Yvonne Adélaïde Mougany table sur le secteur informel pour résorber le chômage

commerce-300x167-9867729Par  Benjamin BILOMBOT BITADYS

Les aimables généralités débitées ce 7 avril 2019 par le ministre Adélaïde Mougany, pour masquer l’échec patent de Dénis Sassou Nguesso sur le flanc du chômage étaient dominées par ce mot d’ordre peu surprenant : il y a interaction entre secteur formel et secteur informel en tout cas pour le gouvernement « efficace » de Clément Mouamba (alors qu’il n’arrive pas à conclure un accord avec le FMI).

L’administration Sassou, après avoir annoncé la création de 40 000 emplois par an, espère se refaire une bonne image dans l’opinion du Congo-Brazzaville par ce moyen simple.

«  Au terme du travail effectué dans les départements de Brazzaville, Pointe-Noire, la Cuvette, le Niari, la Bouenza et la Sangha, il ressort qu’il y a 40.206 unités économiques dans lesquelles évoluent 73.322 personnes ayant généré 3.073 milliards de francs CFA en 2017. Sur la base des critères utilisés, on peut affirmer sans ambages que le secteur informel est dominé par les promoteurs congolais, majoritairement masculins attestant d’un niveau d’étude supérieur et secondaire technique à prés des deux tiers d’entre eux », a souligné Adélaïde Yvonne Mougany lors de la présentation du rapport sur la cartographie du secteur informel du Congo-Brazzaville (Vox Congo, 8 avril 2019).

Historique

La décennie 80 marque le début de la crise économique et la mise du continent africain ( en proie à des difficultés sans équivalent) sous administration du FMI et de la Banque Mondiale. Implicite bien avant les années 70, le secteur informel a pris de l’ampleur au point de concurrencer, à son avantage, le secteur formel. Déjà sous les menottes coloniales françaises, les agents économiques arrivaient à soustraire leurs productions de l’impôt dit de capitation, vertement dénoncé par les leaders des mouvements de résistance, dont André Grenard Matsoua au Congo-Brazzaville. Que de temps perdu aujourd’hui à élaborer des plans de sauvetage, à réduire des dettes, alors que, entre temps, les populations doivent vivre ou plutôt survivre : d’où la floraison, la prolifération et l’ampleur des activités du secteur informel.

Quelles sont les causes de cette émergence ? A quel type de difficultés se heurte-t-il ? Est-ce un frein ou un facteur de développement ?

Tentative de définition

Il existe plusieurs définitions du concept de secteur informel. Deux nous paraissent pertinentes. Première définition : on désigne par secteur informel les activités économiques qui se réalisent en marge de la législation pénale, sociale et fiscale ou qui échappent à la Comptabilité Nationale. C’est l’ensemble des activités qui se soustraient à la politique économique et sociale (et c’est la seconde définition), et donc à toute régulation de l’État.

Dans tous les cas, les deux définitions se recoupent puisqu’elles soulignent implicitement l’idée de fraude. Paradoxalement, ce secteur, censé frauduleux, fonctionne allègrement au nez et à la barbe de tous. Complaisance ? Ambiguïté de l’État ? Des trois secteurs connus ( primaire, secondaire, tertiaire), où classer l’informel dans la mesure où toutes les activités des trois secteurs y sont représentées ? Banques traditionnelles (tontines), ateliers de réparation, cyber-café (téléphone et Internet), immobilier (location logements), hôtellerie (maisons closes), médecine de proximité s’y côtoient. D’où la gêne qu’éprouvent certains économistes d’appliquer la notion de secteur aux activités dites de l’informel. À la trilogie « déterminante » classique, doit-on ajouter un quatrième espace qui serait le secteur informel ayant droit de cité au même titre que ses trois rivaux ?

Les raisons de l’émergence du phénomène

Entre 1950 et 1980, l’Afrique s’est distinguée par un boom démographique inversement proportionnel à la croissance économique. Avec un revenu per capita inférieur à 1000 dollars, ces pays n’ont pas moins franchi le cap de 24% de croissance démographique par an. Preuve s’il en était que pauvreté et forte natalité font bon ménage selon le proverbe «  le lit du pauvre est fécond  ».

Au cours de la même période, la population urbaine s’élevait au rythme de 6% par an et celle des quartiers périphériques de 10% alors que l’accroissement des emplois offerts dans le secteur formel ou secteur moderne ne représentait que 2%. Très vite, la demande d’emplois est apparue supérieure à l’offre. Le développement du chômage urbain, conséquence logique de la crise économique, s’est accompagné de l’émergence et de l’essor du secteur informel. Pour ces populations exclues du système officiel par le secteur formel c’est une question de survie. Le secteur informel joue un rôle d’adoption des migrants et un rôle d’accueil des agents économiques virés du secteur officiel. Il s’agit d’une zone tampon entre le secteur traditionnel rural ( le monde paysan où le troc est roi) et le secteur moderne. La fin du troc a poussé la population rurale vers le secteur informel, faute d’être captée par la fonction publique et les entreprises privées. Le commerce de proximité et la divisibilité des produits, et leur demande évolutive en raison de la faiblesse du pouvoir d’achat, est un facteur qui renforce le couple vendeur/acheteur. Cette relation, au-delà de sa fonction économique, favorise une convivialité absente dans le secteur formel où les prix ne donnent pas lieu à des négociations.

Le progrès de la science et l’utilisation des nouvelles technologies entraînent la baisse de l’emploi due à l’usage des technologies employant peu de main d’œuvre. La baisse, sans cesse croissante, du pouvoir d’achat des salariés exerçant dans le secteur moderne incite les ménages à rechercher des revenus complémentaires dans le secteur informel pour joindre les deux bouts du mois. L’adoption et la mise en œuvre des politiques d’ajustement structurel avec ses effets pervers (réduction des salaires, diminution des effectifs de la Fonction publique, privatisation des entreprises d’État…) ont contribué à la dévalorisation du secteur public et donc au gonflement du nombre d’agents opérant dans le secteur informel. Bref, il y a un dédoublement du secteur formel en secteur informel où chaque activité dite en règle a une réplique.

Tout se passe comme si l’économie de ces pays affiche deux faces à l’image du Dieu Janus : ambivalence des sentiments. Comme le corps et l’esprit, l’informel et le formel sont donc intimement liés, ne serait-ce que par la monnaie dont ils font un usage commun. En définitive, c’est l’incapacité de l’État de répondre aux besoins fondamentaux de la population dans les domaines de l’emploi, de la santé, du logement et de l’éducation qui est à l’origine du foisonnement du secteur informel.

Heurs et malheurs du secteur informel

En Afrique, le secteur informel se caractérise par ses opérations de financement novatrices et l’insuffisance de ses liens avec le secteur moderne. Les entraves d’accès aux crédits des institutions financières se révèlent comme le facteur primordial de limitation des entreprises du secteur informel. En l’absence de prêts bancaires, les chefs d’entreprises du secteur informel ont innové et introduit de nouveaux types de marché financier : associations d’épargne et de crédit par roulement, prêts sur gages. Tontines du Congo-Brazzaville, du Cameroun, du Tchad, de la RDC, du Benin, du Togo, de la Côte d’Ivoire et du Sénégal, permettant d’avoir du crédit par roulement. Ces marchés financiers, non structurés, se sont dotés d’instruments qui répondent aux besoins de leur clientèle : celle qui aimerait épargner et celle qui serait à la quête de fonds pour investir. L’intermédiation financière est indispensable au secteur informel. Les collecteurs d’épargne sont déjà reliés au système bancaire structuré par leurs comptes bancaires. L’accès aux crédits à court terme passe par l’élargissement de ce lien. Les Nations Unies, qui considèrent que le potentiel de croissance du secteur informel est proportionnel à la force des liens entre le formel et l’informel, distinguent cinq catégories de liens : Les liens en aval, quand les produits du secteur informel sont utilisés comme intrants par le secteur structuré ; les liens en amont, quand le secteur structuré approvisionne le secteur informel en matériaux et équipement ; les liens technologiques, par transfert de savoir-faire ou d’équipement ; les liens avec la consommation, ou les liens directs avec les consommateurs finaux en l’occurrence les ménages, exploitations agricoles, entreprises du secteur public, les liens fondés sur le financement de crédits, notamment transferts de fonds du secteur structuré à des fins d’investissement dans le secteur informel ( Marchés Tropicaux, 14 Mars 1997).

Secteur informel et développement économique

« L’Afrique subsaharienne connaît sa plus forte croissance depuis trente ans, soit 6 % l’an, et une inflation en baisse à 7,5 % en 2007  », a déclaré, lundi 5 novembre 2007, Sean Nola, représentant du Fonds monétaire international en Afrique. « La croissance devrait s’y accélérer à 6,5 % et l’inflation reculer à 6,5 % en 2008 » ( Le Monde , 6 novembre 2007). En Afrique, malheureusement, la croissance économique tirée essentiellement de l’exploitation des matières premières n’est pas synonyme de progrès social. Les forts taux de croissance ne s’accompagnent guère de la réduction du chômage ni de l’amélioration du pouvoir d’achat. Face à la déconfiture et à la désertion des pouvoirs publics, le secteur informel est venu en quelque sorte à leur rescousse. Le secteur informel, en Afrique, a pris une importance telle que la Banque mondiale et le FMI ont pris la bonne résolution de l’encourager (fait rare de la part de ces institutions qui veulent faire fonctionner les sociétés africaines à l’image de l’Occident) et, dorénavant, d’insérer ses activités dans les stratégies de développement du continent. Au Burkina-Faso et au Mali, par exemple, la Banque Mondiale et le FMI se penchent avec attention sur les projets des paysans regroupés au sein des coopératives. Le but : ramener les activités du secteur informel dans le formel. Ces agents économiques subissent des stages d’initiation aux techniques de gestion, à la concurrence et à l’économie de marché. On suppose que l’ État leur facilitera l’accès aux crédits bancaires afin d’améliorer leurs conditions de travail.

Somme toute, les activités du secteur informel jouent un rôle dynamique dans les économies africaines. C’est même le point de vue du Bureau International du Travail (B.I.T) qui, pour la première fois, a mis l’accent sur les aspects positifs de ce secteur qui s’avère rentable, productif et créatif. La contribution du secteur informel au PNB des pays africains est évaluée en moyenne à 20% et hors secteur agricole à 34%. Le commerce représente environ 50% de la production du secteur informel, la production manufacturière 32%, les services 14% et les transports 4%. Selon l’ONU, les pays africains doivent se proposer d’utiliser le secteur informel, source de créativité, d’esprit d’entreprise et terrain fertile d’apparition d’une éthique du travail fondée sur une forme nouvelle d’autonomie qui pourrait, en fin de compte, constituer la base solide de développement durable ( Marchés Tropicaux ,op.cit.). D’où l’idée de repenser le processus évolutif spécifique du secteur informel qui est un facteur de développement de l’Afrique. Le vrai problème qui se pose est celui de l’articulation des deux secteurs. L’idéal serait qu’ils fassent bon ménage. La ministre des petites et moyennes entreprises, de l’artisanat et du secteur informel Yvonne Adélaïde Mougany a expliqué qu’en lançant cette étude, il ne s’agissait pas de tuer le secteur informel, mais de l’aider d’opérer la mutation vers le secteur moderne organisé. « Souvent les acteurs informels n’ont pas les informations utiles pour les encourager d’aller vers le secteur formel. Notre ambition est de le fortifier, de le moderniser afin de définir son poids et son importance dans le PIB de notre pays  », a fait savoir Adélaïde Yvonne Mougany qui, avec assurance, enfonce des portes ouvertes, veut apprendre la nage aux poissons.

Le recensement des acteurs de l’informel avait pour objectif d’élaborer un fichier des statistiques du secteur, selon le genre, le niveau d’instruction des promoteurs, la répartition géographique et par métiers, comprenant aussi des indications sur la présence des migrants et des personnes vivant avec handicap. Il devrait aussi permettre de constituer une base de données devant aider le gouvernement, les bailleurs de fonds et les partenaires au développement à définir et exécuter des politiques et programmes d’appui pertinents et adaptés au bénéfice du secteur. Cette étude a été réalisée en tenant compte de l’année 2017.

Le secteur informel s’est taillé la part du lion au Congo-Brazzaville en se hissant au premier rang des pourvoyeurs d’emplois. Le développement de ces pays et en particulier celui du Congo-Brazzaville se fera dans ce dualisme ou ne se fera pas.

Benjamin BILOMBOT BITADYS