement de l’économie informelle, particulièrement mise à mal en ces temps de crise économique?
Malgré cette fleur faite aux femmes et l’intérêt que semble accorder la nouvelle loi électorale aux jeunes, il est évident qu’elle n’est pas de nature à répondre à l’immense besoin de démocratie qui anime aujourd’hui les citoyens congolais. Les cautionnements élevés qu’elle exige sont prohibitifs pour la grande majorité des Congolais, les femmes et les jeunes en particulier.
Car, contrairement à ce que pourrait laisser croire l’abaissement de l’âge d’accès aux responsabilités politiques, loin de favoriser l’épanouissement des jeunes, le succès précoce, qu’ils ne sauraient être en mesure d’assumer, les réduirait à n’être que les pions de ceux qui feignent de vouloir leur ascension. De libres qu’ils étaient, ils deviendraient les obligés, pour ne pas dire les esclaves de ceux qui auraient facilité leur accès à ces postes, manifestement prévus que pour leurs seuls enfants à eux. La démocratie, débarrassée du poison de l’argent, tant souhaitée par les Congolais, n’est pas pour demain.
Mambou Aimée GNALI
Ancienne députée
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